Définition et étymologie
Le Yajurveda (sanskrit : यजुर्वेद, yajurveda) désigne le deuxième des quatre Védas, consacré aux formules sacrificielles en prose et aux instructions rituelles nécessaires à l’exécution correcte des cérémonies védiques. Le terme se compose de yajus (« formule sacrificielle », « invocation rituelle ») et veda (« connaissance », « savoir sacré »), signifiant littéralement « la connaissance des formules sacrificielles ». Le mot yajus dérive de la racine yaj-, « sacrifier », « honorer », « offrir », soulignant la fonction éminemment pratique de ce Veda comme manuel opératoire des rituels védiques.
Contrairement au Ṛgveda, essentiellement composé d’hymnes poétiques destinés à être récités, et au Sāmaveda, qui adapte ces hymnes en mélodies chantées, le Yajurveda contient les formules rituelles précises (mantras) que les prêtres devaient prononcer au moment exact d’accomplir les actes sacrificiels : verser les oblations, allumer le feu, disposer les ustensiles, immoler les victimes animales. Ces formules, généralement brèves et en prose, accompagnent et sanctifient chaque geste rituel, transformant l’action physique en acte cosmiquement efficace.
Structure et recensions
Le Yajurveda se présente sous deux grandes recensions distinctes : le Krishna Yajurveda (« Yajurveda noir ») et le Shukla Yajurveda (« Yajurveda blanc »). Cette division, unique parmi les Védas, reflète des traditions d’écoles brahmaniques différentes qui ont préservé et organisé le matériel rituel selon des modalités distinctes.
Le Krishna Yajurveda (également appelé Taittirīya Yajurveda) entremêle les mantras sacrificiels (yajus) et leurs explications exégétiques (brāhmaṇa) dans un ensemble composite et relativement désorganisé. Cette « noirceur » ou opacité fait référence à cette complexité structurelle, où le commentaire et le texte rituel sont fusionnés. Les quatre Saṃhitās principales du Krishna Yajurveda sont la Taittirīya Saṃhitā, la Maitrāyaṇī Saṃhitā, la Kaṭha Saṃhitā et la Kapiṣṭhala Saṃhitā. Cette recension contient environ 1 975 formules sacrificielles.
Le Shukla Yajurveda (également appelé Vājasaneyi Yajurveda, d’après le nom du sage Yājñavalkya qui l’aurait reçu du dieu Soleil Vājasaneya) présente une organisation plus claire et systématique, séparant les mantras purement rituels de leurs explications, qui sont reléguées dans un texte annexe appelé Śatapatha Brāhmaṇa. Cette « blancheur » ou clarté renvoie à cette structure épurée. Le Shukla Yajurveda compte environ 1 990 mantras répartis en quarante chapitres (adhyāya).
Le rôle liturgique et les adhvaryu
Le Yajurveda constituait le domaine exclusif des prêtres adhvaryu, l’une des quatre catégories sacerdotales védiques. Ces prêtres avaient la responsabilité technique centrale du sacrifice : ils préparaient le terrain rituel (vedi), disposaient les feux sacrificiels, mesuraient et versaient les substances oblatives (ghee, soma, grains), manipulaient les instruments cultuels, et accomplissaient les actes rituels proprement dits. À chaque geste, ils récitaient les yajus appropriés du Yajurveda, établissant ainsi la connexion verbale entre l’action physique et sa signification cosmique.
L’importance de cette fonction se comprend dans le contexte de la religion védique, où le sacrifice (yajña) constituait l’activité centrale, le mécanisme par lequel l’ordre cosmique (ṛta) était maintenu, les dieux nourris et honorés, et les bénéfices (prospérité, descendance, victoire, accès au ciel) obtenus. Le sacrifice védique n’était pas simplement une dévotion symbolique mais une technologie sacrée : l’efficacité du rite dépendait de l’exactitude absolue dans la prononciation des formules, le timing des gestes, et la précision des proportions. Une erreur rituelle pouvait rendre le sacrifice inefficace, voire dangereux.
Contenu rituel et théologie
Le Yajurveda prescrit les formules pour une grande variété de rituels, depuis les sacrifices domestiques quotidiens (nitya-karma) comme l’agnihotra (oblation biquotidienne au feu sacré) jusqu’aux cérémonies royales élaborées comme le rājasūya (sacre royal), l’aśvamedha (sacrifice du cheval, affirmant la souveraineté universelle), et le vajapeya (rituel de renouvellement de vigueur). Ces rituels mobilisaient des ressources considérables, duraient parfois des jours, et requéraient la participation de multiples prêtres spécialisés.
Les formules révèlent une cosmologie où les divinités védiques — Agni (le feu), Indra (le guerrier cosmique), Soma (la plante sacrée), Prajāpati (le seigneur des créatures), Viṣṇu, Rudra — sont invoquées comme forces actives dans l’univers, accessibles et influençables par les offrandes correctement exécutées. Le sacrifice lui-même est conçu comme reproduction microcosmique de la création originelle : offrir le sacrifice, c’est participer à l’acte créateur primordial, maintenir le cosmos en fonctionnement.
Les Upanishads du Yajurveda
Paradoxalement, bien que le Yajurveda soit le texte le plus ritualiste et technique, certaines des Upanishads les plus importantes et philosophiquement profondes lui sont rattachées, marquant la transition critique du ritualisme vers la spéculation métaphysique.
L’Īśa Upanishad (ou Īśāvāsya Upanishad), qui constitue le quarantième et dernier chapitre du Shukla Yajurveda, est une Upanishad brève mais dense affirmant que le Seigneur (Īśa) pénètre tout l’univers. Elle propose une synthèse entre renonciation et action, connaissance et dévotion : « Voyant tous les êtres dans le Soi et le Soi en tous les êtres, il ne se détourne plus. » Ce texte influence profondément le Vedānta et la Bhagavad-Gītā.
La Bṛhadāraṇyaka Upanishad, rattachée au Śatapatha Brāhmaṇa du Shukla Yajurveda, est la plus ancienne, la plus longue et l’une des plus philosophiquement sophistiquées des Upanishads. Elle contient les enseignements du sage Yājñavalkya, notamment ses dialogues avec son épouse Maitreyī sur la nature de l’Ātman et l’immortalité, et ses débats philosophiques à la cour du roi Janaka. Le célèbre passage « neti neti » (« ni ceci, ni cela »), décrivant le Brahman par négations successives, apparaît dans ce texte.
La Taittirīya Upanishad, associée au Krishna Yajurveda, explore systématiquement les « enveloppes » (kośa) de l’être humain — matière, énergie vitale, mental, intellect, béatitude — comme niveaux d’approximation progressive vers l’Ātman. Elle contient également la formule « Satyam jñānam anantam brahma » (« Le Brahman est vérité, connaissance, infinité »).
La Kaṭha Upanishad, également du Krishna Yajurveda, présente le dialogue entre le jeune Naciketas et Yama, dieu de la mort, sur la nature de l’immortalité et de l’Ātman. Ce texte influence considérablement le développement de la philosophie du Yoga et du Sāṃkhya.
Transition vers la philosophie
L’existence de ces Upanishads profondes au sein du Yajurveda illustre un tournant historique décisif dans la pensée indienne. Les Brāhmaṇas et Āraṇyakas du Yajurveda, tout en expliquant les rituels, commencent à rechercher leurs significations intérieures, leurs correspondances symboliques (bandhu), préparant l’intériorisation complète du sacrifice opérée par les Upanishads. Le feu sacrificiel externe devient la méditation intérieure ; l’oblation, l’offrande du souffle et du mental ; le prêtre accompli, celui qui connaît l’Ātman. Cette transformation du ritualisme védique en philosophie spéculative constitue l’une des évolutions les plus remarquables de l’histoire intellectuelle humaine, et le Yajurveda en porte la trace vivante.








