Définition et Étymologie
Weltgeist est un terme allemand qui se traduit littéralement par « Esprit du Monde ». Il est composé de Welt, signifiant « Monde », et de Geist, un mot allemand riche de sens qui signifie à la fois « esprit », « intellect », « fantôme » ou « génie ».
Dans son acception philosophique, le Weltgeist n’est pas une entité mystique ou un fantôme planétaire. Il désigne un principe spirituel, rationnel et supra-individuel qui guide l’ensemble de l’histoire mondiale. C’est l’intelligence immanente qui œuvre à travers les actions, les conflits et les cultures des peuples pour accomplir une fin déterminée. Il est l’agent et le sujet de l’histoire universelle, la considérant non pas comme une succession chaotique d’événements, mais comme un processus unique, cohérent et orienté vers un but.
Ce concept est distinct du Zeitgeist, « l’Esprit du Temps », qui désigne la mentalité ou l’atmosphère intellectuelle d’une époque particulière. Le Zeitgeist est une manifestation ponctuelle du Weltgeist, qui, lui, englobe la totalité du processus historique.
Usage en Philosophie
Le concept de Weltgeist est indissociable et constitue même la pierre angulaire de la philosophie de l’histoire de Georg Wilhelm Friedrich Hegel. Pour Hegel, l’histoire n’est pas un simple récit d’événements ; elle est le lieu où l’Esprit absolu (der absolute Geist) se déploie, se réalise et parvient à la pleine conscience de lui-même. Le Weltgeist est cet Esprit absolu en tant qu’il agit dans le monde.
Dans son ouvrage La Raison dans l’Histoire, Hegel explique que l’histoire universelle est le progrès de la conscience de la Liberté. Ce progrès n’est ni linéaire ni paisible ; il se réalise à travers le conflit, la guerre et la souffrance. Le Weltgeist est le moteur de ce développement.
Pour accomplir son œuvre, le Weltgeist utilise un stratagème que Hegel nomme la « ruse de la Raison » (List der Vernunft). Le Weltgeist n’agit pas directement. Il utilise les passions, les désirs, les ambitions et les intérêts privés des individus pour réaliser ses propres fins universelles, qui dépassent infiniment la compréhension de ces individus.
Les « grands hommes », ou « individus historiques mondiaux » (Welthistorische Individuen) tels qu’Alexandre le Grand, César ou Napoléon, sont les instruments privilégiés du Weltgeist. Ces hommes croient poursuivre leurs propres buts égoïstes : la gloire, la conquête, le pouvoir. En réalité, ils sont les agents inconscients d’une transformation historique nécessaire. Napoléon, par exemple, pensait bâtir un empire pour sa propre gloire ; mais pour Hegel, il était l’instrument du Weltgeist chargé de détruire les structures féodales en Europe et de répandre les principes de liberté individuelle et d’égalité issus de la Révolution française. Une fois leur mission historique accomplie, la ruse de la Raison les « rejette comme une coque vide ».
L’histoire mondiale, selon Hegel, est le tribunal du monde. Le Weltgeist se manifeste successivement à travers différents peuples (Völker), chacun ayant son propre « esprit » (Volksgeist). À chaque époque, un peuple particulier domine et incarne l’étape la plus avancée du Weltgeist. L’Esprit du Monde passe ainsi d’un peuple à l’autre, suivant une progression que Hegel voit géographiquement de l’Est vers l’Ouest : du monde oriental, où un seul (le despote) est libre, au monde gréco-romain, où quelques-uns (les citoyens) sont libres, pour finir dans le monde germanique et chrétien, où tous sont reconnus comme libres en esprit.
Le Weltgeist est donc l’unité de ce drame historique, le principe rationnel qui assure que, malgré le « bruit et la fureur » apparents de l’histoire, c’est bien la Raison et la Liberté qui, à la fin, triomphent.