Définition et Étymologie
Le terme Violence provient du latin violentia, qui désigne la « force impétueuse », « l’emportement », un mot lui-même dérivé de vis, la « force » ou la « vigueur ». L’étymologie indique d’emblée une ambiguïté : la violence est liée à la force, mais elle en est une manifestation excessive, un débordement qui fait irruption.
Dans son acception la plus courante, la violence est l’utilisation de la force physique ou psychique pour contraindre, dominer, blesser, endommager ou détruire. Elle implique une interaction, souvent dissymétrique, où un agent impose sa volonté à un autre, en portant atteinte à son intégrité physique, morale ou matérielle.
La philosophie s’attache à distinguer la violence de la simple force. La force peut être neutre, c’est une capacité d’agir. La violence, en revanche, est presque toujours comprise comme un usage illégitime de cette force. Elle est ce qui transgresse une norme, un droit, une intégrité. Elle est une rupture de l’ordre, une brutalité qui s’oppose à la fois à la parole, au droit et à la paix.
Usage en Philosophie
La violence est un concept central en philosophie politique et morale, car elle pose la question fondamentale de la nature humaine, du pouvoir et de la légitimité de l’État.
Violence, État de Nature et Contrat Social
Pour des penseurs comme Thomas Hobbes, la violence est la condition originelle de l’humanité. Dans Le Léviathan, il décrit l’état de nature comme une « guerre de tous contre tous ». En l’absence d’un pouvoir centralisé, la rivalité, la méfiance et la quête de gloire poussent les hommes à une violence endémique, ou du moins à la peur constante de celle-ci.
La création de l’État, par le contrat social, est précisément un acte de renoncement à la violence privée. Les individus transfèrent leur droit de se défendre eux-mêmes à un souverain. Ce souverain détient alors le monopole de la force.
C’est ce que le sociologue Max Weber théorisera plus tard en définissant l’État moderne comme l’institution qui « revendique avec succès le monopole de la violence physique légitime » sur un territoire donné. La force de la police ou de l’armée n’est pas considérée comme de la violence, mais comme l’exercice légal de la contrainte, car elle est encadrée par le droit. La violence commence là où la légitimité s’arrête.
Violence, Histoire et Révolution
Cette vision de l’État comme pacificateur est radicalement contestée. Pour Karl Marx et Friedrich Engels, l’histoire n’est pas le passage de la violence à la paix, mais la transformation d’une forme de violence en une autre. L’histoire est l’histoire de la lutte des classes. L’État n’est pas un arbitre neutre ; il est l’instrument de la violence de la classe dominante, la bourgeoisie, pour opprimer le prolétariat. Le droit, la police, l’usine sont des formes de violence économique et politique structurelle.
Dans cette perspective, la révolution n’est pas une irruption de violence dans un monde pacifié, mais une contre-violence nécessaire. Marx écrit que la violence est « l’accoucheuse de toute vieille société grosse d’une nouvelle ». La violence devient un moteur de l’histoire, le seul moyen de briser l’oppression institutionnalisée.
Cette apologie de la violence comme outil de libération sera reprise au vingtième siècle. Frantz Fanon, dans Les Damnés de la terre, analyse la violence coloniale comme un système déshumanisant. Pour le colonisé, l’acte de violence contre le colonisateur est une nécessité politique, mais aussi un acte psychologique de restauration de sa propre humanité. Jean-Paul Sartre, dans sa préface au livre, ira jusqu’à dire que cette violence « est l’homme lui-même se recréant ».
La Critique de la Violence
Cette justification de la violence a été vivement critiquée. Hannah Arendt, dans son essai Sur la violence, opère une distinction conceptuelle majeure entre le pouvoir et la violence. Le pouvoir (power), selon elle, n’est jamais la propriété d’un seul homme ; il appartient à un groupe et surgit lorsque les gens agissent de concert. Le pouvoir est le consentement, la capacité d’agir ensemble.
La violence (violence), au contraire, est instrumentale. Elle utilise des outils, qu’il s’agisse d’un bâton ou d’un missile, pour multiplier la force. Pour Arendt, la violence et le pouvoir sont antithétiques : là où l’un règne absolument, l’autre est absent. La violence apparaît là où le pouvoir s’effondre. Le terrorisme, forme extrême de la violence, est le signe d’une impuissance politique totale. La violence peut détruire le pouvoir, mais elle est incapable d’en créer.
Face à la violence comme moyen politique, la figure de Gandhi et le principe de l’Ahimsa (non-violence) proposent une alternative radicale. Pour Gandhi, la violence est le signe de la faiblesse et ne fait que perpétuer le cycle de la haine. La non-violence active (Satyagraha ou « force de la vérité ») est une force morale supérieure qui vise non pas à détruire l’adversaire, mais à le convertir en faisant appel à sa conscience.
La Violence Symbolique
Enfin, la philosophie contemporaine a élargi le concept au-delà de la seule atteinte physique. Pierre Bourdieu a développé le concept de violence symbolique. C’est une violence invisible, douce, qui s’exerce par les voies de la culture, de l’éducation ou du langage. C’est la capacité de la classe dominante à imposer ses propres catégories de pensée, ses goûts et ses normes comme étant universels et légitimes.
La force de la violence symbolique réside dans le fait qu’elle est exercée avec la complicité de ceux qui la subissent. Les dominés intériorisent les structures de la domination et les perçoivent comme naturelles ou justes, participant ainsi à leur propre assujettissement sans qu’aucun coup ne soit porté.