INFOS-CLÉS | |
|---|---|
| Origine | États-Unis (Chicago, Illinois) |
| Importance | ★★★ |
| Courants | Théorie littéraire, études juives, herméneutique rabbinique |
| Thèmes | herméneutique rabbinique, déconstruction, midrash, théorie littéraire juive, pédagogie |
Susan Handelman, professeure de littérature anglaise à l’université Bar-Ilan, renouvelle depuis les années 1980 la compréhension des rapports entre pensée juive traditionnelle et théorie littéraire contemporaine, démontrant l’influence profonde de l’herméneutique rabbinique sur les courants critiques modernes.
En raccourci
Native de Chicago, Susan Handelman obtient son diplôme de premier cycle au Smith College en 1971, puis poursuit à l’université d’État de New York à Buffalo où elle obtient sa maîtrise en 1977 et son doctorat en 1979. Sa thèse porte sur les relations entre exégèse biblique et critique littéraire.
En 1982, elle publie The Slayers of Moses, ouvrage fondateur qui établit les connexions entre l’herméneutique rabbinique et les théories modernes de l’interprétation. Elle y démontre que Freud, Lacan, Derrida, Harold Bloom et Geoffrey Hartman prolongent, souvent sans le savoir, des modes d’interprétation développés dans la tradition rabbinique. Cette thèse audacieuse distingue deux lignées herméneutiques : l’approche grecque, privilégiant l’abstraction et la métaphore, et l’approche rabbinique, valorisant la textualité et la métonymie.
Après vingt années d’enseignement à l’université du Maryland (1979-2000), où elle obtient de nombreuses distinctions pédagogiques, elle s’installe en Israël pour rejoindre Bar-Ilan University. Son second livre majeur, Fragments of Redemption (1991), explore les idéologies messianiques chez Walter Benjamin, Gershom Scholem et Emmanuel Levinas, trois figures qui articulent pensée juive et modernité européenne.
Pédagogue reconnue, elle reçoit plusieurs prix d’excellence : Distinguished Scholar-Teacher Award (1989-90), Teacher of the Year (1991), et une bourse Howard Foundation à Brown University (1982-83). Ses travaux récents portent sur les relations maître-disciple dans le Talmud, les lectures féministes de textes classiques juifs, et les dimensions spirituelles de l’enseignement universitaire.
Origines et formation intellectuelle
Enfance chicagoane et premières études
Née à Chicago à la fin des années 1940, Handelman grandit dans un environnement urbain américain où la communauté juive maintient ses liens avec la tradition tout en participant pleinement à la vie intellectuelle américaine. Cette double appartenance – enracinement dans le judaïsme et immersion dans la culture américaine – structure sa trajectoire.
Elle intègre le Smith College à Northampton, Massachusetts, établissement réputé pour son excellence académique et son engagement féministe. En 1971, elle obtient son baccalauréat en littérature anglaise avec mention magna cum laude. Ces années formatrices coïncident avec les transformations sociales des années 1960-70 : mouvements des droits civiques, féminisme de la deuxième vague, contestation de la guerre du Vietnam.
Parcours doctoral à Buffalo
L’université d’État de New York à Buffalo accueille dans les années 1970 l’un des centres les plus dynamiques de théorie littéraire aux États-Unis. Handelman y obtient sa maîtrise en 1977, puis son doctorat en 1979. Sa thèse, intitulée On Interpreting Sacred and Secular Scripture: The Relation of Biblical Exegesis to Literary Criticism, pose les bases de son projet intellectuel : comprendre comment les méthodes d’exégèse biblique et rabbinique éclairent la critique littéraire moderne.
Cette recherche doctorale s’inscrit dans le contexte effervescent de la théorie littéraire américaine des années 1970. Le structuralisme français, la déconstruction derridienne, la psychanalyse lacanienne bouleversent les approches traditionnelles du texte littéraire. Handelman perçoit dans ces mouvements théoriques des affinités profondes avec l’herméneutique rabbinique.
En 1978-79, elle reçoit une bourse de la Memorial Foundation for Jewish Culture, reconnaissance de l’originalité de ses recherches sur les dimensions juives de la théorie contemporaine.
Émergence intellectuelle : The Slayers of Moses
Installation à l’université du Maryland
En 1979, fraîchement docteure, Handelman rejoint le département d’anglais de l’université du Maryland à College Park. Cette institution, proche de Washington, offre un environnement académique stimulant. Elle y restera vingt et un ans, jusqu’en 2000.
Dès son arrivée, elle poursuit ses recherches sur les racines théologiques de l’herméneutique moderne. Une bourse de la General Research Board de l’université (1980, 1982, 1985, 1993) lui permet d’approfondir ses travaux durant plusieurs étés.
Publication et réception de l’œuvre majeure
En 1982, la State University of New York Press publie The Slayers of Moses: The Emergence of Rabbinic Interpretation in Modern Literary Theory. Ce livre constitue une intervention majeure dans les débats théoriques de l’époque. Handelman y développe une thèse en deux temps.
D’abord, elle établit une généalogie des modes d’interprétation occidentaux. La tradition grecque, initiée par Platon et Aristote, privilégie l’accès au sens par l’abstraction, la transcendance du texte vers l’idée. Le dialogue platonicien du Cratyle interroge le rapport entre mots et choses, tandis qu’Aristote développe une théorie de la prédication qui subordonne le langage à la logique. Cette approche grecque valorise la métaphore, figure permettant le passage du particulier à l’universel.
Face à cette tradition hellénique, l’herméneutique rabbinique développe des procédures radicalement différentes. Le texte biblique possède une sainteté intrinsèque : chaque lettre, chaque détail compte. Les rabbins élaborent des règles d’interprétation (middot) qui articulent général et particulier sans hiérarchie préétablie. Le midrash, mode d’exégèse rabbinique, procède par associations, jeux de mots, rapprochements textuels. Cette méthode privilégie la métonymie – contiguïté, déplacement horizontal – plutôt que la métaphore verticale.
Dans un second temps, Handelman démontre que les théories modernes de l’interprétation reprennent, souvent inconsciemment, les procédures rabbiniques. Sigmund Freud – qu’elle nomme ironiquement « Salomon-Sigmund, fils de Jacob » – développe une herméneutique du soupçon qui ressemble au midrash : attention aux détails, aux lapsus, aux déplacements de sens. Jacques Lacan, avec son « retour à Freud », élabore une théorie du signifiant qui fait écho aux conceptions rabbiniques du nom divin.
Jacques Derrida, qu’elle désigne par le titre « Reb Derrida’s Scripture », déconstruit la métaphysique occidentale de la présence en valorisant l’écriture, la trace, le différé – autant de notions qui trouvent leurs précédents dans la tradition du commentaire talmudique. Harold Bloom, critique littéraire américain d’origine juive, théorise l’angoisse de l’influence en empruntant explicitement à la Kabbale et à Gershom Scholem.
Geoffrey Hartman, lui aussi issu du judaïsme européen, développe une critique qui refuse la transparence du sens et valorise l’épaisseur textuelle. Ces penseurs, qu’ils soient conscients ou non de leurs sources judaïques, prolongent des modes d’interprétation élaborés dans les yeshivot pendant des siècles.
Impact et reconnaissance
The Slayers of Moses obtient un succès immédiat. Traduit en japonais dès 1987, l’ouvrage remporte le 24ᵉ prix de traduction culturelle du Japon en 1988. Cette reconnaissance internationale atteste de l’universalité des questions posées.
Le livre transforme les études juives en montrant que la pensée rabbinique n’appartient pas seulement à l’histoire religieuse, mais irrigue la théorie critique contemporaine. Il offre aussi aux chercheurs en littérature des outils conceptuels issus d’une tradition jusqu’alors marginalisée dans l’académie.
Handelman reçoit en 1982-83 une bourse de la Howard Foundation à Brown University, lui permettant d’approfondir ses recherches. Cette période coïncide avec une effervescence dans les études sur les rapports entre judaïsme et modernité.
Développements et approfondissements
Excellence pédagogique
Parallèlement à ses recherches, Handelman se distingue par ses qualités d’enseignante. En 1987, elle obtient un Special Research Assignment du College of Arts and Humanities, ainsi qu’une bourse Ivry du Meyerhoff Center for Jewish Studies.
En 1989-90, l’université du Maryland lui décerne le Distinguished Scholar-Teacher Award, récompensant l’alliance exceptionnelle entre recherche de pointe et pédagogie innovante. En 1991, la Panhellenic Association étudiante la nomme « Teacher of the Year ». L’année suivante, le journal étudiant Diamondback la classe parmi les dix meilleurs professeurs du campus.
Ces distinctions reflètent son engagement dans une pédagogie qui articule rigueur intellectuelle et dimension spirituelle. Plusieurs de ses essais explorent cette articulation : « Knowledge Has a Face: The Jewish, the Personal, and the Pedagogical » et « Stopping the Heart: The Spiritual Search of Students and the Challenge to a Professor in an Undergraduate Literature Class ».
Fragments of Redemption : messianisme et modernité
En 1991, Indiana University Press publie Fragments of Redemption: Jewish Thought and Literary Theory in Benjamin, Scholem, and Levinas. Cet ouvrage de près de quatre cents pages examine trois penseurs juifs majeurs du XXᵉ siècle qui, chacun à sa manière, articulent tradition juive et modernité européenne.
Walter Benjamin (1892-1940), critique littéraire et philosophe allemand, développe une pensée du langage et de l’histoire imprégnée de messianisme juif. Sa conception de la traduction, exposée dans « La tâche du traducteur », vise un « langage pur » qui transcende les langues particulières. Son interprétation allégorique du drame baroque allemand et sa philosophie de l’histoire – incarnée par l’image de l’Ange de l’Histoire – portent les traces d’une eschatologie sécularisée.
Gershom Scholem (1897-1982), historien de la mystique juive, transforme la Kabbale en objet d’étude académique. Sa relation complexe avec Benjamin – documentée par leur correspondance – révèle deux manières de mobiliser le messianisme juif face à la modernité. Scholem critique le marxisme de Benjamin tout en reconnaissant leurs affinités profondes.
Emmanuel Levinas (1906-1995), philosophe formé dans la tradition phénoménologique continentale, élabore une éthique fondée sur la rencontre du visage d’autrui. Handelman analyse comment cette philosophie s’enracine dans la tradition juive : le « me voici » (hineni) d’Abraham devant Dieu devient la structure même de la responsabilité éthique. Les conférences talmudiques de Levinas, données annuellement au Colloque des intellectuels juifs de langue française, proposent des lectures qui actualisent les textes rabbiniques.
L’ouvrage reçoit des critiques élogieuses. Choice salue « un volume savant et subtil ». Moment apprécie « le traitement complet et pénétrant qui combine intérêt pour la théorie littéraire et philosophie juive moderne ». Le Times Literary Supplement estime que « Fragments of Redemption peut servir de guide éclairant pour le parcours de la pensée continentale moderne, ainsi que des contributions juives à celle-ci ».
Une traduction japonaise paraît en 2005 aux presses universitaires Hohsei de Tokyo, témoignant à nouveau de la portée internationale de ses travaux.
Transition israélienne et maturité intellectuelle
Déménagement en Israël
En 2000, après deux décennies à Maryland, Handelman accepte un poste de professeure de littérature anglaise à l’université Bar-Ilan, située à Ramat Gan près de Tel-Aviv. Cette institution, fondée en 1955, se distingue par son projet de concilier excellence académique et fidélité à la tradition juive.
Ce déménagement représente bien plus qu’un simple changement professionnel. S’installer en Israël constitue pour Handelman un engagement existentiel. Entre 1997 et 1999, elle avait participé au programme Jerusalem Fellows de la Mandel School for Educational Leadership, préparant cette transition.
Bar-Ilan offre un environnement particulièrement propice à ses recherches. L’université accueille de nombreux chercheurs travaillant sur les relations entre judaïsme et modernité. Handelman y développe un programme d’études sur le genre (Gender Studies), publiant en 2002 un article réflexif sur cette expérience pédagogique : « Go Down Moses: Teaching in the New M.A. in Gender Studies Program at Bar-Ilan University ».
Make Yourself a Teacher : pédagogie talmudique
Durant les années 2000, Handelman travaille à un projet de longue haleine qui aboutit à Make Yourself a Teacher: Rabbinic Tales of Mentors and Disciples (2011, University of Washington Press). Cet ouvrage examine trois récits talmudiques célèbres concernant les relations maître-disciple dans le judaïsme rabbinique.
Ces narrations – souvent dramatiques, parfois tragiques – explorent les dynamiques complexes de la transmission du savoir. Le livre constitue à la fois une étude savante de textes classiques et une méditation sur la pédagogie contemporaine. Finaliste du National Jewish Book Award en 2012, il confirme la capacité de Handelman à articuler érudition traditionnelle et préoccupations modernes.
Dans « Torah of the Belly: R. Eliezer Starves for a Teacher », elle analyse le récit d’un sage affamé de Torah au point de mettre en danger sa vie physique. « The Gates of Wounded Feelings: The Banning of R. Eliezer » examine l’exclusion d’un maître pour hérésie, interrogeant les frontières de l’orthodoxie. « Father! Father! Israel’s Chariot and its Horsemen: The Passing of Rabbi Eliezer » médite sur la mort du maître et la transmission intergénérationnelle.
Contributions éditoriales et essais
Handelman co-édite plusieurs volumes collectifs qui enrichissent le champ des études juives. Torah of the Mothers: Contemporary Jewish Women Read Classical Jewish Texts (avec Tamar Frankiel) donne la parole à des interprétations féministes des sources rabbiniques.
Wisdom from All My Teachers: Challenges and Initiatives in Contemporary Torah Education (avec Jeffrey Saks) réunit des réflexions sur la pédagogie juive moderne. Psychoanalysis and Religion (co-édité avec Joseph H. Smith) explore les rapports entre ces deux domaines.
Ses articles couvrent un spectre large : relations entre Emmanuel Levinas, Chaïm Perelman et Franz Rosenzweig (« Facing the Other », 1990) ; Walter Benjamin et l’ange de l’histoire (1992) ; herméneutique rabbinique et bande dessinée (« Is Midrash Comics? », 2014) ; raisons de ne plus enseigner « la Bible en tant que littérature » (2015).
Engagement spirituel et politique de la connaissance
Académie et spiritualité
Plusieurs essais de Handelman interrogent la possibilité d’articuler vie académique et quête spirituelle. Dans « We Cleverly Avoided Talking About God: Personal and Pedagogical Reflections on Academia and Spirituality » (1999), elle critique la séparation conventionnelle entre recherche savante et questions existentielles.
« Crossing the Void: A Meditation on Postmodern Jewish Theological Renewal » (2000) médite sur les conditions d’un renouveau théologique juif après la postmodernité. « Emunah: The Craft of Faith » (1992) explore la foi en tant qu’artisanat intellectuel et spirituel, plutôt qu’adhésion dogmatique.
Cette préoccupation pour la dimension spirituelle de l’enseignement la conduit à s’interroger sur l’expérience étudiante. Dans « Stopping the Heart », elle analyse comment la littérature peut provoquer chez les étudiants une recherche spirituelle que l’institution académique peine à accueillir.
Féminisme et tradition
Position délicate que celle d’une universitaire féministe attachée au judaïsme orthodoxe. Handelman ne résout pas cette situation par l’abandon de l’un ou l’autre pôle, mais par un travail patient d’articulation.
Son essai « Putting Women in the Picture: A Personal Account of the Lubavitcher Rebbe’s Attitude Towards Feminism » (2008) examine les positions du Rabbi de Loubavitch sur l’étude féminine de la Torah. « Women and the Study of the Torah in the Thought of the Lubavitcher Rebbe: A Halakhic Analysis » (1998) propose une analyse juridique des possibilités ouvertes aux femmes dans le cadre de la halakha.
Ces réflexions s’inscrivent dans un mouvement plus large de féminisme juif orthodoxe, cherchant à élargir les espaces d’étude et de pratique féminins sans rompre avec la tradition halakhique.
Contributions récentes et actualité
Herméneutique visuelle et narrative graphique
Les travaux olus récents de Handelman explorent les frontières entre textualité rabbinique et culture visuelle contemporaine. Dans « Is Midrash Comics?: A Fish Story About Graphic Narrative, Visual Rhetoric and Rabbinic Hermeneutics » (2014), elle rapproche les techniques midrashiques du récit graphique.
« God’s Comics: The Hebrew Alphabet as Graphic Narrative » (2018) examine comment l’alphabet hébreu fonctionne en tant que système visuel porteur de sens. Cette attention aux dimensions graphiques du texte prolonge les intuitions rabbiniques sur la matérialité de l’écriture.
Rhétorique juive
« The Philosopher, the Rabbi, and the Rhetorician » (2010), publié dans un numéro spécial de College English consacré à la rhétorique juive, analyse les modes d’argumentation propres à la tradition rabbinique. Face à la rhétorique classique greco-romaine, Handelman identifie des procédures argumentatives spécifiques au Talmud.
Son chapitre « Judaism » dans The Cambridge Companion to Literature and Religion (2016) offre une synthèse accessible de ses décennies de recherche sur les relations entre littérature et pensée juive.
Critique de la critique
« Why I Don’t Teach ‘The Bible as Literature’ Anymore » (2015) marque une prise de position forte. Handelman y explique pourquoi l’approche « littéraire » de la Bible, apparemment neutre, impose en réalité des catégories chrétiennes et sécularisées qui déforment le texte juif. Elle plaide pour des pédagogies qui respectent l’intégrité des textes sacrés sans les réduire à leur dimension esthétique.
Rayonnement et influence
Réseau international
Handelman donne des conférences dans les universités majeures : Rice University (Distinguished Visiting Scholar NEH), University of Chicago Divinity School, Princeton, Yale, Harvard, Johns Hopkins Humanities Center, Hebrew Union College. Son réseau s’étend à Israël, où elle intervient régulièrement.
Membre de communautés savantes internationales, elle contribue aux débats sur l’herméneutique, la théorie littéraire et les études juives. Ses traductions japonaises attestent d’une réception au-delà du monde occidental.
Reconnaissance académique
Outre ses distinctions pédagogiques, Handelman reçoit des bourses prestigieuses : Guggenheim (candidature), NEH, Ford Foundation. Son travail influence une génération de chercheurs travaillant à l’intersection de la théorie littéraire et des études juives.
Citée près de deux mille fois selon Google Scholar, elle occupe une place centrale dans les débats sur l’herméneutique juive et la critique littéraire. Son œuvre nourrit aussi bien les départements d’anglais que les programmes d’études judaïques.
Héritage intellectuel
L’œuvre de Susan Handelman transforme durablement le paysage intellectuel. En révélant les racines rabbiniques de théories apparemment séculières, elle redistribue les cartes de l’histoire intellectuelle. Freud, Derrida, Lacan ne sont plus seulement des héritiers de la philosophie européenne, mais aussi – consciemment ou non – des continuateurs de traditions exégétiques juives millénaires.
Cette généalogie alternative conteste l’idée d’une modernité purement occidentale. Les Lumières, le romantisme, la psychanalyse, le structuralisme, la déconstruction portent des traces de traditions non grecques souvent occultées. Rendre visible cette généalogie juive constitue un acte à la fois scientifique et politique.
Handelman refuse la séparation entre rigueur académique et préoccupations existentielles. Ses écrits sur la pédagogie insistent sur la dimension éthique et spirituelle de l’enseignement. Cette position, parfois marginalisée dans l’université sécularisée, gagne en pertinence face aux crises contemporaines du sens et de la transmission.
Son féminisme orthodoxe, position inconfortable, ouvre néanmoins des espaces pour penser l’égalité sans rupture avec la tradition. Cette voie étroite – refusant tant le traditionalisme figé que la modernité amnésique – inspire d’autres femmes engagées dans des démarches similaires.
En articulant avec érudition trois traditions souvent séparées – littérature anglaise, philosophie continentale, pensée rabbinique –, Susan Handelman élargit considérablement les horizons de chacune. Elle démontre que le dialogue entre cultures enrichit plutôt qu’il n’affaiblit, que la fidélité à une tradition peut nourrir la créativité intellectuelle plutôt que l’entraver. Son œuvre demeure une référence pour quiconque s’intéresse aux relations entre texte, interprétation et identité.








