INFOS-CLÉS | |
|---|---|
| Nom d’origine | Gorgias ho Leontinos (Γοργίας ὁ Λεοντῖνος) |
| Nom anglais | Gorgias of Leontini |
| Origine | Léontini, Sicile |
| Importance | ★★★★ |
| Courants | Sophistique |
| Thèmes | rhétorique, sophistique, puissance du discours, nihilisme, figures de style |
Figure emblématique de la sophistique, Gorgias de Léontini révolutionne l’art oratoire grec par ses innovations stylistiques et développe une philosophie radicale du langage qui remet en question les fondements de la connaissance et de la vérité, influençant durablement la rhétorique et la philosophie occidentales.
En raccourci
Gorgias naît vers 483 avant J.-C. à Léontini, cité grecque de Sicile réputée pour ses orateurs. Formé dans la tradition rhétorique sicilienne, il développe un style oratoire révolutionnaire qui allie virtuosité technique et recherches esthétiques audacieuses.
En 427, il dirige une ambassade de Léontini à Athènes pour demander l’aide contre Syracuse. Ses discours éblouissent les Athéniens par leur nouveauté stylistique et établissent sa réputation dans toute la Grèce. Il devient le plus célèbre des sophistes itinérants.
Sa philosophie développe un nihilisme radical : rien n’existe, si quelque chose existait nous ne pourrions le connaître, et si nous le connaissions nous ne pourrions le communiquer. Cette doctrine révèle la toute-puissance du discours sur la réalité.
Sa mort vers 375, à plus de cent ans selon la tradition, clôt la carrière du plus influent théoricien de la rhétorique antique, dont l’enseignement forme une génération d’orateurs et nourrit la réflexion sur le pouvoir du langage.
Origines siciliennes et formation rhétorique
Une naissance en Grande-Grèce
Gorgias voit le jour vers 483 avant J.-C. à Léontini, prospère cité grecque de Sicile orientale fondée par les Chalcidiens au VIIIᵉ siècle. Cette région de Grande-Grèce, caractérisée par sa richesse agricole et commerciale, développe une culture raffinée qui privilégie l’excellence oratoire et la virtuosité intellectuelle.
L’environnement sicilien, marqué par la diversité ethnique et la fréquence des conflits entre cités, favorise l’émergence d’une rhétorique pragmatique orientée vers l’efficacité persuasive. Cette tradition oratoire locale, distincte de la philosophie ionienne spéculative, forge la sensibilité première de Gorgias et détermine son approche pratique du langage.
L’école rhétorique sicilienne
Léontini possède une tradition oratoire prestigieuse qui remonte aux premiers tyrans siciliens et à leurs conseillers. Cette école sicilienne privilégie l’ornement du discours, les effets rythmiques et la recherche de l’impact émotionnel sur l’auditoire, caractéristiques qui marquent durablement le style gorgien.
Gorgias bénéficie probablement de l’enseignement de maîtres locaux héritiers de cette tradition, bien que les sources anciennes restent imprécises sur ses premiers formateurs. Cette formation pratique, centrée sur l’exercice oratoire plutôt que sur la spéculation théorique, explique son orientation ultérieure vers la performance discursive.
Influences intellectuelles formatrices
La formation de Gorgias s’enrichit de contacts avec la tradition philosophique présocratique, particulièrement visible dans sa connaissance des doctrines d’Empédocle d’Agrigente. Cette influence se manifeste dans sa réflexion sur la nature du langage et sa capacité à créer des effets psychologiques puissants.
Il subit également l’influence de l’éléatisme, particulièrement de Zénon d’Élée dont il retient la méthode dialectique et le goût du paradoxe. Cette formation philosophique nourrit sa critique ultérieure des prétentions de la connaissance rationnelle et son développement du nihilisme sophistique.
Mission diplomatique et révélation athénienne
L’ambassade de 427
En 427, Gorgias dirige une ambassade de Léontini à Athènes pour solliciter l’aide militaire contre Syracuse qui menace l’indépendance de sa cité. Cette mission diplomatique constitue le tournant décisif de sa carrière en révélant ses talents oratoires à l’élite intellectuelle athénienne.
Cette ambassade s’inscrit dans le contexte complexe de la guerre du Péloponnèse et des rivalités siciliennes. Léontini, alliée traditionnelle d’Athènes, cherche à préserver son autonomie face aux ambitions syracusaines soutenues par Sparte. Cette dimension géopolitique confère à la mission gorgienne un enjeu considérable.
La révélation du style gorgien
Les discours prononcés par Gorgias devant l’Assemblée athénienne produisent un effet de stupéfaction admirative. Son style révolutionnaire, caractérisé par l’emploi systématique d’antithèses, d’allitérations et de clausules rythmées, contraste radicalement avec la sobriété traditionnelle de l’éloquence attique.
Cette innovation stylistique ne constitue pas un simple ornement mais exprime une conception nouvelle du langage comme puissance autonome capable de créer ses propres effets indépendamment de la vérité du contenu. Cette découverte marque l’émergence de la rhétorique comme art spécialisé distinct de la philosophie.
L’établissement de la réputation panhellénique
Le succès athénien de Gorgias établit immédiatement sa réputation dans l’ensemble du monde grec. Il devient le sophiste le plus recherché et le mieux rémunéré de son époque, attirant des disciples de toutes les cités désireuses d’acquérir sa maîtrise oratoire.
Cette reconnaissance panhellénique transforme Gorgias en figure emblématique de la sophistique naissante. Il incarne cette nouvelle génération d’intellectuels itinérants qui vendent leur savoir et remettent en question les valeurs traditionnelles par la seule puissance de leur éloquence.
Développement de la doctrine sophistique
Le traité « Du non-être »
Gorgias compose un traité philosophique intitulé « Du non-être ou de la nature » qui développe une critique radicale de la possibilité de la connaissance. Cette œuvre, conservée partiellement par Sextus Empiricus, articule trois thèses provocatrices : rien n’existe, si quelque chose existait nous ne pourrions le connaître, si nous le connaissions nous ne pourrions le communiquer.
Cette doctrine nihiliste, construite par retournement des arguments éléates, révèle l’impossibilité de fonder le discours sur une réalité objective stable. Elle établit l’autonomie complète du langage vis-à-vis de toute référence ontologique et prépare la conception sophistique de la vérité comme construction discursive.
La théorie de la persuasion
Gorgias développe une théorie sophistiquée de la persuasion qui analyse les mécanismes psychologiques de l’adhésion discursive. Il montre que l’efficacité oratoire dépend moins de la vérité logique que de l’adaptation du discours aux dispositions émotionnelles et intellectuelles de l’auditoire.
Cette analyse révèle la dimension proprement technique de la rhétorique et sa capacité à produire des effets prévisibles par la maîtrise des procédés stylistiques appropriés. Elle fonde la rhétorique comme discipline autonome possédant ses propres règles et sa propre finalité.
L’éloge paradoxal
Gorgias perfectionne le genre de l’éloge paradoxal, illustré notamment par son « Éloge d’Hélène » qui innocente l’héroïne homérique en montrant que sa fuite résulte de la contrainte exercée par la puissance irrésistible du discours d’Alexandre. Cette démonstration brillante révèle la capacité du langage à transformer la perception des événements.
Cette pratique de l’éloge paradoxal ne constitue pas un simple exercice de virtuosité mais exprime la conviction sophistique que toute position peut être défendue par un discours approprié. Elle illustre le relativisme moral et épistémologique qui caractérise la sophistique mature.
Enseignement itinérant et innovations pédagogiques
La méthode d’enseignement sophistique
Gorgias développe une pédagogie révolutionnaire fondée sur l’exercice pratique plutôt que sur la transmission doctrinale. Ses cours alternent démonstrations brillantes du maître et exercices dirigés des disciples, privilégiant l’acquisition de la virtuosité technique sur l’assimilation de contenus théoriques.
Cette méthode pédagogique répond aux attentes d’une clientèle aristocratique désireuse d’acquérir rapidement l’excellence oratoire nécessaire à la réussite politique. Elle rompt avec la tradition philosophique qui privilégie la lente maturation intellectuelle sur l’efficacité immédiate.
L’innovation des discours modèles
Gorgias compose des discours modèles destinés à illustrer les différents genres oratoires et leurs techniques spécifiques. Ces œuvres, comme l' »Éloge d’Hélène » ou la « Défense de Palamède », servent de supports pédagogiques pour l’apprentissage des procédés rhétoriques.
Cette production de discours fictifs constitue une innovation majeure qui influence durablement l’enseignement rhétorique. Elle établit la distinction entre exercice scolaire et pratique réelle, permettant l’expérimentation de techniques audacieuses dans un cadre protégé.
La formation de disciples éminents
L’enseignement de Gorgias forme une génération brillante d’orateurs et de sophistes qui diffusent ses innovations dans l’ensemble du monde grec. Parmi ses disciples figurent Isocrate, Alcidamas et probablement Thucydide, témoignage de l’impact durable de sa pédagogie.
Cette influence pédagogique contribue à la transformation de la culture grecque classique en généralisant la maîtrise rhétorique comme compétence indispensable à l’élite sociale. Elle prépare l’émergence de cette « civilisation du discours » qui caractérise l’Athènes du IVᵉ siècle.
Innovations stylistiques et esthétiques
Les figures gorgiennes
Gorgias développe un arsenal de figures stylistiques qui révolutionnent l’esthétique du discours grec. Les « figures gorgiennes » – antithèses, isocolies, homéotéleutes, paronomases – créent des effets rythmiques et sonores qui rapprochent la prose oratoire de la poésie.
Ces innovations ne constituent pas de simples ornements mais expriment une conception nouvelle du langage comme réalité autonome possédant sa propre beauté et sa propre efficacité. Elles révèlent la dimension esthétique de la rhétorique et sa capacité à procurer un plaisir spécifique distinct de la vérité logique.
La prose rythmée
Gorgias développe une prose rythmée qui applique à l’éloquence les effets métriques traditionnellement réservés à la poésie. Cette innovation révèle sa conviction que l’efficacité oratoire dépend autant de la forme que du contenu et que le rythme participe directement à la persuasion.
Cette recherche rythmique influence durablement la tradition oratoire grecque et latine. Elle établit les fondements de cette prose d’art qui caractérise les grands orateurs classiques et nourrit la réflexion sur les rapports entre rhétorique et poétique.
L’art de la performance
Gorgias conçoit l’éloquence comme art de la performance qui engage la totalité de la personne oratoire : voix, geste, présence scénique. Cette approche globale transforme le discours en spectacle et révèle sa dimension proprement théâtrale.
Cette conception performative de la rhétorique influence le développement du théâtre attique contemporain et prépare les développements ultérieurs de l’art oratoire comme discipline artistique autonome. Elle révèle la modernité de l’approche gorgienne du langage.
Relations avec les intellectuels contemporains
Rivalité avec Protagoras
Gorgias entretient des relations complexes avec Protagoras d’Abdère, son principal rival dans la hiérarchie sophistique. Leurs doctrines, bien que différentes, convergent dans la critique du dogmatisme philosophique et l’affirmation du relativisme épistémologique.
Cette rivalité stimule l’innovation doctrinale et contribue à l’enrichissement de la sophistique par l’émulation intellectuelle. Elle illustre la vitalité du mouvement sophistique et sa capacité à produire des synthèses originales par la confrontation des approches.
Influence sur Thucydide
L’historien Thucydide subit l’influence stylistique et intellectuelle de Gorgias, particulièrement visible dans la composition des discours de son « Histoire de la guerre du Péloponnèse ». Cette influence révèle la pénétration des innovations gorgiennes au-delà du cercle sophistique strict.
Cette réception historique témoigne de la fécondité des innovations gorgiennes pour l’ensemble de la prose grecque classique. Elle illustre la capacité de la rhétorique sophistique à renouveler les genres littéraires traditionnels.
Critiques platoniciennes
Platon développe une critique systématique de Gorgias dans le dialogue éponyme, lui reprochant de privilégier l’apparence sur la réalité et la flatterie sur la véritable connaissance. Cette critique, bien que partiale, révèle l’impact décisif de Gorgias sur la culture athénienne.
Cette polémique platonicienne témoigne paradoxalement de l’importance de Gorgias et de la nécessité ressentie par Platon de réfuter ses innovations. Elle illustre la tension fondamentale entre sophistique et philosophie qui structure la pensée grecque classique.
Dernières années et synthèse doctrinale
L’approfondissement de la réflexion sur le langage
Les dernières années de Gorgias sont consacrées à l’approfondissement de sa réflexion sur la nature et les pouvoirs du langage. Il développe une théorie sophistiquée de la signification qui anticipe certains développements de la linguistique contemporaine.
Cette maturation intellectuelle révèle la profondeur philosophique de la sophistique gorgienne au-delà de sa réputation de virtuosité superficielle. Elle témoigne de la capacité de Gorgias à dépasser la simple technique oratoire pour atteindre une véritable philosophie du langage.
La reconnaissance panhellénique
La fin de sa carrière voit Gorgias reconnu comme l’une des grandes figures intellectuelles de son époque. Il reçoit des honneurs dans de nombreuses cités et sa statue est érigée à Delphes, témoignage de son prestige panhellénique.
Cette reconnaissance officielle révèle l’intégration de la sophistique dans la culture grecque classique malgré les résistances initiales. Elle illustre la capacité de Gorgias à imposer la légitimité de son innovation intellectuelle.
Mort et héritage rhétorique
Une longévité exceptionnelle
Gorgias s’éteint vers 375 avant J.-C. après une carrière de plus de soixante ans qui en fait l’une des figures les plus durables de la sophistique. Sa longévité exceptionnelle, évaluée par certaines sources à plus de cent ans, témoigne de sa vitalité intellectuelle et de sa capacité d’adaptation.
Cette longévité lui permet d’assister aux transformations de la culture grecque qu’il a contribué à susciter et de voir ses innovations intégrées dans l’enseignement traditionnel. Elle illustre la réussite de son entreprise de renouvellement culturel.
L’influence sur la rhétorique classique
L’héritage de Gorgias marque durablement le développement de la rhétorique grecque et latine. Ses innovations stylistiques sont codifiées par les théoriciens ultérieurs et ses techniques pédagogiques inspirent l’enseignement rhétorique traditionnel.
Cette influence technique s’accompagne d’un héritage intellectuel plus profond : la reconnaissance de l’autonomie du discours et de sa capacité à créer ses propres effets de vérité. Cette intuition nourrit toute la tradition rhétorique ultérieure.
L’actualité de la critique sophistique
La philosophie de Gorgias conserve une remarquable actualité par sa critique des prétentions dogmatiques de la raison et sa révélation des mécanismes de construction discursive de la réalité. Ses intuitions sur le relativisme épistémologique résonnent avec les débats contemporains sur la vérité et l’objectivité.
Plus profondément, sa conception du langage comme puissance autonome anticipe les développements de la linguistique et de la philosophie du langage contemporaines. Gorgias demeure ainsi l’une des figures antiques dont la pensée continue d’éclairer notre compréhension des rapports entre discours, pouvoir et vérité dans les sociétés démocratiques modernes.










