Définition et Étymologie
Le terme Xenos est un mot de la Grèce antique, $\xi$ $\epsilon$ $\nu$ $\omicron$ $\varsigma$, qui possède une signification double et profondément ambivalente. Il est le plus souvent traduit par « l’étranger », « le non-citoyen », « celui qui vient d’une autre polis« . En ce sens, le xenos est l’Autre, celui qui est défini par son extériorité par rapport à la communauté civique, le polites.
Cependant, xenos signifie aussi, de manière indissociable, « l’hôte », qu’il s’agisse de celui qui reçoit ou de celui qui est reçu. Le terme désigne donc à la fois l’étranger potentiellement menaçant et l’invité qui doit être protégé.
Cette ambiguïté fondamentale est régulée dans la culture grecque par le concept de Xenia, la loi sacrée de l’hospitalité. La xenia est un ensemble de rituels et d’obligations réciproques liant deux individus ou deux familles à travers le temps, par-delà les frontières des cités. Cette relation était placée sous la protection de Zeus Xenios, le dieu protecteur des étrangers et des hôtes. Ainsi, le xenos n’est pas n’importe quel étranger ; il est celui avec qui une relation d’hospitalité, potentielle ou avérée, est possible. Il se distingue du barbaros (le barbare), le non-Grec, souvent perçu comme inférieur, et du polemios, l’ennemi de guerre.
Usage en Philosophie
Le concept de xenos n’est pas un terme technique inventé par un philosophe, mais une catégorie fondamentale de l’expérience sociale grecque que la philosophie a dû interroger. Il est au cœur de la philosophie politique et de l’éthique, car il pose la question universelle de l’Autre.
Dans le contexte de la polis grecque, l’identité se définit par la citoyenneté. Platon et Aristote, par exemple, pensent la vie bonne comme la vie accomplie au sein de la cité. Le xenos, l’étranger, en est par définition exclu. Il n’a pas de droits politiques et sa présence est tolérée ou réglementée. Pour Aristote, si la cité est le lieu où la nature humaine s’accomplit, celui qui vit en dehors est soit un être dégradé, soit un être surhumain. Le xenos se trouve dans une position liminale, souvent vu avec méfiance. Les Sophistes, comme Protagoras ou Gorgias, étaient souvent des xenoi, des étrangers itinérants vendant leur savoir, ce qui alimentait la suspicion de Platon à leur égard, les voyant comme des éléments déstabilisateurs pour l’ordre de la cité.
Le renversement philosophique majeur provient du stoïcisme. Les fondateurs de l’école stoïcienne, à commencer par Zénon de Kition, étaient eux-mêmes des xenoi à Athènes. Les Stoïciens ont brisé l’opposition entre le citoyen et l’étranger. Pour eux, l’appartenance pertinente n’est pas la cité politique, mais l’humanité entière.
Ils ont développé le concept de cosmopolitisme ; l’être humain est un kosmopolites, un citoyen du monde (kosmos). Puisque tous les êtres humains partagent le Logos, la raison universelle, la distinction entre Grec et Barbare, entre citoyen et xenos, devient moralement insignifiante. Tous les hommes sont frères et membres d’une seule et même communauté universelle. L’éthique stoïcienne impose un devoir d’hospitalité non plus fondé sur un rituel social, la xenia, mais sur la reconnaissance d’une parenté fondamentale en humanité.
La philosophie contemporaine, notamment avec Jacques Derrida, a profondément réinterrogé l’héritage du xenos en analysant les paradoxes de l’hospitalité. Elle explore la tension irrésolue contenue dans le mot xenos : l’hospitalité véritable exige-t-elle d’accueillir l’autre à condition qu’il s’adapte à nos lois, devenant un « hôte » contrôlé, ou implique-t-elle l’accueil inconditionnel de l’étranger absolu, celui qui reste radicalement « autre » ? La figure du xenos demeure ainsi au centre de la réflexion éthique sur notre rapport à l’altérité.