Définition et étymologie
La théosophie est un terme composé des racines grecques theos (θεός, « dieu ») et sophia (σοφία, « sagesse »), désignant littéralement la « sagesse divine » ou la « connaissance de Dieu ». Le terme apparaît au IIIe siècle chez les néoplatoniciens alexandrins, notamment Ammonius Saccas, pour désigner une connaissance directe et intuitive du divin, distincte de la théologie rationnelle et dogmatique. La pensée théosophique repose sur l’idée que l’être humain peut accéder à une compréhension des mystères divins et cosmiques par illumination intérieure, intuition spirituelle ou révélation ésotérique, plutôt que par le raisonnement discursif ou par la la foi révélée des religions institutionnelles.
La tradition théosophique pré-moderne
La pensée théosophique traverse l’histoire de la philosophie occidentale comme courant souterrain, émergeant périodiquement dans diverses synthèses mystiques et spéculatives. Au Moyen Âge, Maître Eckhart (1260-1328) développe une théosophie chrétienne où l’âme peut s’unir à la déité (Gottheit) au-delà même du Dieu personnel. Sa doctrine de la « naissance de Dieu dans l’âme » et du « détachement » (Abgeschiedenheit) illustre cette quête d’une connaissance divine immédiate transcendant la médiation ecclésiastique.
Jakob Böhme (1575-1624), cordonnier et mystique allemand, représente l’apogée de la théosophie chrétienne pré-moderne. Sa vision cosmologique complexe, exposée dans L’Aurore naissante et Mysterium Magnum, décrit un processus dialectique au sein de la divinité elle-même : l’Ungrund (Sans-Fond) originel engendre par auto-différenciation la nature divine, puis la création. Böhme influence profondément l’idéalisme allemand, particulièrement Schelling et Hegel, qui reconnaissent dans sa théosophie une anticipation de leur propre dialectique spéculative.
Au XVIIe siècle, la Kabbale chrétienne développée par Christian Knorr von Rosenroth synthétise traditions hébraïques et hermétiques dans une perspective théosophique. Cette fusion de sources ésotériques diverses devient caractéristique de la pensée théosophique : elle prétend révéler une prisca theologia, une sagesse primordiale commune à toutes les traditions spirituelles authentiques, dissimulée sous le voile des religions exotériques.
La Théosophie moderne : Blavatsky et la Société Théosophique
Le terme « théosophique » prend une signification particulière avec la fondation de la Société Théosophique en 1875 à New York par Helena Petrovna Blavatsky (1831-1891), Henry Steel Olcott et William Quan Judge. Blavatsky, dans ses œuvres majeures Isis dévoilée (1877) et La Doctrine secrète (1888), propose un système syncrétique ambitieux prétendant réconcilier science moderne, philosophies orientales (hindouisme, bouddhisme) et traditions ésotériques occidentales (néoplatonisme, gnosticisme, hermétisme, Kabbale).
La pensée théosophique blavatskienne repose sur plusieurs principes fondamentaux : l’existence d’une Réalité absolue ineffable au-delà de toute manifestation ; l’évolution cosmique et spirituelle comme processus cyclique d’émanation et de réabsorption ; la réincarnation et le karma comme lois universelles ; l’existence de « Maîtres de Sagesse » ou « Mahatmas » dépositaires de la connaissance ésotérique ; la correspondance entre macrocosme et microcosme ; et surtout, l’unité essentielle de toutes les religions dans leur dimension ésotérique.
Sur le plan philosophique, cette théosophie moderne se caractérise par un monisme panthéiste ou panenthéiste radical, une cosmologie évolutionniste intégrant les découvertes scientifiques du XIXe siècle dans un cadre métaphysique spiritualiste, et un universalisme religieux affirmant que toutes les traditions authentiques convergent vers une même vérité cachée. Elle s’oppose ainsi tant au matérialisme scientiste qu’au dogmatisme religieux, se présentant comme « troisième voie » entre foi aveugle et rationalisme réducteur.
Influence et prolongements philosophiques
L’influence de la pensée théosophique moderne dépasse largement le cercle des membres de la Société Théosophique. Elle inspire directement le développement de l’Anthroposophie de Rudolf Steiner (1861-1925), qui radicalise l’ambition de fonder une « science spirituelle » rigoureuse capable d’explorer méthodiquement les mondes suprasensibles. Steiner, d’abord membre éminent de la Société Théosophique allemande, rompt avec elle en 1913 pour développer son propre système, plus enraciné dans la tradition goethéenne et l’idéalisme allemand.
La pensée théosophique influence également le symbolisme littéraire (Yeats, Maeterlinck), la peinture abstraite naissante (Kandinsky, Mondrian), et participe à l’émergence du mouvement New Age au XXe siècle. Philosophiquement, elle représente une tentative de réhabilitation de la métaphysique spéculative face au positivisme dominant, tout en cherchant à intégrer les découvertes de la science moderne dans une vision du monde spiritualiste et holistique.
Les critiques académiques soulignent néanmoins le caractère syncrétique peu rigoureux de la théosophie, ses prétentions historiques souvent fantaisistes, et son éclectisme ésotérique mêlant intuitions profondes et spéculations hasardeuses. La pensée théosophique reste toutefois un phénomène culturel significatif, témoignant d’une aspiration persistante à une sagesse intégrale transcendant les cloisonnements disciplinaires et confessionnels de la modernité.







