INFOS-CLÉS | |
|---|---|
| Nom d’origine | Adam Stanisław Naruszewicz |
| Origine | Pologne-Lituanie |
| Importance | ★★★ |
| Courants | Lumières, historiographie moderne |
| Thèmes | historiographie critique, poésie néoclassique, réforme politique, éducation jésuite |
Prêtre jésuite, poète et historien, Adam Naruszewicz incarne la figure de l’intellectuel éclairé dans la Pologne du XVIIIᵉ siècle. Premier historien moderne de la nation polonaise, il a posé les fondements d’une approche critique des sources historiques tout en participant activement à la vie politique et culturelle de son époque.
En raccourci
Adam Naruszewicz représente l’archétype de l’homme de lettres des Lumières polonaises. Né en 1733 dans une famille de petite noblesse lituanienne, il entre chez les jésuites et reçoit une formation intellectuelle rigoureuse. D’abord poète reconnu, il devient progressivement l’historien officiel du royaume sous le règne de Stanisław August Poniatowski.
Son œuvre majeure, l’Histoire de la nation polonaise, marque un tournant dans l’historiographie polonaise par son usage systématique des sources primaires et son approche critique. Proche du pouvoir royal, il défend les idées réformistes tout en préservant une certaine indépendance intellectuelle. Évêque de Smolensk puis de Łuck, il poursuit son travail historique jusqu’à sa mort en 1796, laissant une œuvre inachevée mais fondatrice pour la conscience historique polonaise.
Origines et formation
Milieu familial et contexte social
Né le 20 octobre 1733 à Pinsk, dans le grand-duché de Lituanie, Adam Stanisław Naruszewicz grandit au sein d’une famille de petite noblesse aux moyens modestes. Son père, notaire de district, valorise l’éducation comme voie d’ascension sociale. L’environnement multiculturel de la Pologne-Lituanie, où coexistent catholiques, orthodoxes, juifs et protestants, forge dès l’enfance sa sensibilité aux questions religieuses et politiques.
Formation jésuite
À quatorze ans, il intègre le noviciat jésuite de Nieśwież. L’éducation jésuite, reconnue pour sa rigueur intellectuelle et son ouverture aux sciences modernes, lui offre une formation complète : rhétorique latine, philosophie aristotélicienne revisitée, mathématiques et sciences naturelles. Durant ses années de scolasticat à Vilnius (1751-1754), il découvre les auteurs classiques mais aussi les philosophes contemporains, malgré la prudence de l’ordre face aux idées nouvelles.
Jeunesse intellectuelle et premiers écrits
L’éveil poétique
Professeur de rhétorique au collège jésuite de Brest-Litovsk dès 1754, Naruszewicz compose ses premiers poèmes en latin et en polonais. Son talent lui vaut rapidement une reconnaissance dans les cercles lettrés. La poésie constitue alors le principal vecteur de la vie intellectuelle polonaise, et ses vers néoclassiques, inspirés d’Horace et de Boileau, témoignent d’une maîtrise formelle remarquable.
Rencontres déterminantes
L’année 1762 marque un tournant : il rencontre le prince Adam Kazimierz Czartoryski, figure centrale du parti réformateur. Cette protection aristocratique lui ouvre les portes de la haute société varsovienne. Parallèlement, sa correspondance avec des érudits européens, notamment les bénédictins mauristes français, l’initie aux méthodes critiques de l’historiographie moderne.
Ascension et reconnaissance
Au service du roi Stanisław August
L’élection de Stanisław August Poniatowski au trône de Pologne en 1764 transforme la trajectoire de Naruszewicz. Rapidement remarqué par le monarque éclairé, il devient l’un de ses conseillers culturels. Sa nomination comme historiographe royal en 1768 consacre sa position d’intellectuel officiel tout en lui offrant les moyens matériels de ses ambitions savantes.
Production littéraire et engagement politique
Entre 1765 et 1775, il publie plusieurs recueils poétiques qui mêlent célébration du règne nouveau et méditation sur le destin national. Ses Odes (1767) et ses Satyres (1772) révèlent un penseur tiraillé entre optimisme réformateur et inquiétude face aux menaces extérieures. Membre actif de la Commission d’éducation nationale créée en 1773, il contribue à la refonte du système éducatif polonais après la dissolution de l’ordre jésuite.
Son oeuvre poétique n’est guère reconnue aujourd’hui. Le site du ministère de la culture polonais le décrit ainsi :
Sa poésie se caractérise par son didactisme, son ton moralisateur, sa rhétorique, ainsi que par la distance et la retenue avec lesquelles il exprime son moi poétique. La poésie de Naruszewicz combine à la fois la recherche d’une expression rhétorique et solennelle et la lutte contre les schémas linguistiques. Dans sa poésie, les tendances classicistes s’entremêlent avec un style baroque. Parmi les motifs caractéristiques de ses textes, on trouve les sphères célestes, le cosmos et les limites de la cognition. Il était fasciné par les possibilités offertes par la technologie (comme dans son ode au Ballon).
Il était surtout apprécié pour ses Satires, qui sont une preuve indéniable du talent de Naruszewicz et dans lesquelles il présentait son imagination, son esprit et son ironie précise. Le thème des Satires est fortement ancré dans les réalités morales et politiques du siècle des Lumières. Naruszewicz y laisse libre cours à son inspiration. De manière très décomplexée, il se venge de ceux qu’il a dû flatter pendant des années. Il critique le comportement de la noblesse, l’anarchie, la corruption morale, les ténèbres de la société et les pays étrangers à la mode.
L’œuvre historique majeure
Méthodologie novatrice
L’Histoire de la nation polonaise depuis Mieszko Ier, dont les premiers volumes paraissent en 1780, constitue son legs principal.
Rompant avec la tradition des chroniques dynastiques, Naruszewicz applique les principes de la critique documentaire : vérification systématique des sources, confrontation des témoignages, distinction entre fait avéré et légende.
Son approche, influencée par Muratori et les mauristes, fait de lui le père de l’historiographie polonaise moderne. Suivant les préceptes des Lumières, il introduit une périodisation dynastique de l’histoire polonaise (période préhistorique, dynastie Piast, dynastie Jagellon, monarchie élective), structurée selon le modèle classique de Tacite avec une organisation chronologique stricte par règnes et années
A l’origine de l’ouvrage figurent ainsi les « dossiers Naruszewicz », une compilation de près de 40 000 copies de documents variés (archives privées, actes juridiques, octroi de privilège royal) qui a été enrichie au fil des années et dont 200 volumes figurent aujourd’hui à la bibliothèque Czartorysk de Cracovie et qui représentent une photographie étonnante de l’histoire polonaise.
Ambitions et limites
Prévu en douze volumes couvrant l’histoire polonaise jusqu’à son époque, le projet reste inachevé : seuls sept tomes, allant jusqu’à 1386, voient le jour. Il décide de ne pas publier le premier volume (qui ne sera publié qu’en 1824 de façon posthume) en raison de revirements sur sa description des origines du peuple polonais. Les volumes II à VII paraissent entre 1780 et 1786.
L’œuvre dépasse la simple compilation : elle propose une interprétation cohérente du développement national, soulignant les facteurs géographiques, économiques et culturels. Naruszewicz défend la thèse d’une Pologne naturellement destinée à la grandeur mais affaiblie par ses divisions internes..
Fermement aligné sur le roi Poniatowski, il défend dans son œuvre la cause de la monarchie forte contre les privilèges nobiliaires, critiquant vivement les institutions de la République nobiliaire comme la Liberté dorée et l’élection libre.
Adoptant une perspective séculariste typique des Lumières, il refuse d’expliquer l’histoire par l’intervention divine, tout en restant critique envers la diversité religieuse qu’il perçoit comme un facteur d’affaiblissement de l’État. S
a méthode critique le conduit à rejeter plusieurs légendes nationales comme des contes, bien qu’il accepte paradoxalement le mythe sarmate de l’origine de la noblesse polonaise. Cette approche focalisée sur l’histoire de l’État polonais à travers ses rois, guerres et traités, fondera l’école historiographique dite « de Naruszewicz », défendant un pouvoir central fort, par opposition à l’école plus libérale-républicaine de Lelewel qui émergera ultérieurement.
Dernières années et bilan
L’évêque historien
Nommé évêque de Smolensk en 1788 puis de Łuck en 1790, Naruszewicz concilie charges ecclésiastiques et travail intellectuel. Les bouleversements politiques – second puis troisième partage de la Pologne – assombrissent ses dernières années. Son pessimisme croissant transparaît dans sa correspondance, où il médite sur l’échec des réformes et la disparition de l’État polonais.
Mort et postérité immédiate
Il meurt le 8 juillet 1796 à Janów Podlaski, laissant une œuvre considérable mais inachevée. Ses manuscrits, dispersés après sa mort, ne seront que partiellement publiés. La réception contemporaine reste mitigée : les conservateurs lui reprochent son rationalisme, les patriotes son apparente résignation face au démembrement national.
Héritage intellectuel
Malgré les critiques, l’influence de Naruszewicz sur l’historiographie polonaise demeure décisive. Sa méthode critique inspire les historiens du XIXᵉ siècle, notamment Joachim Lelewel. Plus largement, son œuvre témoigne des tensions propres aux Lumières polonaises : entre universalisme européen et spécificité nationale, entre foi catholique et rationalisme critique, entre espoir réformateur et tragédie politique. Figure complexe d’une époque charnière, Naruszewicz illustre les possibilités et les limites de l’engagement intellectuel dans une nation en péril.










