Philosophes.org
Structure
  1. Définition et étymologie
  2. Usage philosophique et développements conceptuels
    1. Les fondements métaphysiques : être et essence
    2. Théorie de la connaissance : abstraction et réalisme modéré
    3. Anthropologie : l’unité substantielle de l’âme et du corps
    4. Éthique : loi naturelle et vertu
    5. Les cinq voies : démonstrations de l’existence de Dieu
    6. Théologie de la grâce et de la prédestination
    7. Le néo-thomisme : renouveau moderne
Philosophes.org
  • n/a

Thomisme

  • 22/10/2025
  • 5 minutes de lecture
Total
0
Shares
0
0
0

Définition et étymologie

Le thomisme désigne l’ensemble des doctrines philosophiques et théologiques élaborées par saint Thomas d’Aquin (1225-1274) ainsi que les courants de pensée qui s’en réclament et les développent. Le terme dérive du nom latinisé du théologien dominicain, Thomas Aquinas. Il s’agit d’une synthèse magistrale entre la philosophie aristotélicienne redécouverte au XIIIe siècle et la théologie chrétienne, constituant l’un des systèmes de pensée les plus influents et cohérents de la tradition occidentale.

Le thomisme ne se réduit pas à une simple répétition de l’enseignement de Thomas d’Aquin, mais englobe également les interprétations, commentaires et développements ultérieurs de ses disciples et continuateurs à travers les siècles. On distingue généralement le thomisme médiéval originel, le thomisme de la seconde scolastique (XVIe-XVIIe siècles), le néo-thomisme (XIXe-XXe siècles) et le thomisme transcendantal contemporain.

Usage philosophique et développements conceptuels

Les fondements métaphysiques : être et essence

Au cœur du thomisme se trouve une métaphysique de l’être inspirée d’Aristote mais profondément renouvelée. Thomas distingue l’essence (ce qu’une chose est, sa nature) de l’existence (le fait qu’elle soit). Cette distinction réelle entre essence et existence constitue une innovation majeure : dans toute créature, l’essence est une pure potentialité qui reçoit l’existence comme un acte distinct.

Seul Dieu est l’Ipsum Esse Subsistens, l’Être même subsistant, où essence et existence s’identifient absolument. En Dieu seul, exister appartient à sa nature même. Cette doctrine permet de penser la création comme don gratuit de l’existence : Dieu ne fabrique pas le monde à partir d’une matière préexistante, mais donne l’être à ce qui, de soi, n’est rien. La contingence radicale des créatures (elles pourraient ne pas être) manifeste leur dépendance ontologique totale envers le Créateur.

Cette métaphysique participative affirme que les créatures « participent » à l’être divin sans s’identifier à lui. Elles reçoivent l’existence de manière limitée, selon leur essence propre, tandis que Dieu est l’être en plénitude. Cette participation fonde une hiérarchie ontologique où chaque degré d’être reflète imparfaitement la perfection divine.

Théorie de la connaissance : abstraction et réalisme modéré

Face au débat médiéval sur les universaux, Thomas adopte une position de « réalisme modéré ». Les universaux (genres et espèces) n’existent pas séparément des choses singulières comme chez Platon, ni ne sont de pures conventions nominales. Ils existent triplement : ante rem (dans l’esprit divin comme modèles), in re (dans les choses comme formes substantielles), et post rem (dans l’intellect humain comme concepts abstraits).

La connaissance humaine commence avec l’expérience sensible. L’intellect agent abstrait des données sensibles les formes intelligibles universelles, permettant à l’intellect possible de connaître les essences. Cette théorie de l’abstraction réconcilie empirisme (toute connaissance commence par les sens : nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu) et intellectualisme (l’intellect saisit des vérités universelles et nécessaires inaccessibles aux sens).

Thomas affirme également une certaine proportionnalité entre l’intellect humain et la réalité : nous pouvons connaître véritablement les natures des choses, même si notre connaissance demeure imparfaite et progressive. Cette confiance épistémologique contraste avec le scepticisme ou le nominalisme et fonde la possibilité d’une science rationnelle du réel.

Anthropologie : l’unité substantielle de l’âme et du corps

Contre le dualisme platonicien qui conçoit l’homme comme une âme emprisonnée dans un corps, Thomas affirme l’unité substantielle de la personne humaine. L’âme rationnelle est la forme substantielle unique du corps : elle ne s’ajoute pas à un corps déjà constitué mais est le principe même qui organise la matière corporelle et fait d’elle un corps humain vivant.

Cette doctrine de l’hylémorphisme (union de matière et forme) implique que l’homme n’a pas un corps, il est son corps animé. L’âme humaine possède cependant une propriété unique : bien qu’elle soit forme du corps, elle est également subsistante et spirituelle, capable d’opérations intellectuelles qui transcendent la matière. Cette subsistance spirituelle fonde l’immortalité personnelle.

Thomas développe également une théorie des facultés (végétatives, sensitives, intellectuelles, appétitives) qui structure la vie psychologique. La volonté, appétit rationnel, tend naturellement vers le bien connu par l’intellect. La liberté humaine consiste dans le libre arbitre, capacité de choisir entre différents biens particuliers en vue du bonheur ultime.

Éthique : loi naturelle et vertu

L’éthique thomiste repose sur une conception téléologique de l’agir humain. Tout être tend naturellement vers sa perfection propre, sa fin (telos). Pour l’homme, être rationnel, cette fin est le bonheur (beatitudo), qui consiste ultimement dans la contemplation de Dieu, bien suprême et source de toute perfection.

La loi naturelle constitue le fondement de la morale thomiste. Inscrite dans la nature rationnelle humaine, elle prescrit de faire le bien et d’éviter le mal selon les inclinations naturelles ordonnées : conservation de l’être, procréation et éducation, vie sociale, connaissance de la vérité sur Dieu. Cette loi naturelle, participation de la créature rationnelle à la loi éternelle divine, est universelle et immuable dans ses premiers principes, tout en admettant des applications variables selon les circonstances.

Les vertus, habitus perfectionnant les facultés, permettent d’actualiser cette loi naturelle. Thomas reprend les quatre vertus cardinales aristotéliciennes (prudence, justice, force, tempérance) en les complétant par les trois vertus théologales chrétiennes (foi, espérance, charité). La prudence, vertu de l’intellect pratique, joue un rôle central en discernant les moyens concrets d’accomplir le bien dans chaque situation particulière.

Les cinq voies : démonstrations de l’existence de Dieu

Dans la Somme théologique, Thomas propose cinq arguments rationnels (quinque viae) démontrant l’existence de Dieu à partir de l’observation du monde créé. Ces preuves a posteriori partent de faits d’expérience pour remonter à leur cause première nécessaire.

La première voie, celle du mouvement, affirme que tout ce qui se meut est mû par un autre, exigeant un Premier Moteur immobile. La deuxième, par la causalité efficiente, remonte à une Cause première incausée. La troisième, par la contingence, conclut à l’existence d’un Être nécessaire fondant tous les êtres contingents. La quatrième, par les degrés de perfection observables dans les choses, postule un Être parfait en soi. La cinquième, par la finalité ordonnée de la nature, infère une Intelligence ordonnatrice.

Ces démonstrations ne prétendent pas épuiser le mystère divin mais établir rationnellement l’existence d’un fondement transcendant du réel, que la révélation identifie au Dieu personnel de la Bible.

Théologie de la grâce et de la prédestination

Thomas élabore une théologie sophistiquée des rapports entre nature et grâce, liberté humaine et action divine. La grâce ne détruit pas la nature mais la perfectionne (gratia non tollit naturam sed perficit). Elle élève l’homme à une participation surnaturelle à la vie divine tout en respectant et accomplissant ses potentialités naturelles.

Concernant la prédestination, Thomas affirme que Dieu prédestine certains au salut de toute éternité, mais que cette prédestination s’accomplit à travers la libre coopération humaine avec la grâce. Dieu connaît de toute éternité les choix libres que feront les créatures sans pour autant les contraindre. Cette doctrine tente de concilier la souveraineté divine absolue et la responsabilité morale authentique des personnes humaines.

Le néo-thomisme : renouveau moderne

Après des siècles d’éclipse, le thomisme connaît un renouveau spectaculaire au XIXe siècle. L’encyclique Aeterni Patris (1879) du pape Léon XIII impose la philosophie thomiste comme référence dans l’enseignement catholique. Le cardinal Désiré-Joseph Mercier à Louvain, Jacques Maritain en France, Étienne Gilson comme historien de la philosophie médiévale, développent un néo-thomisme vigoureux dialoguant avec la modernité.

Maritain applique les principes thomistes aux questions politiques et sociales, développant une théorie de la démocratie et des droits humains fondée sur la loi naturelle. Gilson défend l’originalité de la métaphysique thomiste de l’existence contre les essentialismes modernes. Le thomisme transcendantal de Karl Rahner et Bernard Lonergan tente une synthèse entre thomisme et philosophie transcendantale kantienne.

Le thomisme demeure ainsi une tradition vivante, offrant une synthèse cohérente entre foi et raison, nature et grâce, créature et Créateur, continuant d’inspirer philosophes et théologiens confrontés aux défis de la pensée contemporaine.

Total
0
Shares
Share 0
Tweet 0
Share 0
Article précédent
  • n/a

Tabula rasa (table rase)

  • 22/10/2025
Lire l'article
Article suivant
  • n/a

Théologie

  • 22/10/2025
Lire l'article
Vous devriez également aimer
Lire l'article
  • n/a

Théorie

  • Philosophes.org
  • 22/10/2025
Lire l'article
  • n/a

Tolérance

  • Philosophes.org
  • 22/10/2025
Lire l'article
  • n/a

Transcendance

  • Philosophes.org
  • 22/10/2025
Lire l'article
  • n/a

Téléologie

  • Philosophes.org
  • 22/10/2025
Lire l'article
  • n/a

Temps

  • Philosophes.org
  • 22/10/2025
Lire l'article
  • n/a

Théodicée

  • Philosophes.org
  • 22/10/2025
Lire l'article
  • n/a

Théologie

  • Philosophes.org
  • 22/10/2025
Lire l'article
  • n/a

Tabula rasa (table rase)

  • Philosophes.org
  • 22/10/2025

Laisser un commentaire Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

octobre 2025
LMMJVSD
 12345
6789101112
13141516171819
20212223242526
2728293031 
« Sep    
Tags
Action (22) Aristotélisme (15) Bouddhisme (52) Connaissance (27) Conscience (33) Cosmologie (23) Critique (20) Dao (36) Dialectique (30) Droit (13) Démocratie (17) Empirisme (14) Esthétique (14) Existentialisme (12) Franc-maçonnerie (24) Herméneutique (22) Histoire (23) Justice (25) Liberté (29) Logique (33) Mathématiques (15) Matérialisme (12) Modernité (18) Morale (66) Métaphysique (36) Nature (16) Phénoménologie (19) Politique (17) Pouvoir (24) Raison (23) Rationalisme (21) Sagesse (73) Scepticisme (12) Sciences (20) Société (13) Spiritualité (24) Stoïcisme (30) Théologie (19) Tradition (19) Vertu (23) Voie (37) Vérité (13) Éducation (14) Épistémologie (20) Éthique (99)
Affichage des tags
Monadologie Tyrannie Consolation Mythe Zen Résilience Fonctionnalisme Éthique Nationalisme Provocation Évolution Bonheur Être Éloquence Légitimité Identité Singularité Archétypes Croyances Optimisme Impermanence Internalisme Fortune Utilitarisme Deuil Probabilités Détachement Démocratie Relativisme Temps Neurologie Commentaire Totalitarisme Humanisme Éveil Théorie Populisme Individualité Méditation Sensibilité Opposés Féminisme Divertissement Modération Relation Statistique Exemplarité Opinion Émanation Finitude Rivalité Nature Exégèse Mystique Propriété Philosophie première Réfutation Passions Philosophie de la nature Épicurisme Cycles Pulsion Mathématiques Foi Contrat social Fidélité Finalisme Durée Philosophie de l’art Stoïcisme Sexualité Ambiguïté Morale Civilisation Presse Illusion Égalité Tolérance Taoïsme Narcissisme Spiritualité Sociologie Anarchisme Matière Salut Libre arbitre Expressivité Comportement Motivation Hédonisme Agnosticisme Économie Destin Politique Décadence Possible Cartésianisme Philosophie politique Contrôle Métamorphoses Souveraineté Philosophie analytique Scepticisme Travail Observation Philosophie du langage Usage Impérialisme Pluralisme Population Possession Syncrétisme Éducation Philosophie de la technique Sublime Mort Bien Culture Intelligence artificielle Autonomie Négativité Cosmologie Compassion Expérience Praxis Représentation Immanence Cognition Beauté Fondements Géométrie Existentialisme Dieu Condition humaine Normalisation Prédestination Institutions Erreur Séduction Psychologie Spiritualisme Rhétorique Dépassement Risque Pragmatisme Questionnement Persuasion Amitié Temporalité Sacrifice Égoïsme Connotation Attention Esthétique Engagement Âme Théologie Corps Altérité Confession Critique Justice Pari Aristotélisme Janséisme Climat Rites initiatiques Simplicité Infini Dialogue Inconscient Sophistique Herméneutique Impératif Changement Fatalisme Romantisme Christianisme Grandeur Ennui Controverse Contradiction Désir Marxisme Trace Conversion Solitude Technologie Communisme Unité Communication Physiologie Phénoménologie République Privation Indifférence Hospitalité Oisiveté Charité Liberté Anthropologie Dualisme Certitudes Système Déduction Différance Gestalt Guerre Voie Ataraxie Savoir Syntaxe Angoisse Éléatisme Syllogisme Inégalité Sciences humaines Choix Altruisme Falsifiabilité Paradoxes Névrose Démonstration Prophétie Individualisme Esprit Dilemme Conscience Mal Violence Réalisme Honneur Pardon Réincarnation Connaissance Réalité Bienveillance Intellect Objectivité Médecine Franc-maçonnerie Providence Règles Richesse Naturalisme Vertu Intuition Influence Quotidien Responsabilité Interpellation Gouvernement Interprétation Idées Vérité Thérapie Souffrance Indétermination Plaisir Athéisme Prédiction Justification Trauma Nominalisme Téléologie Habitude Médiation Ordre Vacuité Allégorie Amour Histoire Catalepsie Harmonie Émotions Mécanique Référence Reconnaissance Socialisme Typologie Métaphysique Propositions Art Littérature Astronomie Musique Catharsis Surveillance Contemplation Progrès Nihilisme État Entropie Mémoire Modalité Misère Devenir Compréhension Nombre Métaphore Droit Philosophie naturelle Symbole Épistémologie Colonialisme Personnalité Synchronicité Philosophie religieuse Logos Scolastique Psychanalyse Rupture Silence Discipline Autarcie Bouddhisme Perception Séparation Intentionnalité Transformation Intelligence Judaïsme Formalisation Capitalisme Thomisme Doute Pédagogie Réversibilité Alchimie Utopie Libéralisme Empirisme Visage Apeiron Déconstruction Holisme Sens Matérialisme Technique Pessimisme Complexité Atomisme Modernité Rêves Linguistique Déterminisme Idéologie Fiabilisme Autorité Sémantique Physique Narration Flux Clémence Individuation Philosophie de l’expérience Purification Modélisation Illumination Nécessité Sciences Induction Absolu Soupçon Ascétisme Universaux Tradition Folie Philosophie de l’information Tautologie Acceptation Humilité Langage Désespoir Rationalisme Cynisme Religion Philosophie sociale Réforme Traduction Paradigmes Pouvoir Aliénation Autrui Médias Émancipation Transfert Dialectique Subjectivité Réduction Synthèse Société Philosophie de la culture Géographie Expression Contingence Situation Eudémonisme Constructivisme Dao Maïeutique Révélation Philosophie de la religion Transcendance Philosophie des sciences Néant Création Authenticité Maîtrise de soi Spontanéité Axiomatique Volonté Existence Ontologie Communautarisme Essentialisme Transmission Positivisme Logique Raison Panthéisme Philosophie de l’esprit Ironie Renaissance Haine Sagesse Théodicée Culpabilité Jugement Éternité Réductionnisme Abduction École Déontologie Terreur Pluralité Grâce Causalité Karma Mouvement Substance Monisme Méthode Principe Péché Révolution Sacré Confucianisme Idéalisme Narrativité Action Philosophie morale Adversité Devoir
Philosophes.Org
  • A quoi sert le site Philosophes.org ?
  • Politique de confidentialité
  • Conditions d’utilisation
  • Contact
  • FAQ – Questions fréquentes
  • Les disciplines d’intérêt pour la philosophie
La philosophie au quotidien pour éclairer la pensée

Input your search keywords and press Enter.