Définition et Étymologie
Umwelt est un terme allemand qui se traduit littéralement par « monde environnant » (de Um- signifiant « autour » et Welt signifiant « monde »). Cependant, en philosophie et en biologie théorique, il ne désigne pas l’environnement objectif, mais le monde propre d’un organisme, c’est-à-dire l’univers subjectif tel qu’il est perçu et construit par les capacités sensorielles et motrices de cet organisme.
Ce concept a été introduit et popularisé au début du vingtième siècle par le biologiste et philosophe germano-estonien Jakob von Uexküll. Il est au cœur de ce qu’on appelle la biosémiotique, l’étude des signes et de la communication dans le monde vivant.
Pour Uexküll, il est essentiel de distinguer l’Umgebung, qui est l’environnement physique et objectif dans lequel un être vivant évolue, de l’Umwelt, qui est la « bulle » perceptive de cet être. Chaque espèce, et même chaque individu, vit dans son propre Umwelt, qui est un sous-ensemble très filtré de l’Umgebung.
Cet Umwelt est composé de deux parties complémentaires. D’une part, le Merkwelt (le monde perçu), qui rassemble tout ce que l’organisme peut percevoir grâce à ses sens. D’autre part, le Wirkwelt (le monde agi), qui comprend tout ce que l’organisme peut faire, ses actions possibles sur son environnement. L’Umwelt est la boucle fermée entre ce que l’animal perçoit et ce qu’il fait.
L’exemple le plus célèbre donné par Uexküll est celui de la tique. L’Umgebung de la tique est complexe : la forêt, le vent, les couleurs des fleurs, les sons des oiseaux. Mais l’Umwelt de la tique est radicalement simple. Elle attend, parfois des années, sur une branche. Son monde perçu est réduit à trois signaux pertinents. D’abord, un sens général de la lumière la pousse à grimper vers l’extrémité de la branche. Ensuite, elle perçoit l’odeur de l’acide butyrique, une substance émise par la peau des mammifères. Ce signal déclenche son action : elle se laisse tomber. Enfin, si elle atterrit sur une surface chaude, un troisième signal, la température, déclenche son action finale : s’enfoncer et sucer le sang. La tique vit dans le même monde physique que nous, mais son Umwelt est un monde de trois signaux, ignorant tout le reste.
Usage en Philosophie
Le concept d’Umwelt a eu une influence philosophique considérable, bien au-delà de la biologie. Il a été crucial pour la phénoménologie, l’ontologie et l’éthologie philosophique, car il remet radicalement en question notre prétention humaine à percevoir « le » monde tel qu’il est.
Martin Heidegger, dans ses séminaires, notamment Les concepts fondamentaux de la métaphysique, a longuement analysé les travaux d’Uexküll pour établir sa propre distinction ontologique entre les modes d’être. Heidegger propose une célèbre tripartition. La pierre, ou l’objet inanimé, est weltlos, c’est-à-dire « sans monde ». Elle est présente, mais elle n’a aucune ouverture perceptive sur ce qui l’entoure.
L’animal, selon Heidegger, est weltarm, ce qui signifie « pauvre en monde ». C’est ici qu’il utilise directement Uexküll. L’animal n’est pas « sans monde » comme la pierre ; il a une relation à son environnement, mais il est captif de son Umwelt. L’animal est « pris » par ce qui l’entoure, il réagit à des signaux, à des stimuli, mais il ne peut pas appréhender les choses en tant que choses. Il ne saisit pas l’être de l’étant. L’abeille va vers la fleur pour son nectar, mais elle ne perçoit pas « la fleur » dans son essence, comme un objet indépendant d’elle.
L’être humain, enfin, que Heidegger nomme le Dasein (l’être-là), est weltbildend, ce qui signifie « configurateur de monde ». L’humain n’est pas « pauvre en monde » ni simplement « dans » un Umwelt. L’humain a un Monde (Welt). Nous ne sommes pas limités à réagir à des signaux ; nous comprenons le sens des choses. Nous pouvons voir l’arbre en tant que arbre, ou en tant que bois de chauffage, ou en tant que symbole de vie. Notre relation au monde est médiatisée par le langage et la compréhension, ce qui nous ouvre à l’infinité du sens, bien au-delà de la boucle stimulus-réponse de l’animal.
Des philosophes comme Maurice Merleau-Ponty ont également utilisé ces réflexions, notamment dans La structure du comportement, pour critiquer le béhaviorisme (comportementalisme) et le dualisme cartésien. L’Umwelt montre que l’organisme et son milieu ne sont pas deux entités séparées, l’une agissant sur l’autre, mais un système couplé. La perception n’est pas une simple réception de données, mais une structuration active du monde par un corps vivant, un « corps propre ».
Aujourd’hui, le concept d’Umwelt est central en éthique animale. Il nous oblige à reconnaître que chaque espèce vit dans une réalité perceptive différente. Pour comprendre la souffrance ou le bien-être d’un animal, il est insuffisant de projeter nos propres perceptions humaines. Il faut tenter de comprendre son monde propre, son Umwelt, qu’il s’agisse de l’univers d’écholocation de la chauve-souris ou de l’univers olfactif du chien.





