Définition et Étymologie
Le terme Valeur provient du latin valor, lui-même dérivé du verbe valere qui signifie « être fort », « se bien porter », « avoir de la vigueur », et par extension « valoir », « avoir un prix ». Cette double étymologie est cruciale : elle contient à la fois l’idée d’une force ou d’une vitalité inhérente et l’idée d’une estimation ou d’un prix attribué lors d’un échange.
Dans son sens le plus général, la valeur est le caractère d’une chose, d’une personne ou d’une action qui la rend plus ou moins estimable, désirable ou digne d’intérêt. C’est ce qui « vaut » la peine d’être recherché ou ce qui mérite le respect.
Cette définition se scinde immédiatement en deux grands domaines. D’une part, la valeur économique ou marchande, qui est le prix d’un bien ou d’un service, déterminé par l’échange sur un marché. D’autre part, la valeur morale, esthétique ou spirituelle, qui désigne un idéal ou un principe de conduite reconnu comme légitime et désirable par une personne ou un groupe. C’est en ce second sens que l’on parle des valeurs d’une civilisation, comme la Justice, la Liberté ou la Vérité.
La question philosophique fondamentale est de savoir si la valeur est une propriété objective de la chose (la chose a de la valeur en elle-même) ou si elle est une projection subjective de nos désirs et de nos jugements sur cette chose (c’est nous qui lui donnons de la valeur).
Usage en Philosophie
La valeur est l’objet d’étude central de l’Axiologie, la branche de la philosophie qui s’interroge sur la nature et la hiérarchie des valeurs.
La Valeur comme Réalité Objective
Dans la pensée antique, la valeur n’est pas une création humaine. Pour Platon, les véritables valeurs, comme le Bien, le Beau et le Vrai, sont des Idées éternelles et absolues. Elles existent en soi, dans un monde intelligible. Les choses du monde sensible n’ont de valeur que dans la mesure où elles participent à ces Idées. L’homme vertueux n’invente pas la Justice ; il la contemple par sa raison et tente de l’incarner. La valeur est donc ce qui est le plus réellement, et le Bien est la valeur suprême, « soleil du monde intelligible ».
Aristote, bien que plus immanentiste, lie aussi la valeur à l’être. La valeur d’un être réside dans l’accomplissement de sa nature propre, de son telos (sa fin). La valeur suprême pour l’homme est l’eudaimonia, le bonheur, qui s’atteint par la pratique de la vertu, c’est-à-dire l’excellence de la raison.
La Valeur Économique et la Critique Sociale
Avec la modernité, la réflexion sur la valeur se sécularise et s’ancre dans l’économie politique. Adam Smith distingue la « valeur d’usage » (l’utilité d’un objet pour satisfaire un besoin) de la « valeur d’échange » (ce qu’il permet d’obtenir en échange d’autres biens). Il note le fameux paradoxe de l’eau et du diamant : l’eau a une valeur d’usage immense mais une valeur d’échange quasi nulle, tandis que le diamant, peu utile, a une valeur d’échange considérable.
Karl Marx reprend cette distinction pour en faire une critique radicale. Pour lui, dans le système capitaliste, la valeur d’une marchandise n’est ni son utilité ni son prix fluctuant, mais la quantité de « temps de travail socialement nécessaire » pour la produire. Marx dénonce l’aliénation où la valeur d’échange, abstraite, domine la valeur d’usage, concrète. Il introduit le concept de « plus-value » : la valeur supplémentaire créée par le travail de l’ouvrier, que le capitaliste s’approprie. La valeur devient le lieu d’un conflit social et d’une exploitation.
La Séparation du Fait et de la Valeur
L’essor de la science moderne a conduit à une rupture majeure. La science décrit le monde tel qu’il est (les faits), mais elle ne dit rien sur ce qui doit être (les valeurs). Le monde des faits est objectif et quantifiable, tandis que le monde des valeurs semble être celui de la subjectivité, de l’émotion ou de la convention. C’est la « neutralité axiologique ».
La Transvaluation Nietzschéenne
Friedrich Nietzsche est le philosophe de la valeur par excellence. Il diagnostique la crise de la modernité comme un Nihilisme : les valeurs suprêmes (celles de la religion et de la métaphysique platonicienne) se sont dévalorisées. « Dieu est mort » signifie que l’absolu qui garantissait nos valeurs s’est effondré.
Selon Nietzsche, les valeurs n’ont jamais été transcendantes. Elles sont toujours des créations humaines, des évaluations qui expriment une certaine Volonté de Puissance. Les valeurs judéo-chrétiennes (pitié, égalité, humilité) sont pour lui des valeurs d’esclaves, des valeurs de ressentiment qui nient la vie. Il appelle non pas à de nouvelles idoles, mais à une « transvaluation de toutes les valeurs » : la création de nouvelles valeurs, fondées sur l’affirmation de la vie, la force créatrice et la figure du Surhomme. L’homme doit devenir celui qui crée la valeur.
La Valeur comme Fait Social ou Création Existentielle
En réponse à cette crise, deux voies se sont dessinées. Pour le sociologue Émile Durkheim, les valeurs ne sont pas subjectives, mais des « faits sociaux ». Ce sont des idéaux collectifs (la Patrie, la Solidarité, la Raison) que la société produit pour assurer sa cohésion. Elles sont objectives pour l’individu, car elles s’imposent à lui de l’extérieur.
Pour les existentialistes, comme Jean-Paul Sartre, Nietzsche a raison : la valeur ne se trouve pas dans le monde, elle doit être inventée. « L’existence précède l’essence ». Puisqu’il n’y a pas de nature humaine ni de Dieu pour nous guider, nous sommes « condamnés à être libres » et donc entièrement responsables de créer nos propres valeurs par nos choix et nos engagements.