INFOS-CLÉS | |
|---|---|
| Nom d’origine | Śāntideva (ཞི་བ་ལྷ་, Shiwa Lha) |
| Origine | Inde (probablement région du Saurashtra, actif à Nalanda) |
| Importance | ★★★★★ |
| Courants | Philosophie orientale, Bouddhisme Mahayana, Madhyamaka |
| Thèmes | Bodhicitta, Compassion, Vacuité, Bodhisattva, Paramitas |
En raccourci
Shantideva était un maître bouddhiste indien qui a vécu vers l’an 700. La légende raconte qu’il était prince, mais qu’il a tout quitté pour devenir moine à la grande université de Nalanda.
Là-bas, il ne semblait pas très studieux. Ses camarades moines le trouvaient paresseux et le surnommaient « Bhusuku » (celui qui ne fait que manger, dormir et marcher). Pensant qu’il ne savait rien, ils lui ont tendu un piège : ils lui ont demandé de donner un enseignement complexe, espérant l’humilier pour le chasser.
Shantideva monta sur le trône et commença à réciter un texte que personne n’avait jamais entendu : « La Marche vers l’Éveil » (Bodhicharyavatara). C’était son propre chef-d’œuvre. En expliquant le chapitre sur la « vacuité » (l’idée que rien n’existe par soi-même), il se serait mis à léviter avant de disparaître, ne laissant que sa voix.
Ce texte est devenu l’un des plus importants du bouddhisme Mahayana. Il explique comment développer l’esprit d’Éveil (Bodhicitta) : le souhait altruiste d’atteindre l’illumination juste pour pouvoir aider tous les autres êtres à se libérer de la souffrance. C’est un guide puissant sur la compassion, la patience et la sagesse.
Les voiles de la légende
Le prince et le moine
La biographie de Shantideva est difficile à séparer de l’hagiographie. Les sources traditionnelles, principalement tibétaines, indiquent qu’il est né sous le nom de Shantivarman. Il aurait été le fils d’un roi de la région du Saurashtra (l’actuel Gujarat). Destiné à succéder à son père, il reçoit une éducation princière complète.
À la veille de son couronnement, il aurait eu une vision du Bodhisattva Manjushri, la manifestation de la sagesse. Celui-ci lui aurait dit : « Le trône n’est pas pour toi ». Comprenant le caractère illusoire du pouvoir mondain, il renonce à son royaume. Il s’enfuit dans la forêt pour méditer avant de rejoindre la célèbre université monastique de Nalanda, dans le nord de l’Inde.
« Bhusuku » à Nalanda
À Nalanda, alors le plus grand centre d’études bouddhistes au monde, Shantideva prend les vœux de moine. Il y reçoit le nom de Shantideva (« Dieu de la paix »). Sa conduite, cependant, déconcerte ses pairs. Il ne semble participer à aucune des activités attendues. Il n’étudie pas, ne débat pas et ne participe pas aux rituels.
Les autres moines le perçoivent comme paresseux. Ils lui donnent le surnom de Bhusuku, un terme sanskrit signifiant « celui qui ne fait que trois choses : Bhukta (manger), Susta (dormir) et Kuti (marcher aux toilettes) ». Son apparente indolence devient une source d’irritation pour la communauté monastique.
Pour se débarrasser de lui en l’humiliant publiquement, les moines organisent un événement. Ils l’invitent à réciter un sutra devant toute l’assemblée, sur un trône érigé très haut et sans escalier, convaincus qu’il échouera lamentablement et quittera Nalanda de honte.
Le Bodhicharyavatara : La Marche vers l’Éveil
La naissance de l’œuvre
Le jour venu, Shantideva se présente. Selon la légende, il monte sur le trône sans effort, peut-être en s’élevant dans les airs. Il demande alors à l’assemblée s’ils souhaitent entendre une récitation traditionnelle ou quelque chose d’entièrement nouveau. La foule, moqueuse, demande du nouveau.
Shantideva commence alors à composer et à réciter un poème en sanskrit d’une profondeur et d’une beauté extraordinaires. Il s’agit du Bodhicharyavatara, ou La Marche vers l’Éveil (parfois traduit par L’Entrée dans la pratique des Bodhisattvas). Ce texte de dix chapitres expose la voie complète du Bodhisattva, l’être qui dédie sa vie à l’éveil de tous les êtres.
La tradition raconte qu’en récitant le neuvième chapitre, celui consacré à la sagesse transcendante (la prajna), son corps physique commença à s’élever. Il continua de réciter, flottant au-dessus de l’assemblée, jusqu’à ce qu’il disparaisse. Seule sa voix continua de résonner. Les moines, stupéfaits, comprirent qu’ils avaient jugé un maître accompli.
L’esprit d’Éveil
Le cœur de l’œuvre de Shantideva est le concept de Bodhicitta, l’esprit d’Éveil. C’est l’intention altruiste fondamentale : non pas chercher l’éveil pour soi-même, mais l’atteindre dans le but de libérer tous les autres êtres sensibles du cycle des souffrances (le samsara).
Pour Shantideva, la Bodhicitta est le seul remède à la souffrance universelle. Il la décrit comme un joyau rare, un bienfait absolu. Le Bodhicharyavatara est structuré comme un guide pratique pour générer, maintenir et renforcer cet esprit. Les premiers chapitres célèbrent ses bienfaits, confessent les fautes qui l’entravent et formulent le vœu du Bodhisattva.
L’échange de soi avec autrui
L’un des enseignements les plus marquants du texte est la méditation sur « l’échange de soi avec autrui« . Shantideva propose une technique radicale pour démanteler l’égoïsme, racine de toute souffrance.
Il invite le pratiquant à cesser de s’identifier à son propre « moi » et à s’identifier à « autrui ». Puisque tous les êtres, comme moi, désirent le bonheur et veulent éviter la souffrance, pourquoi ferais-je passer mon propre bonheur avant le leur ? Il pousse cette logique à son terme : le Bodhisattva doit être prêt à prendre sur lui la souffrance des autres et à leur offrir son propre bonheur. « Toute la joie qu’il y a dans ce monde vient du désir du bonheur d’autrui. Toute la souffrance qu’il y a dans ce monde vient du désir de son propre bonheur. »
Philosophie de la compassion
Le remède à la colère
Le sixième chapitre du Bodhicharyavatara est un traité magistral sur la patience (kshanti), l’une des six perfections (paramitas). Shantideva y livre une analyse psychologique fine de la colère, qu’il identifie comme l’obstacle le plus destructeur sur la voie spirituelle.
Il démontre méthodiquement l’irrationalité de la colère. Si un problème peut être résolu, il est inutile de s’irriter ; il suffit d’agir. Si un problème ne peut être résolu, s’irriter est également inutile, car cela n’aide en rien. Il voit l’ennemi non pas comme la source de la colère, mais comme un « trésor » ; l’ennemi est l’enseignant indispensable qui permet de cultiver la patience, vertu essentielle à l’éveil.
La sagesse de la vacuité
Shantideva appartient philosophiquement à l’école Madhyamaka, fondée par Nagarjuna, et plus spécifiquement à la branche Prasangika. Le neuvième chapitre de son œuvre, La Sagesse, est une défense de la doctrine de la vacuité (shunyata).
Il y affirme qu’aucun phénomène, y compris le « moi », ne possède d’existence intrinsèque, indépendante ou permanente. Tout existe en interdépendance. La souffrance naît de notre attachement à l’idée d’un « moi » solide et réel. La sagesse est la reconnaissance directe de cette absence d’existence propre.
Pour Shantideva, la compassion et la vacuité sont indissociables. La compassion est la méthode, la vacuité est la sagesse. C’est parce que le « moi » et « autrui » sont vides d’existence propre que l’échange de soi avec autrui devient philosophiquement possible et spirituellement nécessaire.
Le Shikshasamuccaya
Bien que le Bodhicharyavatara soit son œuvre la plus célèbre, Shantideva a également rédigé le Shikshasamuccaya, ou Compendium des entraînements. Ce texte, plus long et plus technique, est une compilation de citations de sutras Mahayana, organisées pour servir de manuel d’étude au Bodhisattva. Il détaille les préceptes et les pratiques en se fondant sur une vaste érudition scripturaire.
Postérité et influence
L’héritage tibétain
Après sa disparition de Nalanda, la légende raconte que Shantideva vécut en ascète errant, accomplissant de nombreux miracles avant de quitter le monde. Son influence, en revanche, s’est solidifiée.
Le Bodhicharyavatara est devenu un texte central, en particulier dans le bouddhisme tibétain. Toutes les écoles du Tibet l’ont adopté comme le manuel de référence pour cultiver la Bodhicitta. Des dizaines de commentaires ont été écrits par les plus grands maîtres tibétains au fil des siècles. Sa Sainteté le 14e Dalaï-Lama le cite constamment, affirmant que le chapitre sur la patience est son principal remède à la colère et que l’œuvre dans son ensemble est sa source d’inspiration majeure.
Synthèse
Shantideva n’est pas un philosophe au sens occidental, bâtissant un système abstrait. C’est un maître spirituel dont la pensée est une poésie pragmatique. Son analyse de la psychologie humaine, sa critique de l’égoïsme et sa défense de l’altruisme radical transcendent leur contexte bouddhiste.
Son œuvre principale, La Marche vers l’Éveil, demeure l’un des plus puissants manifestes de la compassion universelle jamais écrits. Il a formulé l’idéal du Bodhisattva avec une clarté et une force émotionnelle qui continuent d’inspirer des millions de pratiquants huit siècles après sa composition. Son héritage atteste que la véritable sagesse ne peut être séparée d’une compassion active et sans limites.
Pour aller plus loin
- Shantidéva, Guide du mode de vie du bodhissattva: Quand l'altruisme apporte beaucoup de joie et tout son sens à la vie, Tharpa
- . Shantideva, Vivre en héros pour l'éveil, Points
- Shantidéva, Guide du mode de vie du Bodhisattva, Tharpa
- Shantideva, Introduction à la pratique des Bodhisattva,









