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Structure
  1. En raccourci
  2. Formation viennoise et premiers travaux
    1. Études universitaires sous l’empire austro-hongrois
    2. Interruption de la guerre et maturation
  3. Percée scientifique à Zurich
    1. L’équation d’onde et la révolution quantique
  4. Berlin et l’expérience de pensée du chat
    1. L’expérience du chat de Schrödinger
    2. Fuite du nazisme et errance européenne
  5. Refuge dublinois et maturité philosophique
  6. Qu’est-ce que la vie ? et la biologie moléculaire
  7. Synthèse métaphysique et spiritualité
    1. Controverses et réception critique
  8. Retour viennois et dernières années
    1. Héritage scientifique et philosophique
  9. Un penseur entre deux mondes
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Image fictive représentant Erwin Schrödinger, ne correspondant pas à son apparence réelle, illustrant le physicien et philosophe autrichien
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Erwin Schrödinger (1887–1961) : dialogue entre physique quantique et philosophie de la conscience

  • 15/11/2025
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OrigineAutriche
Importance★★★★
CourantsPhilosophie des sciences, Métaphysique, Philosophie de la nature
ThèmesMécanique quantique, conscience unitaire, philosophie du Vedanta, biologie moléculaire, paradoxe du chat

Physicien et philosophe autrichien, Erwin Schrödinger compte parmi les fondateurs de la mécanique quantique et s’est distingué par une réflexion philosophique approfondie sur les implications métaphysiques de la physique moderne.

En raccourci

Né à Vienne en 1887, Erwin Schrödinger développe dès sa jeunesse un intérêt conjugué pour la physique théorique et la philosophie. Formé à l’université de Vienne, il élabore en 1926 l’équation d’onde qui porte son nom, contribution majeure à la mécanique quantique (ou physique quantique) qui lui vaut le prix Nobel de physique en 1933.

Fuyant le nazisme, il s’établit en 1939 à Dublin où il fonde l’Institut d’études avancées et produit ses travaux les plus importants en philosophie des sciences. Son ouvrage Qu’est-ce que la vie ? (1944) pose des questions fondamentales sur les bases physiques du vivant et influence la découverte de l’ADN. Profondément marqué par le Vedanta hindou et la pensée de Schopenhauer, il défend l’idée d’une conscience unitaire sous-tendant la multiplicité apparente des consciences individuelles.

Son expérience de pensée du chat…connue sous le nom de « chat de Schrödinger », proposée en 1935, soulève des interrogations philosophiques sur la nature de la réalité quantique qui demeurent actuelles. Schrödinger meurt à Vienne en 1961, laissant une œuvre qui unit rigueur scientifique et audace métaphysique.

Formation viennoise et premiers travaux

Il naît le 12 août 1887 à Erdberg, quartier de Vienne, au sein d’une famille cultivée de la bourgeoisie autrichienne. Son père Rudolf Schrödinger, botaniste et fabricant de toiles cirées, s’intéresse aux sciences naturelles tout en possédant une solide culture littéraire. Sa mère Georgine Emilia Brenda Bauer, fille d’un professeur de chimie, contribue à créer un environnement intellectuel stimulant. Enfant unique de santé fragile, Schrödinger reçoit une éducation exigeante où se mêlent sciences et humanités.

Cette formation précoce façonne un esprit polyvalent. Schrödinger manifeste très tôt des aptitudes remarquables non seulement en mathématiques et physique, mais aussi en grammaire ancienne et en poésie grecque. L’étude de la métrique et de la logique des textes classiques nourrit son goût pour la précision formelle, qualité qui caractérisera ses travaux scientifiques ultérieurs.

En 1898, il entre à l’Akademisches Gymnasium de Vienne où il se distingue dans toutes les disciplines. Brillant élève, il excelle autant dans les matières scientifiques que littéraires, une dualité qui persistera toute sa vie. Dès l’adolescence, il se passionne pour la philosophie et lit Schopenhauer dont l’influence marquera profondément sa pensée.

Études universitaires sous l’empire austro-hongrois

Schrödinger entreprend ses études supérieures à l’université de Vienne en 1906. Il y suit l’enseignement de Fritz Hasenöhrl, jeune disciple de Ludwig Boltzmann qui vient de se suicider cette année-là. Hasenöhrl initie Schrödinger à la physique statistique et aux développements récents de la thermodynamique. Franz Exner, autre figure marquante de l’université viennoise, influence également sa formation en physique expérimentale.

Durant ces années d’études, Schrödinger développe son approche caractéristique qui privilégie une certaine élégance mathématique et la cohérence conceptuelle. Les débats sur les fondements de la physique l’attirent davantage que les applications techniques. Il obtient son doctorat en physique théorique en 1910 avec une thèse portant sur la conduction électrique dans les diélectriques humides.

Cette période se révèle intellectuellement formatrice mais professionnellement difficile. Vienne ne possède pas alors de groupe important de physiciens théoriciens. Schrödinger peine à trouver sa voie et ses premiers travaux n’impressionnent guère ses pairs. En 1914, il obtient difficilement son habilitation universitaire, qui est la condition nécessaire pour enseigner.

Interruption de la guerre et maturation

La Première Guerre mondiale bouleverse ce début de carrière incertain. Mobilisé en tant qu’officier d’artillerie, Schrödinger sert sur le front italien de 1914 à 1918. Cette expérience traumatisante ne l’empêche pas de poursuivre ses réflexions scientifiques. Durant les accalmies, il lit les articles d’Einstein sur la relativité générale qu’il juge initialement trop compliqués.

Le retour à la vie civile en 1918 coïncide avec l’effondrement de l’empire austro-hongrois. Schrödinger, désormais citoyen de la petite république d’Autriche, doit reconstruire sa carrière dans un contexte économique désastreux. En 1920, il épouse Annemarie Bertel, relation qui durera malgré de nombreuses tensions liées à ses multiples liaisons extraconjugales.

Pour assurer un revenu suffisant, il accepte divers postes d’enseignement : assistant de Max Wien à Iéna, puis professeur à Stuttgart et Breslau. Ces années relativement difficiles le conduisent néanmoins à publier des résultats importants en mécanique statistique, en théorie de la vision des couleurs et en théorie quantique naissante, son intérêt pour la perception visuelle témoignant de sa curiosité pour les relations entre physique et biologie.

Percée scientifique à Zurich

En 1922, Schrödinger obtient un poste de professeur à l’université de Zurich, succédant à une chaire prestigieuse occupée précédemment par Einstein et Max von Laue. Cette nomination inaugure la période la plus féconde de sa carrière scientifique. La présence du mathématicien Hermann Weyl, élève brillant de David Hilbert, stimule ses recherches. Weyl apporte la rigueur mathématique nécessaire à des développements théoriques audacieux.

Durant six années à Zurich, Schrödinger approfondit ses travaux sur la thermodynamique statistique des gaz et la théorie quantique atomique. En parallèle, il poursuit sa réflexion philosophique, s’imprégnant de la pensée de Spinoza et retournant régulièrement à Schopenhauer. Ses lectures du Monde comme volonté et comme représentation nourrissent sa conviction que la science doit dialoguer avec la métaphysique.

Mais sa santé demeure fragile. Atteint de tuberculose, il effectue plusieurs séjours dans un sanatorium à Arosa, en Suisse. Ces retraites forcées, loin d’entraver ses recherches, créent paradoxalement les conditions de sa découverte majeure. Dans l’isolement relatif des montagnes, il dispose du temps et du calme nécessaires à une concentration intense.

L’équation d’onde et la révolution quantique

Le tournant décisif survient fin 1925. Einstein publie des travaux sur la mécanique statistique quantique des gaz en attirant l’attention sur les idées de Louis de Broglie (que l’on prononce « de breuil ») concernant la dualité onde-corpuscule. Fasciné par cette hypothèse audacieuse qui attribue aux particules matérielles des propriétés ondulatoires, Schrödinger décide de l’approfondir et prépare une série de séminaires sur le sujet à l’université.

Lors d’un de ces séminaires, le physicien Peter Debye fait une remarque déterminante : si les particules se comportent comme des ondes, il faut une équation d’onde pour décrire leur évolution. L’observation galvanise Schrödinger. Durant l’hiver 1925-1926, lors d’un séjour à Arosa en compagnie d’une de ses maîtresses, il élabore l’équation qui portera son nom.

En 1926, il publie coup sur coup six articles fondamentaux sur la mécanique ondulatoire dans les Annalen der Physik. Ces publications établissent un formalisme mathématique permettant de décrire comment les systèmes quantiques évoluent au cours du temps, au moyen d’une fonction d’onde. L’équation de Schrödinger offre ainsi un outil puissant pour calculer les niveaux d’énergie des atomes et prédire leur comportement.

L’accueil de la communauté scientifique est enthousiaste. Einstein salue dans une lettre personnelle le travail d’un « authentique génie ». Max Planck invite Schrödinger à Berlin pour succéder à sa propre chaire en 1927. Cette reconnaissance rapide contraste avec l’approche concurrente de Werner Heisenberg, dont la mécanique matricielle paraît moins intuitive. Mais Schrödinger démontre bientôt que les deux formalismes sont mathématiquement équivalents.

Berlin et l’expérience de pensée du chat

L’installation à Berlin en 1927 place Schrödinger au cœur de l’effervescence intellectuelle de la république de Weimar. Il côtoie Einstein, Planck, von Laue et participe aux débats passionnés sur l’interprétation de la mécanique quantique. Ces discussions philosophiques l’amènent à interroger les fondements conceptuels de la nouvelle physique.

Schrödinger partage avec Einstein un malaise profond face à l’interprétation probabiliste défendue par Niels Bohr et l’école de Copenhague. L’idée que la réalité physique n’existe pas indépendamment de l’observation lui paraît incompatible avec une vision cohérente du monde. Il refuse l’abandon du déterminisme et cherche une interprétation réaliste de la fonction d’onde.

En 1935, après une correspondance nourrie avec Einstein, il formule sa célèbre expérience de pensée du chat.

L’expérience du chat de Schrödinger

Dans cette célèbre expérience de pensée imaginée par Erwin Schrödinger, on place un chat dans une boîte fermée avec un dispositif relié à un atome radioactif : si l’atome se désintègre, le mécanisme se déclenche et tue le chat ; s’il ne se désintègre pas, le chat reste vivant.

Or, selon la mécanique quantique, tant qu’on ne mesure pas l’atome, celui-ci est dans une superposition d’états : il est à la fois « désintégré » et « non désintégré ». En appliquant ce raisonnement au dispositif entier, on obtient l’idée paradoxale que le chat serait lui aussi simultanément « vivant » et « mort » tant que la boîte reste fermée, et que ce n’est qu’au moment où on l’ouvre (c’est-à-dire lorsqu’on effectue une mesure) que l’un des deux états se « réalise » vraiment.

Schrödinger propose cette histoire non pas pour défendre l’idée de chats à la fois morts et vivants, mais pour montrer à quel point les principes de la mécanique quantique deviennent déroutants lorsqu’on les applique à des objets du monde ordinaire. Il semble avoir réussi au delà de ses espérances puisque l’expression « le chat de Schrödinger » est aujourd’hui appliquée à tout et n’importe quoi, et bien souvent hors du propos initial.

Fuite du nazisme et errance européenne

La réflexion philosophique de Schrödinger s’interrompt brutalement avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. Schrödinger, bien que non juif, réprouve le nazisme et l’antisémitisme. Cette année-là, il reçoit le prix Nobel de physique conjointement avec Paul Dirac pour ses travaux fondateurs en mécanique quantique. Mais l’honneur scientifique ne compense pas la détérioration du climat politique.

Il quitte donc l’Allemagne pour l’université d’Oxford. Son installation en Angleterre soulève des difficultés inattendues. Il arrive en effet accompagné de sa femme Annemarie et de sa maîtresse Hilde March, une de ses anciennes étudiantes avec laquelle il a une fille, Ruth. Cet arrangement domestique peu conventionnel heurte les convenances de l’establishment académique britannique.

En 1936, l’université de Princeton lui propose un poste permanent qu’il décline, redoutant de nouvelles complications liées à sa vie privée. Il préfère retourner en Autriche et accepte une chaire à l’université de Graz. Ce choix se révèlera désastreux. En 1938, l’Anschluss rattache l’Autriche au Reich allemand. Les autorités nazies se souviennent de son départ d’Allemagne en 1933 et de son opposition déclarée au régime.

Sous pression, Schrödinger publie une déclaration de rétractation qu’il regrettera profondément. Il explique plus tard à Einstein : « Je voulais rester libre et ne pouvais le faire sans cette duplicité. » Malgré cette concession peu honorable, l’université de Graz le révoque pour « manque de fiabilité politique ». Interdit de quitter le pays, il parvient à s’enfuire clandestinement avec sa femme vers l’Italie.

Refuge dublinois et maturité philosophique

Après des pérégrinations entre Oxford et Gand, Schrödinger reçoit en 1938 une invitation inattendue. Eamon de Valera, Premier ministre irlandais et ancien professeur de mathématiques, lui propose de diriger l’Institut d’études avancées qu’il projette de créer à Dublin sur le modèle de Princeton. Schrödinger accepte cette offre providentielle et arrive en Irlande en octobre 1939 avec sa famille élargie.

L’installation à Dublin marque le début d’une période de dix-sept années qui constitue la phase la plus longue et la plus heureuse de sa vie professionnelle. De Valera lui accorde une totale liberté intellectuelle. L’institut comprend une école de physique théorique que Schrödinger dirige, ainsi qu’une école d’études celtiques reflétant les passions du Premier ministre pour les mathématiques et la langue irlandaise.

Dans cette Irlande neutre préservée des ravages de la guerre, Schrödinger se consacre davantage à la philosophie qu’à la physique pure. Sa réflexion s’approfondit sur les questions métaphysiques soulevées par la mécanique quantique. Il donne des conférences publiques très suivies et poursuit ses lectures philosophiques, notamment les Upanishads et les textes du Vedanta hindou découverts à travers Schopenhauer.

Qu’est-ce que la vie ? et la biologie moléculaire

En février 1943, Schrödinger prononce à Trinity College une série de conférences devant quelque  centaines de personnes, avertis que le sujet serait ardu et les exposés dépourvus de caractère véritablement populaire. Ces interventions, publiées en 1944 sous le titre What is Life?, constituent sa contribution la plus influente hors de la physique stricto sensu.

L’ouvrage aborde une question fondamentale : comment la physique et la chimie peuvent-elles rendre compte des phénomènes qui se déroulent dans un organisme vivant ? Schrödinger introduit l’idée d’un « cristal apériodique » où l’information génétique serait contenue dans la configuration des liaisons covalentes. Cette conception théorique anticipe remarquablement les découvertes ultérieures sur la structure de l’ADN.

Francis Crick, co-découvreur de la structure en double hélice de l’ADN en 1953, créditera Qu’est-ce que la vie ? d’une description précoce du stockage de l’information génétique qui influença ses premières recherches. James Watson reconnaît également l’impact du livre dans son parcours intellectuel. L’ouvrage stimulera toute une génération de physiciens à se tourner vers la biologie moléculaire.

Au-delà des spéculations scientifiques, Schrödinger conclut par des réflexions philosophiques sur le déterminisme, le libre arbitre et la conscience. Il se rapproche explicitement de la conception hindoue du Brahman dans laquelle la conscience de chaque individu n’est qu’une manifestation d’une conscience unitaire habitant l’univers entier. Le « Je », écrit-il, n’est pas la collection des événements vécus mais la toile sur laquelle ils sont collectés.

Synthèse métaphysique et spiritualité

Les années dublinoises permettent à Schrödinger d’articuler pleinement ses convictions métaphysiques. En 1925 déjà, il avait rédigé Mein Weltansicht (Ma conception du monde), texte personnel exposant sa philosophie de la vie qu’il complète en 1960. Il y affirme que la conscience est singulière, que tous les événements se jouent dans une conscience universelle unique et qu’il n’existe pas de multiplicité réelle des consciences individuelles.

Cette perspective moniste s’inspire directement du Vedanta, branche de la philosophie hindoue qui enseigne l’identité entre Atman (le soi individuel) et Brahman (la réalité absolue). Schrödinger conserve à son chevet des exemplaires des Upanishads et étudie les commentaires de Shankara sur l’Advaita Vedanta. Il lit également des ouvrages sur le yoga et la philosophie Samkhya, reformulant ces enseignements dans ses propres termes.

En 1956, lors d’une conférence publique Mind and Matter, il reprend le premier énoncé de l’œuvre majeure de Schopenhauer : « Le monde étendu dans l’espace et le temps n’est que notre représentation. » Cette fidélité à Schopenhauer n’empêche pas une appropriation personnelle. Pour Schrödinger, la conscience ne peut être expliquée en termes physiques car elle est absolument fondamentale et ne peut se réduire à autre chose.

Controverses et réception critique

Sa défense d’une conscience unitaire suscite incompréhensions et polémiques. Certains critiques l’accusent de mysticisme infondé, voire de renoncement à la rigueur scientifique. Schrödinger répond en précisant le « Je » dont il parle n’est pas la personne individuelle, avec son corps et son histoire, mais une conscience plus générale et impersonnelle, qui est commune à tous ceux qui peuvent dire « je ». Il distingue soigneusement l’Ahamkara (l’identification égotique au corps) de l’Atman (le fondement immanent de l’apparaître).

Certains commentateurs suggèrent, à l’inverse, que son immersion profonde dans une vision non-dualiste de type védantique a pu servir de cadre subliminal ou d’inspiration à ses travaux en physique théorique. L’unité et la continuité du Vedanta se reflètent effectivement dans l’unité et la continuité de la mécanique ondulatoire, avec une conception du monde physique qui passe d’un modèle de particules séparables à un univers d’ondes de probabilité superposées et inséparables.

Schrödinger n’établit pas de lien causal direct entre ses convictions religieuses et philosophiques, et ses découvertes scientifiques. Il refuse néanmoins toute séparation étanche entre physique et métaphysique. Dans ses écrits, il affirme qu‘isoler une connaissance spécialisée de la synthèse générale du savoir revient à lui ôter toute valeur. La science doit contribuer à répondre à la question « Qui sommes-nous ? » et ne trouve sa signification que dans cette quête plus vaste.

Retour viennois et dernières années

En 1954, Schrödinger publie La nature et les Grecs, ouvrage explorant les systèmes de croyance antiques et leurs implications pour la pensée scientifique moderne. Il y développe l’idée que la philosophie présocratique contenait déjà des intuitions profondes sur la nature de la réalité. Cette attention aux origines grecques de la pensée rationnelle manifeste sa conviction que science et philosophie forment un continuum historique.

En 1955, après la neutralisation de l’Autriche et son indépendance retrouvée, Schrödinger accepte de revenir à Vienne en tant que professeur émérite à l’université. Lors d’une conférence importante à la Conférence mondiale de l’énergie, il refuse de parler d’énergie nucléaire et prononce une allocution philosophique. Cette période le voit s’éloigner de l’interprétation standard de la mécanique quantique et promouvoir une vision purement ondulatoire, suscitant de nouvelles controverses.

En 1961 paraît Ma conception du monde, synthèse définitive de sa métaphysique inspirée des Upanishads. Il y réaffirme sa conviction en une conscience unitaire sous-jacente à la multiplicité apparente des êtres. Quelques mois après cette ultime publication, le 4 janvier 1961, Schrödinger meurt de tuberculose à Vienne, à l’âge de soixante-treize ans. Il est enterré à Alpbach, dans un cimetière catholique, le prêtre ayant autorisé l’inhumation après avoir appris son appartenance à l’Académie pontificale des sciences.

Héritage scientifique et philosophique

L’équation de Schrödinger demeure le point de départ de presque tout problème en physique quantique contemporaine. Sa formulation mathématique élégante permet de calculer l’évolution des systèmes microscopiques avec une précision remarquable. Au-delà de l’outil technique, l’expérience de pensée du chat continue de nourrir les débats philosophiques sur la mesure quantique, la nature de la réalité et le rôle de l’observateur.

Qu’est-ce que la vie ? exerce une influence durable sur la biologie moléculaire. Le concept de « cristal apériodique » anticipe la découverte selon laquelle l’ADN encode l’information génétique dans une séquence linéaire de nucléotides. L’ouvrage stimule également le développement de la théorie de l’information en biologie et la réflexion sur l’entropie négative caractérisant les systèmes vivants.

Sur le plan philosophique, Schrödinger appartient à la lignée rare des scientifiques capables d’articuler les implications métaphysiques de leurs découvertes sans céder au réductionnisme matérialiste. Il défend une vision du monde où conscience et matière ne s’opposent pas mais participent d’une réalité plus profonde. Cette perspective moniste, enracinée dans le Vedanta, offre une alternative aux dualismes cartésien et au physicalisme réducteur.

Un penseur entre deux mondes

Schrödinger incarne une figure singulière dans l’histoire intellectuelle du vingtième siècle. Physicien rigoureux ayant contribué de manière décisive à la révolution quantique, il refuse de séparer science et sagesse. Ses lectures de Schopenhauer, Spinoza et des textes védantiques nourrissent une réflexion qui dépasse largement le cadre de la physique mathématique.

Exilé durant près de vingt ans, échappant au nazisme et trouvant refuge dans une Irlande neutre, il transforme cette marginalité géographique en liberté intellectuelle. Dublin lui offre le temps et l’espace nécessaires pour approfondir ses interrogations sur la vie, la conscience et la place de l’homme dans l’univers. Les années irlandaises permettent une maturation philosophique qui aurait été impossible dans le contexte des grandes universités allemandes ou britanniques.

L’œuvre de Schrödinger atteste qu’une pratique scientifique exigeante peut s’allier à une quête métaphysique authentique. Sa pensée demeure actuelle alors que la physique quantique pose toujours les mêmes questions fondamentales sur la nature de la réalité et que les neurosciences interrogent les bases physiques de la conscience. Le dialogue qu’il établit entre physique, biologie et philosophie védantique ouvre des perspectives qui continuent d’inspirer chercheurs et penseurs.

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