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Structure
  1. En raccourci
    1. Cordoue, métropole intellectuelle
    2. Formation traditionnelle complète
  2. Initiation aux sciences profanes
    1. Études médicales et pratique
    2. Astronomie et mathématiques
    3. Découverte d’Aristote
  3. Carrière judiciaire et reconnaissance officielle
    1. Premiers postes de magistrat
    2. Rencontre décisive avec Ibn Tufayl
    3. Présentation au calife philosophe
  4. L’œuvre de commentateur d’Aristote
    1. Méthode exégétique novatrice
    2. Restitution de l’aristotélisme authentique
    3. Innovations philosophiques personnelles
  5. Synthèse entre philosophie et religion
    1. Le traité « Fasl al-maqāl »
    2. Théorie de la double vérité
    3. Polémique avec Al-Ghazālī
  6. Apogée de la carrière
    1. Grand cadi de Cordoue
    2. Médecin et conseiller du calife
    3. Production philosophique de la maturité
  7. Disgrâce et exil
    1. Montée de l’opposition conservatrice
    2. Procès et condamnation
    3. Derniers mois à Marrakech
  8. Mort et héritage immédiat
    1. Une fin paisible
    2. Dispersion de l’héritage intellectuel
  9. Influence sur l’Occident latin
    1. L’averroïsme latin
    2. Débats scolastiques
  10. Le grand passeur entre Orient et Occident
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Averroès (1126-1198) : Le grand commentateur d’Aristote et la synthèse de la raison universelle

  • 15/07/2025
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Nom d’origine أبو الوليد محمد بن أحمد بن رشد (Abū al-Walīd Muḥammad Ibn Aḥmad Ibn Rushd)
Nom anglais Averroes
Origine Cordoue (Al-Andalus)
Importance★★★★
Courants Philosophie islamique
Thèmes commentaires d'Aristote, double vérité, éternité du monde, intellect agent, rationalisme islamique

Averroès représente l’apogée de la pensée philosophique en Al-Andalus, tentant une synthèse audacieuse entre révélation coranique et rationalité aristotélicienne qui influence durablement l’Occident médiéval.

En raccourci

Né en 1126 à Cordoue dans une famille de juristes prestigieux, Ibn Rushd grandit dans l’Al-Andalus des Almoravides, carrefour civilisationnel entre Orient et Occident.

Formé dans les sciences religieuses et profanes, il maîtrise parfaitement le droit islamique, la médecine, l’astronomie et la philosophie. Sa rencontre avec Ibn Tufayl vers 1168 l’oriente définitivement vers l’étude d’Aristote.

Protégé par les califes almohades, particulièrement Abū Ya’qūb Yūsuf, il rédige ses monumentaux commentaires d’Aristote qui révolutionnent la compréhension de la philosophie grecque en terre d’Islam. Ses analyses de la métaphysique, de la physique et de l’éthique aristotéliciennes établissent de nouveaux standards d’interprétation.

Juge suprême et médecin du calife, il incarne l’idéal du savant complet. Ses traités originaux défendent la compatibilité entre philosophie et religion, suscitant des controverses durables.

Disgracié en 1195 sous la pression des théologiens conservateurs, il meurt en exil à Marrakech en 1198. Son influence posthume transforme la scolastique latine.

Ibn Rushd naît en 1126 à Cordoue dans une famille qui incarne l’excellence intellectuelle de l’Al-Andalus médiéval. Son grand-père, également prénommé Ibn Rushd, avait exercé les fonctions de grand cadi de Cordoue et laissé une réputation considérable de juriste et de théologien. Cette tradition familiale d’érudition religieuse et juridique marque profondément la formation du futur philosophe.

Cette ascendance prestigieuse ouvre naturellement au jeune Ibn Rushd les portes de l’enseignement traditionnel et lui assure une position sociale élevée dans la société andalouse. L’héritage familial lui transmet non seulement un capital intellectuel mais aussi un réseau de relations qui facilitent son ascension ultérieure dans la hiérarchie religieuse et politique.

Cordoue, métropole intellectuelle

La Cordoue du XIIe siècle demeure l’une des capitales intellectuelles les plus brillantes de la Méditerranée, héritière de plusieurs siècles de civilisation islamique en Al-Andalus. Cette cité cosmopolite accueille savants, poètes, médecins et philosophes venus de tout le monde musulman, créant un environnement intellectuel d’une richesse exceptionnelle.

Les bibliothèques cordouanes, notamment celle du palais califal, conservent des milliers de manuscrits en arabe, en grec et en latin, permettant aux érudits locaux d’accéder à l’ensemble du patrimoine antique et contemporain. Cette richesse documentaire explique en partie la qualité exceptionnelle de la production intellectuelle andalouse à cette époque.

Formation traditionnelle complète

Conformément aux usages de son milieu, Ibn Rushd reçoit une formation encyclopédique qui embrasse l’ensemble des sciences de son époque. Cette éducation, dispensée par les maîtres les plus réputés de Cordoue, comprend l’étude approfondie du Coran et de la tradition prophétique, les sciences du droit islamique (fiqh), la théologie rationnelle (kalām), mais aussi la médecine, l’astronomie et les mathématiques.

Cette formation polyvalente, caractéristique de l’idéal éducatif islamique médiéval, forge un esprit capable d’embrasser la totalité du savoir disponible et de percevoir les connexions entre disciplines apparemment distinctes. Cette approche syncrétique influence durablement sa méthode philosophique ultérieure.

Initiation aux sciences profanes

Études médicales et pratique

Parallèlement à sa formation religieuse, Ibn Rushd s’initie précocement à la médecine sous la direction de maîtres réputés, notamment Ibn Zuhr (Avenzoar), médecin de la famille almohade. Cette formation médicale, fondée sur l’étude d’Hippocrate, de Galien et des médecins arabes classiques, lui procure une connaissance approfondie de l’anatomie et de la physiologie humaines.

Cette pratique médicale, qu’il exerce tout au long de sa carrière, enrichit sa réflexion philosophique en lui fournissant une expérience concrète des phénomènes naturels et des processus vitaux. L’observation clinique complète ainsi harmonieusement la spéculation théorique, donnant à sa philosophie une dimension empirique souvent négligée chez ses contemporains.

Astronomie et mathématiques

L’astronomie, science prestigieuse intimement liée à la navigation, au calendrier et aux pratiques religieuses, constitue un autre domaine d’excellence d’Ibn Rushd. Ses connaissances dans cette discipline, nourries par l’étude de Ptolémée et des astronomes arabes, lui permettent de développer une cosmologie sophistiquée qui influence ses conceptions métaphysiques.

Les mathématiques, considérées comme le fondement de toute science exacte, complètent sa formation scientifique. Cette maîtrise des disciplines quantitatives lui permet d’apprécier la rigueur démonstrative d’Aristote et d’adapter les méthodes philosophiques grecques aux exigences de précision de son époque.

Découverte d’Aristote

C’est probablement durant cette période de formation scientifique qu’Ibn Rushd découvre les œuvres d’Aristote dans leurs traductions arabes. Cette rencontre avec la philosophie du Stagirite constitue l’événement intellectuel décisif de sa carrière, révélant à ses yeux la possibilité d’une science rationnelle universelle capable de réconcilier foi et raison.

L’œuvre aristotélicienne, déjà étudiée et commentée par les philosophes arabes antérieurs comme Al-Fārābī et Avicenne, offre à Ibn Rushd un système philosophique d’une cohérence et d’une ampleur incomparables. Cette découverte oriente définitivement sa vocation vers la philosophie pure et l’étude des textes du maître grec.

Carrière judiciaire et reconnaissance officielle

Premiers postes de magistrat

Vers 1153, Ibn Rushd entame sa carrière judiciaire en obtenant un poste de cadi dans une ville secondaire d’Al-Andalus. Cette fonction, qui requiert une maîtrise parfaite du droit islamique et des qualités d’arbitrage, révèle ses compétences juridiques héritées de la tradition familiale. L’exercice de la justice lui permet d’acquérir une expérience pratique des affaires humaines qui enrichit sa réflexion philosophique.

Cette période d’apprentissage judiciaire coïncide avec l’affirmissement du pouvoir almohade en Al-Andalus et au Maghreb. La nouvelle dynastie, d’origine berbère mais soucieuse de légitimité religieuse et intellectuelle, favorise les savants capables de justifier théologiquement son autorité politique.

Rencontre décisive avec Ibn Tufayl

Vers 1168, Ibn Rushd fait la connaissance d’Ibn Tufayl, philosophe et médecin du calife almohade Abū Ya’qūb Yūsuf. Cette rencontre, facilitée par Ibn Zuhr, transforme radicalement sa carrière en l’introduisant dans les cercles du pouvoir califal. Ibn Tufayl, auteur du célèbre roman philosophique « Hayy ibn Yaqzān », reconnaît immédiatement les qualités exceptionnelles du jeune juriste cordouan.

Cette relation protectrice s’avère décisive pour l’orientation philosophique d’Ibn Rushd. Ibn Tufayl, déjà âgé et soucieux de transmettre son héritage intellectuel, encourage son protégé à entreprendre un travail systématique de commentaire des œuvres d’Aristote, projet ambitieux que sa propre génération n’avait pu mener à terme.

Présentation au calife philosophe

Ibn Tufayl organise une rencontre entre Ibn Rushd et le calife Abū Ya’qūb Yūsuf, souverain cultivé passionné de philosophie et de sciences. Cet entretien, rapporté par Ibn Rushd lui-même, révèle un calife capable de discuter d’égal à égal avec les plus grands savants de son époque sur les questions les plus abstraites de la métaphysique aristotélicienne.

Cette audience inaugurale établit une relation privilégiée entre le philosophe et le pouvoir politique qui caractérise désormais toute sa carrière. Le soutien califal lui assure les moyens matériels et la protection nécessaires pour entreprendre ses grands travaux philosophiques, tout en l’exposant aux risques inhérents à la proximité avec le pouvoir.

L’œuvre de commentateur d’Aristote

Méthode exégétique novatrice

Encouragé par le calife, Ibn Rushd entreprend vers 1169 son projet le plus ambitieux : un commentaire complet de l’œuvre d’Aristote qui établit de nouveaux standards d’interprétation philosophique. Sa méthode, qui distingue trois niveaux d’analyse (épitomés, commentaires moyens et grands commentaires), révèle une approche pédagogique sophistiquée adaptée aux différents publics.

Cette innovation méthodologique témoigne de sa volonté de rendre la philosophie aristotélicienne accessible tout en préservant sa rigueur technique. Les épitomés s’adressent aux débutants, les commentaires moyens aux étudiants avancés, tandis que les grands commentaires visent les spécialistes capables de suivre les analyses les plus subtiles.

Restitution de l’aristotélisme authentique

Contrairement à ses prédécesseurs Avicenne et Al-Ghazālī qui adaptaient Aristote à leurs préoccupations néoplatoniciennes ou théologiques, Ibn Rushd s’attache à restituer la pensée authentique du Stagirite en éliminant les déformations accumulées par la tradition. Cette approche « puriste » révèle une méthode philologique rigoureuse et un respect scrupuleux des textes originaux.

Cette fidélité à Aristote ne procède pas d’un conservatisme aveugle mais d’une conviction raisonnée sur la supériorité de la méthode aristotélicienne pour atteindre la vérité philosophique. Ibn Rushd considère le Stagirite comme le sommet de la perfection humaine en matière de rationalité, méritant donc une étude respectueuse et approfondie.

Innovations philosophiques personnelles

Malgré sa révérence pour Aristote, Ibn Rushd développe des positions philosophiques originales qui enrichissent et parfois corrigent l’héritage grec. Sa théorie de l’intellect, ses analyses de la causalité et sa cosmologie témoignent d’une créativité philosophique authentique qui dépasse la simple exégèse pour atteindre la spéculation indépendante.

Ces innovations révèlent un penseur capable d’assimiler créativement l’héritage antique sans s’y enfermer. Sa philosophie personnelle, nourrie par Aristote mais adaptée aux exigences de son époque, illustre la vitalité de la pensée islamique médiévale et sa capacité d’innovation conceptuelle.

Synthèse entre philosophie et religion

Le traité « Fasl al-maqāl »

Vers 1179, Ibn Rushd rédige son traité le plus controversé, « Fasl al-maqāl » (Discours décisif), qui défend la compatibilité fondamentale entre philosophie aristotélicienne et révélation coranique. Cette œuvre audacieuse soutient que la vérité est une, qu’elle soit atteinte par la démonstration rationnelle ou par l’interprétation correcte des textes sacrés.

Cette thèse révolutionnaire remet en question la hiérarchie traditionnelle qui subordonne la raison à la révélation. Pour Ibn Rushd, la philosophie et la religion explorent le même réel par des méthodes différentes mais complémentaires, la première par la démonstration logique, la seconde par l’enseignement symbolique adapté au commun des croyants.

Théorie de la double vérité

L’interprétation ultérieure de l’averroïsme latin attribue à Ibn Rushd une théorie de la « double vérité » selon laquelle une proposition peut être vraie en philosophie et fausse en religion, ou inversement. Cette interprétation, probablement erronée, déforme la pensée authentique du philosophe cordouan qui affirme au contraire l’unité fondamentale de la vérité.

La position véritable d’Ibn Rushd distingue plutôt différents modes d’expression de la même vérité : démonstratif pour les philosophes, dialectique pour les théologiens, rhétorique pour le peuple. Cette hiérarchisation pédagogique respecte la diversité des capacités intellectuelles sans relativiser la vérité elle-même.

Polémique avec Al-Ghazālī

L’œuvre théologique la plus importante d’Ibn Rushd, « Tahāfut al-tahāfut » (Incohérence de l’incohérence), constitue une réfutation systématique des critiques anti-philosophiques d’Al-Ghazālī. Ce débat, qui oppose deux géants de la pensée islamique, porte sur les questions fondamentales de l’éternité du monde, de la connaissance divine et de la résurrection des corps.

Cette polémique révèle les enjeux considérables de la confrontation entre rationalisme philosophique et orthodoxie religieuse dans l’Islam médiéval. Ibn Rushd défend la légitimité de la recherche rationnelle contre les attaques du mysticisme et du littéralisme religieux, affirmant que la vraie piété exige l’usage de la raison.

Apogée de la carrière

Grand cadi de Cordoue

En 1182, Ibn Rushd atteint le sommet de sa carrière judiciaire en accédant au poste de grand cadi de Cordoue, fonction suprême qu’avait exercée son grand-père. Cette nomination témoigne de la confiance que lui accorde le pouvoir almohade et de sa réputation d’intégrité dans l’exercice de la justice.

Cette responsabilité judiciaire majeure lui permet d’appliquer concrètement sa conception de la justice inspirée par l’éthique aristotélicienne. Ses sentences, réputées pour leur équité et leur sagesse, illustrent la fécondité pratique de la formation philosophique pour l’exercice des responsabilités civiques.

Médecin et conseiller du calife

Parallèlement à ses fonctions judiciaires, Ibn Rushd exerce comme médecin personnel d’Abū Ya’qūb Yūsuf puis de son successeur Abū Yūsuf Ya’qūb al-Manṣūr. Cette proximité avec le pouvoir califal lui permet d’influencer la politique culturelle et scientifique de l’État almohade, favorisant le développement des sciences rationnelles.

Son traité médical « Kitāb al-Kulliyyāt » (Généralités en médecine), connu en Occident sous le titre « Colliget », synthétise l’ensemble des connaissances médicales de son époque en les organisant selon les principes aristotéliciens. Cette œuvre illustre sa capacité à appliquer la méthode philosophique aux sciences particulières.

Production philosophique de la maturité

Cette période d’apogée voit l’achèvement des grands commentaires d’Aristote et la rédaction des traités philosophiques originaux qui établissent définitivement sa réputation. Ses analyses de la « Métaphysique », de la « Physique » et de l' »Éthique à Nicomaque » révèlent une maîtrise incomparable de la pensée aristotélicienne et une capacité remarquable d’innovation conceptuelle.

Ces œuvres de maturité témoignent également de sa préoccupation croissante pour les questions politiques et sociales. Ses commentaires de la « Politique » d’Aristote et son traité personnel sur la « République » de Platon révèlent un penseur soucieux d’appliquer la sagesse philosophique au gouvernement des sociétés humaines.

Disgrâce et exil

Montée de l’opposition conservatrice

Vers 1190, l’influence croissante d’Ibn Rushd suscite l’hostilité des milieux religieux conservateurs qui dénoncent ses positions philosophiques comme contraires à l’orthodoxie islamique. Ces critiques, amplifiées par les difficultés militaires de l’État almohade face aux royaumes chrétiens du Nord, créent un climat défavorable à la spéculation rationnelle.

Cette opposition révèle les tensions permanentes entre élites intellectuelles et masses populaires dans les sociétés islamiques médiévales. Les philosophes, accusés d’élitisme et d’éloignement des préoccupations religieuses ordinaires, deviennent des boucs émissaires commodes lors des crises politiques et militaires.

Procès et condamnation

En 1195, sous le règne d’Abū Yūsuf Ya’qūb al-Manṣūr, Ibn Rushd fait l’objet d’un procès en hérésie orchestré par ses ennemis théologiques. Ses œuvres philosophiques sont publiquement brûlées à Cordoue, et lui-même est exilé à Lucena, petite ville andalouse à population majoritairement juive.

Cette condamnation spectaculaire marque la victoire temporaire de l’obscurantisme religieux sur le rationalisme philosophique en Al-Andalus. L’autodafé des livres d’Ibn Rushd symbolise la rupture entre la tradition intellectuelle brillante de l’Espagne musulmane et les exigences politiques d’un pouvoir confronté à la pression militaire chrétienne.

Derniers mois à Marrakech

Quelques mois avant sa mort, Ibn Rushd obtient sa grâce et est rappelé à Marrakech par le calife. Cette réhabilitation partielle, probablement motivée par le remords et la reconnaissance tardive de ses services, arrive trop tard pour permettre une véritable restauration de son influence politique et intellectuelle.

Ces derniers mois d’exil doré à Marrakech permettent au philosophe vieillissant de mettre en ordre ses manuscrits et de préparer leur transmission à la postérité. Sa sérénité face à l’adversité témoigne de la profondeur de ses convictions philosophiques et de sa foi dans la valeur éternelle de la vérité rationnelle.

Mort et héritage immédiat

Une fin paisible

Ibn Rushd s’éteint à Marrakech le 10 décembre 1198, dans sa soixante-douzième année, entouré de quelques disciples fidèles. Sa mort, survenue loin de sa Cordoue natale, symbolise l’exil définitif de la grande tradition philosophique andalouse chassée par l’intolérance religieuse et la pression militaire externe.

Ses obsèques, célébrées selon le rite musulman malgré les accusations d’hérésie, témoignent de la reconnaissance officielle finale de sa piété et de ses mérites. Le transport ultérieur de sa dépouille à Cordoue pour inhumation définitive illustre l’attachement durable de sa famille à la terre andalouse.

Dispersion de l’héritage intellectuel

La mort d’Ibn Rushd coïncide avec l’effondrement de la tradition philosophique en Al-Andalus et au Maghreb. Ses disciples, privés de protection politique, émigrent vers l’Orient ou se convertissent au judaïsme pour échapper aux persécutions. Cette dispersion explique en partie la transmission de l’averroïsme vers l’Europe latine plutôt que vers le monde islamique.

Paradoxalement, l’œuvre du philosophe cordouan trouve son public le plus réceptif dans les universités chrétiennes émergentes où ses commentaires d’Aristote révolutionnent l’enseignement de la philosophie. Cette réception inattendue illustre l’universalité de la vérité rationnelle par-delà les frontières confessionnelles.

Influence sur l’Occident latin

L’averroïsme latin

Dès le début du XIIIe siècle, les œuvres d’Ibn Rushd sont traduites en latin et diffusées dans les universités occidentales, notamment à Paris et Padoue. Cette réception transforme radicalement l’enseignement de la philosophie en Europe en fournissant des instruments d’interprétation d’Aristote d’une sophistication inégalée.

L’averroïsme latin, incarné par des penseurs comme Siger de Brabant et Boèce de Dacie, développe certaines thèses d’Ibn Rushd dans un sens parfois contraire aux intentions originales du maître. Cette évolution autonome témoigne de la fécondité de son héritage intellectuel et de sa capacité à stimuler la créativité philosophique.

Débats scolastiques

Les positions averroïstes sur l’éternité du monde, l’unité de l’intellect agent et les rapports entre raison et foi suscitent des débats passionnés dans la scolastique latine. Thomas d’Aquin, tout en respectant le génie exégétique d’Ibn Rushd, réfute systématiquement ses thèses les plus audacieuses pour préserver l’orthodoxie chrétienne.

Ces controverses, loin de nuire à l’influence d’Ibn Rushd, contribuent à diffuser ses idées et à enrichir la philosophie médiévale. L’obligation de réfuter l’averroïsme stimule la créativité théologique et philosophique des penseurs chrétiens, confirmant indirectement la puissance spéculative du maître cordouan.

Le grand passeur entre Orient et Occident

Averroès occupe une position unique dans l’histoire de la philosophie médiévale comme dernier grand représentant de la tradition rationaliste islamique et principal transmetteur d’Aristote à l’Occident latin. Son œuvre monumentale de commentateur révèle un esprit d’une rigueur et d’une pénétration exceptionnelles, capable de restituer la pensée authentique du Stagirite tout en l’enrichissant d’innovations personnelles.

Son actualité réside dans sa défense passionnée de l’autonomie de la raison et de l’universalité de la vérité philosophique. Face aux tensions contemporaines entre foi et raison, tradition et modernité, son exemple rappelle la possibilité d’une synthèse respectueuse des exigences intellectuelles et spirituelles. Sa méthode rigoureuse d’interprétation des textes et sa confiance dans la capacité humaine d’atteindre la vérité conservent une valeur paradigmatique pour toute entreprise de dialogue interculturel et interreligieux. Plus qu’un simple commentateur, Averroès incarne l’idéal du philosophe authentique : celui qui met la totalité de son existence au service de la recherche désintéressée de la vérité universelle.

Pour approfondir

#Foi-et-raison
Averroès — Discours décisif (Flammarion)

#DeAnima
Averroès — L’intelligence et la pensée. Grand commentaire du De Anima (Flammarion)

#Biographie
Dominique Urvoy — Averroès : les ambitions d’un intellectuel musulman (Flammarion)

#QueSaisJe
Maurice-Ruben Hayoun — Averroès et averroïsme (PUF)

#Islam-et-philosophie
Alain de Libera — L’Islam et la Raison, précédée de « Pour Averroès » (Flammarion)

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