Définition et étymologie
Le terme Mishna provient de l’hébreu מִשְׁנָה (mishnah), dérivé de la racine שָׁנָה (shanah) signifiant « répéter », « enseigner » ou « étudier ». La Mishna désigne ainsi littéralement « la répétition » ou « l’enseignement répété », reflétant la méthode pédagogique orale par laquelle cette tradition était transmise avant sa mise par écrit.
La Mishna constitue la première codification écrite de la loi orale juive (Torah she-be’al peh), compilée et rédigée vers l’année 200 de notre ère par Rabbi Judah ha-Nasi (Juda le Prince) en Palestine. Selon la tradition rabbinique, la Torah écrite (les cinq livres de Moïse) fut accompagnée dès le Sinaï d’une tradition orale d’interprétation et d’application des commandements. Cette tradition, transmise de génération en génération, fut finalement consignée dans la Mishna face aux risques de dispersion du peuple juif après la destruction du Second Temple en 70 de notre ère.
La Mishna se structure en six ordres (sedarim), eux-mêmes divisés en traités (massekhtot), chapitres et paragraphes : Zeraïm (semences, lois agricoles), Moëd (fêtes), Nashim (femmes, droit matrimonial), Nezikin (dommages, droit civil et pénal), Kodashim (choses saintes, sacrifices) et Tohorot (puretés rituelles). Cette organisation systématique couvre l’ensemble des aspects de la vie juive, du rituel au civil, de l’éthique au juridique.
Rédigée en hébreu mishnaïque (distinct de l’hébreu biblique et plus proche de la langue parlée de l’époque), la Mishna se caractérise par un style concis, presque lapidaire, qui présente les positions juridiques de différentes écoles rabbiniques, notamment celles de Hillel et de Shammaï. Elle ne constitue pas un code de loi unifié mais conserve les opinions divergentes des sages (tannaïm), préservant ainsi la richesse du débat juridique.
Usage philosophique
La Mishna, bien qu’essentiellement juridique, possède une dimension philosophique significative qui a marqué la pensée juive et au-delà. Sa méthodologie repose sur des principes herméneutiques et logiques qui anticipent certaines préoccupations philosophiques modernes.
La structure même de la Mishna reflète une volonté de systématisation et de classification qui relève d’une démarche philosophique. L’organisation thématique des lois, leur mise en relation et leur hiérarchisation témoignent d’un effort rationnel pour ordonner la complexité de l’existence humaine. Cette entreprise classificatoire peut être comparée aux systèmes philosophiques qui cherchent à organiser le savoir de manière cohérente.
Maïmonide (1138-1204) représente le point culminant de la réflexion philosophique sur la Mishna. Dans son Mishné Torah (littéralement « Répétition de la Torah », aussi appelé Code de Maïmonide), il entreprend une codification systématique de toute la loi juive basée sur la Mishna et le Talmud, mais organisée selon des principes philosophiques clairs. Son Commentaire de la Mishna, rédigé en arabe, intègre des concepts de la philosophie aristotélicienne pour expliquer les positions juridiques mishnaïques. Dans l’introduction au traité Avot (Maximes des Pères), il développe notamment sa philosophie éthique, montrant comment la sagesse mishnaïque s’harmonise avec la philosophie rationnelle.
Le traité Pirké Avot (Chapitres des Pères), inclus dans l’ordre Nezikin, occupe une place particulière. Composé principalement de maximes éthiques plutôt que de discussions juridiques, il constitue un texte de sagesse qui a profondément influencé la philosophie morale juive. Des sentences comme « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Et si je ne suis que pour moi, que suis-je ? » (Hillel) ou « Ne juge pas ton prochain tant que tu n’es pas à sa place » posent des questions philosophiques fondamentales sur l’identité, la responsabilité et l’éthique.
La méthodologie mishnaïque a également contribué au développement d’une logique juridique sophistiquée. Les principes d’interprétation (middot) utilisés pour dériver les lois constituent une forme de logique appliquée. La casuistique développée dans la Mishna, loin d’être une simple accumulation de cas particuliers, révèle une réflexion sur les principes généraux et leur application, anticipant certaines méthodes de la philosophie analytique contemporaine.
Emmanuel Levinas, dans ses lectures talmudiques, s’appuie fréquemment sur des passages mishnaïques pour développer sa philosophie éthique. Il montre comment la précision juridique de la Mishna cache souvent une profondeur éthique qui dépasse le cadre strictement légal. La responsabilité infinie envers autrui, centrale dans sa pensée, trouve selon lui des racines dans l’exigence mishnaïque de justice.
La Mishna représente ainsi non seulement un monument juridique mais aussi une matrice de pensée qui a nourri des siècles de réflexion philosophique, offrant un modèle où droit, éthique et sagesse pratique s’entrelacent de manière indissociable.








