Définition et étymologie
L’exégèse désigne l’interprétation critique et systématique d’un texte, particulièrement des textes religieux, sacrés ou classiques, visant à en élucider le sens authentique. Le terme provient du grec ancien exêgêsis (ἐξήγησις), dérivé du verbe exêgeisthai (ἐξηγεῖσθαι), composé de ex- (hors de) et hêgeisthai (conduire, guider), signifiant littéralement « conduire hors de », « extraire » ou « expliquer ». L’exégète est donc celui qui « fait sortir » le sens d’un texte, qui dévoile sa signification profonde par une analyse rigoureuse.
L’exégèse se distingue de la simple lecture ou du commentaire superficiel par son caractère méthodique et scientifique. Elle mobilise divers outils : analyse philologique, étude du contexte historique, examen des sources, comparaison des manuscrits, investigation des structures littéraires et rhétoriques. L’objectif est de comprendre ce que l’auteur a voulu dire dans son contexte original, tout en dégageant éventuellement la portée universelle du texte.
Usage philosophique
En philosophie, l’exégèse occupe une place centrale, notamment depuis que l’herméneutique s’est constituée comme discipline philosophique à part entière. Historiquement, l’exégèse était surtout associée à l’interprétation des textes sacrés (Bible, Torah, Coran), mais elle s’est étendue à l’ensemble des textes philosophiques, littéraires et juridiques.
Spinoza illustre remarquablement cette extension dans son Traité théologico-politique (1670), où il applique une méthode exégétique rationnelle à la Bible. Il propose de traiter les Écritures comme n’importe quel texte naturel, en examinant leur langage, leur contexte historique et leurs contradictions internes. Cette approche révolutionnaire sécularise l’exégèse et en fait un instrument critique de la raison.
Au XIXe siècle, Schleiermacher fonde l’herméneutique moderne en distinguant l’interprétation grammaticale (analyse du langage) et l’interprétation psychologique (compréhension de l’intention de l’auteur). Pour lui, l’exégèse doit permettre de « comprendre un auteur mieux qu’il ne s’est compris lui-même », formule qui souligne la dimension créative de l’interprétation.
Wilhelm Dilthey approfondit cette réflexion en opposant les sciences de la nature (Naturwissenschaften), qui expliquent par des lois causales, aux sciences de l’esprit (Geisteswissenschaften), qui comprennent par l’exégèse et l’interprétation. L’exégèse devient ainsi la méthode propre aux sciences humaines, permettant d’accéder au sens des productions culturelles et historiques.
Heidegger, dans Être et Temps (1927), radicalise l’herméneutique en montrant que l’exégèse n’est pas seulement une méthode appliquée aux textes, mais une structure fondamentale de l’existence humaine. Le Dasein (l’être-là) est toujours déjà dans une situation d’interprétation : comprendre, c’est interpréter. L’exégèse philosophique devient ontologique.
Hans-Georg Gadamer, élève de Heidegger, développe dans Vérité et Méthode (1960) une herméneutique qui reconnaît l’historicité de toute compréhension. L’exégèse n’atteint jamais un sens objectif et définitif : elle est toujours une « fusion d’horizons » entre le monde du texte et celui de l’interprète. La tradition et les préjugés (au sens de pré-jugements) ne sont pas des obstacles mais des conditions de possibilité de la compréhension.
Paul Ricœur enrichit cette réflexion en distinguant explication et compréhension. L’exégèse doit articuler ces deux moments : l’analyse structurale et objective du texte (explication) et l’appropriation existentielle de son sens (compréhension). Dans son étude des textes bibliques et mythiques, Ricœur montre comment l’exégèse philosophique peut dégager des structures symboliques universelles.
En philosophie contemporaine, l’exégèse désigne aussi l’activité d’interprétation des textes philosophiques eux-mêmes. Lire Platon, Aristote, Kant ou Nietzsche requiert une exégèse rigoureuse tenant compte des problèmes de traduction, du contexte intellectuel, des évolutions de pensée. L’histoire de la philosophie devient ainsi indissociable d’un travail exégétique permanent.
L’exégèse pose des questions philosophiques fondamentales : existe-t-il un sens unique et objectif d’un texte ? L’intention de l’auteur est-elle déterminante ? Le texte peut-il signifier plus que ce que son auteur a consciemment voulu dire ? La compréhension est-elle toujours conditionnée par l’horizon historique de l’interprète ? Ces interrogations traversent toute la philosophie herméneutique et débouchent sur des problèmes épistémologiques et ontologiques majeurs concernant la nature de la vérité, de l’objectivité et de la compréhension humaine.








