Définition et étymologie
Les sefirot (סְפִירוֹת en hébreu, singulier sefira) désignent dans la tradition kabbalistique juive les dix émanations ou attributs divins par lesquels le Dieu infini et inconnaissable (Ein Sof, « Sans Fin ») se manifeste et crée le monde. Le terme dérive de la racine hébraïque SFR qui peut signifier « compter », « raconter » ou « rayonner », évoquant ainsi à la fois l’idée de nombres, de communication et de lumière. Cette polysémie étymologique reflète la nature multidimensionnelle du concept : les sefirot sont à la fois des principes mathématiques d’organisation cosmique, des modes de révélation divine et des canaux de l’énergie créatrice.
Le système des dix sefirot
Les sefirot forment une structure hiérarchique souvent représentée par l’Arbre de Vie (Etz Haïm), configuration symbolique centrale de la Kabbale. Ces dix émanations sont traditionnellement ordonnées de la manière suivante : Keter (Couronne), Hokhma (Sagesse), Bina (Intelligence), Hésed (Bonté), Guevoura (Rigueur), Tiferet (Beauté), Netzah (Victoire), Hod (Splendeur), Yesod (Fondement) et Malkhout (Royaume). Chaque sefira représente un aspect distinct de la divinité tout en participant d’une unité fondamentale.
Le Sefer Yetsira (Livre de la Création), texte mystique datant probablement du IIIe au VIe siècle, constitue la première source connue mentionnant les sefirot, bien que de manière encore embryonnaire. C’est surtout dans le Zohar (Livre de la Splendeur), rédigé au XIIIe siècle en Espagne, que le système se développe pleinement. Moïse de Léon, considéré comme le principal rédacteur du Zohar, établit le système complexe des correspondances entre les sefirot, les parties du corps divin, les attributs psychologiques et les dimensions cosmiques.
Signification philosophique et métaphysique
Sur le plan philosophique, les sefirot résolvent une tension métaphysique fondamentale : comment un Dieu absolument transcendant, infini et inconnaissable peut-il entrer en relation avec un monde fini, matériel et connaissable ? Les sefirot constituent les médiations entre l’Ein Sof incompréhensible et la création sensible. Elles ne sont ni purement identiques à Dieu ni totalement distinctes de lui, incarnant une forme de théologie panenthéiste où la divinité habite toute chose sans s’y réduire.
Cette structure présente des affinités avec le néoplatonisme et sa théorie des émanations. Comme chez Plotin, où l’Un engendre l’Intelligence puis l’Âme par procession successive, les sefirot émanent les unes des autres dans un processus de différenciation graduelle du divin. Cependant, contrairement au néoplatonisme où l’émanation implique une dégradation ontologique, dans la Kabbale les sefirot conservent toutes leur dignité divine tout en permettant la diversification créatrice.
Isaac Louria (1534-1572), mystique de Safed, développe une cosmologie kabbalistique révolutionnaire autour des sefirot. Son concept de tsimtsoum (contraction divine) postule qu’Ein Sof s’est retiré de lui-même pour créer un espace vide où les sefirot, puis le monde, pourraient exister. Louria introduit également l’idée de la « brisure des vases » (shevirat ha-kelim) : les sefirot, conçues comme des récipients devant contenir la lumière divine, se brisèrent sous l’intensité de cette lumière, dispersant des étincelles sacrées dans toute la création. La tâche humaine devient alors le tikoun (réparation), c’est-à-dire la restauration de l’ordre sefirothique originel par l’accomplissement des commandements.
Influence philosophique
L’influence des sefirot dépasse largement le cadre de la mystique juive. À la Renaissance, des penseurs chrétiens comme Pic de la Mirandole et Johannes Reuchlin intègrent la Kabbale dans leurs systèmes philosophiques, voyant dans les sefirot une structure métaphysique universelle compatible avec le néoplatonisme et la théologie chrétienne. Cette « Kabbale chrétienne » influence profondément l’ésotérisme occidental.
Au XXe siècle, Gershom Scholem, historien des religions, révèle au monde académique la sophistication philosophique de la Kabbale et l’importance systématique des sefirot dans l’histoire de la pensée juive. Son disciple Moshe Idel nuance cette approche en montrant la diversité des interprétations kabbalistiques. Plus récemment, des philosophes comme Emmanuel Levinas, bien que critique envers la Kabbale, reconnaissent l’importance de sa tentative de penser la transcendance divine sans renoncer à sa relation au monde.
Les sefirot représentent ainsi une contribution majeure à la philosophie de la religion, offrant un modèle dynamique et relationnel de la divinité qui échappe tant au théisme anthropomorphique qu’au déisme abstrait, tout en préservant la transcendance absolue de Dieu et son immanence créatrice dans le cosmos.








