Définition et étymologie
Le midrash (hébreu : מִדְרָשׁ, pluriel : midrashim) désigne à la fois une méthode d’interprétation des textes bibliques et le corpus littéraire qui en résulte. Le terme dérive de la racine hébraïque ד-ר-ש (darash), signifiant « chercher », « scruter », « interroger » ou « interpréter ». Le midrash représente ainsi l’acte de « rechercher » le sens profond des Écritures au-delà de leur signification littérale immédiate.
Cette pratique herméneutique, développée par les rabbins du Talmud et de la période post-talmudique (du IIe au Xe siècle environ), part du principe que le texte biblique, parole divine, contient des niveaux de sens multiples et inépuisables. Chaque mot, chaque lettre, voire chaque anomalie grammaticale ou répétition peut receler une signification spirituelle, légale ou éthique qu’il convient d’extraire par un questionnement méthodique.
Types et méthodes
On distingue traditionnellement deux grandes catégories de midrash : le midrash halakha et le midrash aggada. Le premier concerne l’interprétation des passages législatifs de la Torah pour en dériver des lois pratiques et des normes juridiques. Le second, de nature narrative et homilétique, explore les dimensions éthiques, théologiques et symboliques du texte sacré, comblant les lacunes narratives et enrichissant les récits bibliques de détails imaginatifs.
Les techniques midrashiques incluent diverses règles herméneutiques (middot), codifiées notamment par Rabbi Ismaël en treize principes. Parmi celles-ci : l’inférence a fortiori (kal va-homer), l’analogie verbale (gezerah shavah), la généralisation à partir de cas particuliers, ou encore l’interprétation basée sur le contexte. Ces méthodes permettent d’établir des connexions entre passages dispersés, de résoudre des contradictions apparentes et de déduire des enseignements implicites.
Portée philosophique et herméneutique
Le midrash incarne une conception particulière du langage et de la vérité. Contrairement à une lecture historico-critique moderne qui cherche le sens originel unique d’un texte, l’herméneutique midrashique présuppose que la parole divine transcende toute signification univoque. Cette approche rappelle la célèbre formule talmudique : « La Torah a soixante-dix faces » (shiv’im panim la-Torah), suggérant une pluralité légitime d’interprétations.
Cette méthode soulève des questions épistémologiques fondamentales. Comment la multiplicité des sens s’articule-t-elle avec l’autorité du texte ? Quelle est la nature de la vérité dans un système où plusieurs interprétations contradictoires peuvent coexister ? Le midrash développe implicitement une théorie de la lecture où le lecteur devient co-créateur du sens, en dialogue constant avec la tradition.
Emmanuel Levinas, philosophe du XXe siècle profondément influencé par la tradition talmudique, voit dans la méthode midrashique un modèle éthique de relation au texte et à l’Autre. L’interprétation midrashique, par son refus de clôturer le sens, maintient ouverte une responsabilité infinie envers la parole reçue. Pour Levinas, lire selon le midrash, c’est reconnaître que le texte nous précède et nous excède, nous appelant à une réponse toujours renouvelée.
Exemples caractéristiques
Un exemple classique de midrash aggadique concerne le sacrifice d’Isaac (Aqedah). Là où le texte biblique reste sobre et énigmatique sur les motivations et sentiments des protagonistes, les midrashim enrichissent le récit : Satan tente d’empêcher Abraham, Isaac dialogue avec son père sur le sens du sacrifice, Sarah meurt de chagrin en apprenant l’épreuve. Ces amplifications narratives transforment un récit laconique en méditation théologique sur la foi, l’obéissance et la relation père-fils.
Le midrash sur la Création (Bereshit Rabbah) illustre la dimension spéculative. Les rabbins s’interrogent : avec quoi Dieu a-t-il créé le monde ? Pourquoi la Torah commence-t-elle par la lettre bet et non aleph ? Qu’existait-il avant la Création ? Ces questions métaphysiques montrent comment le midrash transforme le récit cosmogonique en terrain d’exploration philosophique.
Influence et actualité
L’approche midrashique a profondément marqué l’herméneutique juive médiévale. Les commentateurs comme Rachi (XIe siècle) intègrent constamment des éléments midrashiques dans leurs exégèses. La Kabbale elle-même emprunte les méthodes midrashiques pour développer ses interprétations symboliques et mystiques.
Au-delà du judaïsme, la méthode midrashique a influencé la théorie littéraire contemporaine. Des penseurs comme Daniel Boyarin ou Susan Handelman ont montré les parallèles entre l’herméneutique rabbinique et certains courants de la critique postmoderne, notamment la déconstruction derridienne. Tous deux reconnaissent l’instabilité fondamentale du sens et la productivité infinie de l’interprétation.
Le midrash représente ainsi bien plus qu’une simple technique exégétique : c’est une philosophie de la lecture qui reconnaît dans le texte sacré une source inépuisable de signification, requérant de chaque génération qu’elle renouvelle son questionnement des Écritures.








