Définition et étymologie
Le Brahman (neutre en sanskrit : ब्रह्मन्, brahman) désigne dans la philosophie hindoue le principe absolu, ultime et impersonnel de la réalité, la substance éternelle et immuable qui constitue le fondement de tout ce qui existe. Le terme provient de la racine sanskrite bṛh- signifiant « croître », « s’étendre » ou « s’élever », suggérant l’idée d’une réalité expansive, illimitée et transcendante. Il ne doit pas être confondu avec Brahma (masculin), le dieu créateur de la trimūrti hindoue, ni avec les brahmanes, la caste sacerdotale.
Le Brahman représente la réalité absolue et indifférenciée, au-delà de toute qualification, attribut ou limitation. Il est décrit comme sat-cit-ānanda : être (sat), conscience (cit) et béatitude (ānanda). Cette trinité conceptuelle exprime que le Brahman n’est pas simplement une entité existante, mais l’existence même dans sa plénitude consciente et bienheureuse.
Usage philosophique dans la tradition védique
Le concept de Brahman émerge principalement dans les Upanishads (VIIIe-IVe siècles avant notre ère), textes philosophiques qui constituent la conclusion (Vedānta) des Védas. Ces textes marquent une transition d’une religiosité ritualiste vers une métaphysique spéculative. Dans les Upanishads anciennes comme la Bṛhadāraṇyaka et la Chāndogya, le Brahman est présenté comme la source et le substrat de l’univers entier.
La Chāndogya Upanishad formule la célèbre équation « Tat tvam asi » (« Tu es cela »), proclamant l’identité essentielle entre l’Ātman (le Soi individuel) et le Brahman. Cette formule, l’une des grandes sentences (mahāvākya) du Vedānta, suggère que la conscience individuelle n’est pas distincte de la conscience universelle. L’erreur fondamentale de l’être humain, selon cette perspective, consiste à se percevoir comme une entité séparée du Brahman.
La Taittirīya Upanishad propose une approche progressive du Brahman à travers cinq enveloppes (kośas) : la matière, l’énergie vitale, le mental, l’intellect et la béatitude. Chaque niveau représente une approximation plus subtile de la nature du Brahman, qui demeure finalement au-delà de toute description.
Saguna et Nirguna Brahman
La philosophie védique distingue deux aspects du Brahman. Le Nirguna Brahman (« Brahman sans qualités ») désigne l’Absolu dans sa nature transcendante, au-delà de tout attribut, forme ou relation. Il est inconnaissable par le mental et inexprimable par le langage. La Bṛhadāraṇyaka Upanishad le décrit par la via negativa : « neti neti » (« ni ceci, ni cela »), soulignant que toute tentative de définition positive limite nécessairement l’illimité.
Le Saguna Brahman (« Brahman avec qualités ») représente l’Absolu tel qu’il se manifeste dans le monde phénoménal, accessible à la dévotion et à la contemplation. Cette distinction permet de réconcilier l’approche impersonnelle et contemplative avec la dévotion théiste (bhakti) envers des formes divines personnelles comme Vishnu ou Shiva.
L’Advaita Vedānta de Śaṅkara
Ādi Śaṅkara (VIIIe siècle), le plus influent commentateur de la philosophie védique, a systématisé la doctrine de l’Advaita Vedānta (non-dualisme absolu). Pour Śaṅkara, seul le Brahman est réel (sat), tandis que le monde phénoménal n’a qu’une réalité conventionnelle ou illusoire (māyā). L’apparente multiplicité du monde et la distinction entre sujet et objet résultent de l’ignorance métaphysique (avidyā).
La libération (mokṣa) consiste dans la réalisation directe et expérientielle de l’identité entre Ātman et Brahman. Cette connaissance (jñāna) n’est pas intellectuelle mais transformative : elle dissipe l’illusion de la séparation comme la lumière dissipe l’obscurité. Śaṅkara utilise l’analogie du serpent et de la corde : dans la pénombre, on peut confondre une corde avec un serpent, mais cette confusion disparaît lorsque la vraie nature de l’objet est reconnue.
Autres perspectives védantiques
D’autres écoles védantiques proposent des interprétations alternatives. Rāmānuja (XIe-XIIe siècles), fondateur du Viśiṣṭādvaita (non-dualisme qualifié), maintient une distinction entre le Brahman et les âmes individuelles, tout en affirmant leur unité organique : les âmes sont des parties réelles du Brahman comme les membres d’un corps. Madhva (XIIIe siècle), dans le Dvaita Vedānta (dualisme), affirme une distinction ontologique permanente entre Dieu, les âmes et la matière.
Portée philosophique
Le concept de Brahman soulève des questions métaphysiques fondamentales sur la nature de la réalité ultime, la relation entre l’Un et le multiple, le rapport entre la transcendance et l’immanence, et la possibilité d’une connaissance de l’Absolu. Il offre une perspective où la conscience n’est pas un épiphénomène de la matière, mais la substance même du réel. Cette vision a influencé des penseurs occidentaux comme Schopenhauer, qui a reconnu des affinités entre sa métaphysique de la Volonté et le concept védique du Brahman.









