INFOS-CLÉS | |
---|---|
Nom d’origine | Muḥammad ibn Muḥammad ibn al-Ḥasan al-Ṭūsī (محمد بن محمد بن الحسن الطوسي) |
Origine | Perse (Khorasan, Tus) |
Importance | ★★★★ |
Courants | Philosophie islamique, Avicennisme, Théologie shi’ite, Péripatétisme |
Thèmes | Observatoire de Maragheh, Couple de Tusi, Éthique (Akhlāq-i Nāsirī), Polymathe |
Nasir al-Din al-Tusi fut l’un des esprits les plus universels de l’islam médiéval. Mathématicien, astronome, philosophe et théologien, il a non seulement sauvé et synthétisé le savoir grec et islamique, mais l’a également enrichi, notamment en fondant l’influent observatoire de Maragheh.
En raccourci
Né en 1201 en Perse, Nasir al-Din al-Tusi est un véritable « polymathe », un savant qui maîtrisait presque tous les savoirs de son temps : maths, astronomie, philosophie, médecine… Sa vie fut mouvementée.
Il a d’abord travaillé pour les Ismaéliens à Alamut, avant que les Mongols ne détruisent cette forteresse. Au lieu d’être tué, Al-Tusi a réussi à gagner la confiance du conquérant mongol Hulagu Khan, devenant son conseiller scientifique et astrologue.
Son plus grand exploit fut de convaincre Hulagu de financer le plus grand observatoire du monde à Maragheh. Cet observatoire n’était pas seulement destiné à regarder les étoiles ; c’était une véritable université scientifique qui a attiré des savants de Chine et d’ailleurs.
En astronomie, il a inventé un modèle géométrique (le « couple de Tusi ») que l’astronome européen Copernic utilisera des siècles plus tard. En philosophie, son livre « L’Éthique nasiréenne » est devenu un classique, mélangeant les idées d’Aristote et Platon avec la pensée islamique. Al-Tusi est un symbole du savant qui a su préserver et transformer la connaissance dans une période de grands bouleversements.
L’architecte du savoir dans la tourmente
Origines et formation d’un polymathe
Une éducation universelle
Né en 1201 à Tus, dans la région du Khorasan en Perse, Muḥammad ibn Muḥammad ibn al-Ḥasan al-Ṭūsī grandit dans un milieu érudit. Son père était un juriste respecté de l’école shi’ite duodécimaine. Il reçoit une éducation précoce et exceptionnellement large, couvrant d’abord les sciences religieuses (Coran, hadith, jurisprudence) avant de s’étendre rapidement à la logique, la philosophie, les mathématiques et les sciences naturelles.
Démontrant une soif de connaissance insatiable, il quitte Tus pour Nishapur, alors l’un des plus grands centres intellectuels du monde islamique. Il y perfectionne sa maîtrise de la philosophie d’Avicenne (Ibn Sina), étudie la médecine et se plonge dans les travaux mathématiques de ses prédécesseurs persans, comme Omar Khayyam. Cette formation de hakīm (sage-savant) fait de lui un polymathe, capable de naviguer entre théologie, science et philosophie.
Le refuge à Alamut
Le contexte politique du début du 13ᵉ siècle au Khorasan est marqué par une instabilité croissante, culminant avec l’avancée inexorable des armées mongoles. Cherchant un lieu sûr pour poursuivre ses travaux, Al-Tusi trouve refuge auprès des Ismaéliens Nizârites, qui contrôlent plusieurs forteresses imprenables, dont la célèbre Alamut.
Les sources divergent sur la nature de son séjour : fut-il un invité de marque ou un captif précieux ? Quoi qu’il en soit, il passe plus de deux décennies (environ 1230-1256) au service des Ismaéliens, bénéficiant de leurs bibliothèques exceptionnelles et d’une relative sécurité.
La production philosophique et éthique
L’Éthique nasiréenne
C’est durant sa période à Alamut qu’Al-Tusi rédige son œuvre philosophique la plus célèbre, l’Akhlāq-i Nāsirī (L’Éthique nasiréenne). Commandée par le gouverneur ismaélien Nasir al-Din ‘Abd al-Rahim, cette œuvre est bien plus qu’une simple commande. Elle constitue la synthèse la plus aboutie de l’éthique philosophique en langue persane.
Al-Tusi y fusionne trois traditions : l’éthique à la première personne d’Aristote (basée sur la vertu), la gestion domestique (inspirée des Grecs) et la politique (fortement influencée par Platon et Al-Farabi). Il structure son propos autour du perfectionnement de l’individu, de la gestion de la famille et de l’organisation de la cité juste. L’ouvrage devient un classique de la pensée morale islamique, étudié pendant des siècles en Perse, en Asie centrale et dans le sous-continent indien.
L’engagement théologique
Durant cette période, Al-Tusi écrit également sur la théologie ismaélienne. Cependant, après sa « libération » par les Mongols, il reniera ces écrits, affirmant les avoir produits sous la contrainte (taqiyya, ou dissimulation) et réaffirmera son adhésion au shi’isme duodécimain de son enfance.
Il se consacre alors à la défense de la philosophie péripatéticienne (inspirée d’Aristote et Avicenne), notamment à travers son commentaire incisif de l’œuvre d’Avicenne, le défendant contre les critiques des théologiens comme Fakhr al-Din al-Razi.
Le tournant mongol et la fondation de Maragheh
La chute d’Alamut et le siège de Bagdad
La vie d’Al-Tusi bascule en 1256. Hulagu Khan, petit-fils de Gengis Khan, mène l’armée mongole et rase la forteresse d’Alamut. Conscient de l’inutilité de la résistance, Al-Tusi joue un rôle de négociateur. Son érudition et sa maîtrise de l’astronomie (et donc de l’astrologie, très prisée des Mongols) impressionnent Hulagu, qui l’épargne et en fait son conseiller personnel.
En 1258, Al-Tusi accompagne Hulagu lors du siège et de la destruction de Bagdad, qui met fin au califat abbasside. Son rôle exact dans cet événement tragique reste débattu par les historiens. Certains chroniqueurs sunnites l’accusent d’avoir encouragé le sac de la ville, tandis que d’autres estiment qu’il a profité de sa position pour sauver un grand nombre de savants et de manuscrits de la destruction.
L’observatoire de Maragheh
Le véritable coup de maître d’Al-Tusi survient peu après. Il convainc Hulagu Khan qu’un souverain aussi puissant a besoin de prédictions astrologiques fiables, lesquelles ne peuvent reposer que sur des observations astronomiques précises. Il obtient ainsi le financement pour la construction du plus grand observatoire jamais bâti jusqu’alors.
Fondé en 1259 à Maragheh (dans l’actuel Azerbaïdjan iranien), l’observatoire devient un centre de recherche scientifique sans équivalent. Al-Tusi rassemble une équipe de savants de tout l’empire, de la Chine à la Syrie. L’institution est dotée d’instruments monumentaux et d’une bibliothèque contenant, selon les estimations, près de 400 000 volumes, dont beaucoup ont été sauvés de Bagdad.
L’héritage scientifique et la postérité
L’innovateur en astronomie
À Maragheh, Al-Tusi et son équipe (l’« École de Maragheh ») ne se contentent pas de compiler. Ils critiquent le modèle de Ptolémée, qui domine l’astronomie depuis l’Antiquité, en soulignant ses incohérences mathématiques.
L’innovation la plus remarquable d’Al-Tusi est le « couple de Tusi ». Il s’agit d’un modèle géométrique ingénieux où deux cercles en rotation permettent de générer un mouvement linéaire parfait. Ce dispositif résolvait élégamment certains problèmes des modèles ptolémaïques. Des siècles plus tard, un mécanisme mathématiquement identique réapparaîtra dans l’œuvre de Nicolas Copernic, suggérant une transmission, encore mal comprise, des travaux de Maragheh vers l’Europe de la Renaissance.
L’œuvre mathématique et théologique
Parallèlement, Al-Tusi révolutionne les mathématiques en traitant la trigonométrie comme une discipline distincte de l’astronomie pour la première fois.
Dans ses dernières années, il rédige également des ouvrages majeurs de théologie shi’ite, dont le Tajrīd al-iʿtiqād (Somme des doctrines), qui devient un texte fondamental et abondamment commenté de la théologie shi’ite. Il meurt en 1274 à Bagdad, alors qu’il s’occupait des biens religieux.
Nasir al-Din al-Tusi incarne la figure du hakīm (sage-savant) de l’islam classique. Plus qu’un simple compilateur, il fut un innovateur en mathématiques et un synthétiseur en philosophie éthique. Son habileté politique, bien que controversée, lui permit de transformer une catastrophe militaire (l’invasion mongole) en une opportunité intellectuelle, créant à Maragheh un pont scientifique entre l’Orient et l’Occident. Son œuvre, en particulier son modèle astronomique et son éthique, montre la vitalité de la pensée rationnelle islamique bien après son « âge d’or » supposé, et son influence s’étend jusqu’aux fondements de la science moderne européenne.