Définition et étymologie
Alaha (ܐܠܗܐ, prononcé « Alāhā » en araméen syriaque) est le terme araméen désignant Dieu, l’être suprême unique dans les traditions religieuses du Proche-Orient ancien et contemporain. Ce mot représente la forme araméenne d’une racine sémitique commune qui traverse les langues et cultures de la région : l’hébreu « Eloah » (אלוה) et sa forme plurielle majestative « Elohim » (אלהים), l’arabe « Allāh » (الله), l’akkadien « ilu », et même le ougaritique « il ». Cette racine proto-sémitique *ʔil- ou *ʔilāh- signifie fondamentalement « divinité » ou « dieu », et témoigne d’un héritage linguistique et conceptuel partagé par les peuples sémitiques depuis l’Antiquité.
L’araméen, langue sémitique du nord-ouest, fut pendant près de mille ans la lingua franca du Proche-Orient, de l’Empire néo-assyrien (VIIIe siècle avant notre ère) jusqu’à la conquête islamique (VIIe siècle). Jésus de Nazareth parlait araméen galiléen, et certaines de ses paroles rapportées dans les Évangiles grecs conservent des expressions araméennes originales, comme « Eloi, Eloi, lema sabachthani » (Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné), où « Eloi » représente une forme vocative d’Alaha.
Variations dialectales et usage religieux
Le terme Alaha connaît des variations selon les dialectes araméens. En araméen syriaque occidental, parlé dans les régions de Syrie et du Liban, on trouve « Aloho ». En araméen oriental, notamment dans le dialecte assyro-chaldéen encore parlé par les communautés chrétiennes d’Irak et d’Iran, le terme se prononce « Alaha » avec des nuances phonétiques locales. En mandéen, langue liturgique des Mandéens (derniers gnostiques baptistes de Mésopotamie), le terme apparaît comme « Alaha » mais désigne souvent la lumière divine plutôt qu’un Dieu personnel.
Pour les chrétiens de tradition syriaque (syriaques orthodoxes, catholiques, maronites, assyriens, chaldéens), Alaha demeure le nom de Dieu dans leurs liturgies millénaires. La Peshitta, traduction araméenne de la Bible datant probablement du IIe siècle, utilise systématiquement Alaha pour traduire le tétragramme hébreu YHWH et les termes « Elohim » et « Adonaï ». Cette continuité linguistique relie directement les chrétiens orientaux contemporains au monde de Jésus et des premiers disciples.
Signification théologique et philosophique
Du point de vue théologique, l’utilisation d’Alaha révèle la conception abrahamique du divin partagée par judaïsme, christianisme et islam, malgré leurs différences doctrinales. Le fait que ces trois religions monothéistes emploient des variantes du même terme sémitique pour désigner Dieu suggère une racine conceptuelle commune : un Dieu unique, créateur, transcendant et personnel. Cette parenté linguistique fut parfois invoquée dans les débats inter-religieux médiévaux pour souligner l’unité fondamentale du Dieu adoré par les « peuples du Livre ».
Les philosophes médiévaux arabes, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou juifs, reconnaissaient cette parenté terminologique. Yahya ibn ‘Adi (893-974), philosophe chrétien de Baghdad écrivant en arabe et en syriaque, utilise indifféremment Alaha en syriaque et Allah en arabe dans ses traités métaphysiques, considérant les deux termes comme équivalents désignant l’Être nécessaire unique. Cette interchangeabilité reflète la conviction que, au-delà des différences linguistiques et théologiques, le monothéisme abrahamique vise une même réalité transcendante.
Dimension linguistique et identitaire
Dans le contexte contemporain, l’usage d’Alaha revêt également une dimension identitaire pour les communautés araméophones chrétiennes du Moyen-Orient. Face à l’arabisation linguistique et culturelle de la région, maintenir Alaha dans la liturgie et la prière quotidienne représente un lien vital avec un héritage chrétien oriental bimillénaire. Les Assyriens contemporains, notamment, insistent sur l’usage d’Alaha comme marqueur de leur identité ethnolinguistique distincte, enracinée dans l’antique Mésopotamie.
Du point de vue de la philosophie du langage religieux, Alaha illustre comment un signifiant peut porter simultanément plusieurs niveaux de sens : dénotation théologique (Dieu unique), connotation culturelle (héritage araméen), et fonction identitaire (appartenance communautaire). L’étude comparative d’Alaha, Allah et Elohim enrichit notre compréhension de la manière dont les traditions religieuses nomment et pensent le divin, révélant à la fois continuités et ruptures dans l’histoire conceptuelle du monothéisme.









