Définition et Étymologie
Weltanschauung est un terme allemand, aujourd’hui internationalisé dans le vocabulaire philosophique, qui se traduit littéralement par « vision du monde » ou « conception du monde ». Il est composé des mots Welt, signifiant « Monde », et Anschauung, un terme complexe signifiant à la fois « vue », « perception », « intuition » ou « contemplation ».
Une Weltanschauung n’est pas une simple opinion ou un point de vue partiel. Elle désigne un système intellectuel, affectif et moral, un cadre d’interprétation global et cohérent, à travers lequel un individu ou une culture entière perçoit, comprend et évalue la totalité de ce qui est. C’est une « grille de lecture » fondamentale qui donne un sens à l’univers, à la vie humaine et à l’histoire.
Cette vision du monde répond, explicitement ou implicitement, aux grandes questions métaphysiques, épistémologiques et éthiques : Quelle est l’origine de l’univers ? Quelle est la nature de la réalité ? Qu’est-ce que l’être humain et quelle est sa place dans le cosmos ? Comment pouvons-nous connaître la vérité ? Qu’est-ce que le bien et le mal ? Quel est le but de l’existence ?
Une Weltanschauung peut être fondée sur des croyances religieuses, des principes philosophiques, des convictions politiques ou des postulats scientifiques. Par exemple, le marxisme, le christianisme, l’humanisme libéral ou le matérialisme scientifique constituent des Weltanschauungen complètes.
Usage en Philosophie
Le concept de Weltanschauung est devenu un terme technique central dans la philosophie allemande de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècle, notamment pour penser la relation entre la vie, l’histoire et la pensée.
Bien qu’Immanuel Kant ait utilisé le terme Anschauung (intuition) de manière centrale, c’est Wilhelm Dilthey qui a donné au concept de Weltanschauung sa profondeur philosophique. Pour Dilthey, les systèmes philosophiques ne sont pas de pures constructions logiques nées dans le vide. Ils sont l’expression la plus aboutie de l’expérience vécue (Erlebnis) de l’existence.
Face à « l’énigme de la vie », l’être humain développe une Weltanschauung pour tenter de résoudre la tension entre sa finitude et l’infinité du monde. Dilthey soutient qu’il existe un nombre limité de types fondamentaux de visions du monde, qui reviennent constamment dans l’histoire sous différentes formes (religieuses, artistiques, philosophiques). Il identifie par exemple le naturalisme (qui voit l’homme comme un produit de la nature, comme chez Démocrite ou Hobbes), l’idéalisme objectif (qui voit une réalité spirituelle immanente au monde, comme chez Héraclite ou Hegel) et l’idéalisme de la liberté (qui met l’accent sur la souveraineté de l’esprit sur le monde, comme chez Platon ou Kant). Pour Dilthey, ces visions du monde sont irréductibles les unes aux autres ; la philosophie ne peut pas prouver qu’une seule est vraie, mais elle peut les comprendre comme des expressions nécessaires de la vie elle-même.
Sigmund Freud, dans une célèbre conférence de 1932 intitulée « Sur la Weltanschauung« , définit celle-ci comme « une construction intellectuelle qui résout de manière unitaire tous les problèmes de notre être à partir d’une hypothèse supérieure ». Il examine la religion comme la Weltanschauung la plus puissante, mais aussi la plus illusoire. Il se demande si la psychanalyse peut en offrir une, mais conclut qu’elle est un outil scientifique et ne peut prétendre, comme l’est la Weltanschauung scientifique globale, qu’à une vision modeste et partielle, mais rationnelle, du monde.
Karl Jaspers, dans sa Psychologie des visions du monde, analyse les Weltanschauungen comme des « enveloppes spirituelles » dans lesquelles nous vivons, mais aussi comme des « forces » qui animent nos choix. Il explore comment les individus construisent leurs visions du monde, souvent en réaction à des « situations-limites » comme la mort, la souffrance ou la faute.
L’usage du terme souligne le caractère historique et contextuel de la pensée. Il s’oppose à l’idée d’une philosophie pure, éternelle et désincarnée. Toute pensée, même la plus abstraite, est enracinée dans une vision du monde qui lui préexiste et la conditionne. Cela pose la question du relativisme : si toute philosophie n’est que l’expression d’une Weltanschauung particulière, la vérité objective est-elle encore possible, ou ne sommes-nous enfermés que dans des interprétations concurrentes ?