Définition et étymologie
Le principe désigne ce qui vient en premier, ce qui est au commencement, que ce soit dans l’ordre temporel, logique ou ontologique. Le terme provient du latin principium, dérivé de princeps (premier, chef), lui-même composé de primus (premier) et capere (prendre). En grec, le concept correspondant est l’archè, qui signifie à la fois commencement, commandement et principe.
On peut distinguer plusieurs sens du terme selon les contextes. Le principe peut désigner une réalité première dont dérivent toutes les autres (principe ontologique), une vérité première servant de fondement à un système de connaissance (principe épistémologique), une règle fondamentale guidant l’action (principe moral ou pratique), ou encore une cause initiale d’un processus (principe causal). Dans tous ces cas, le principe possède une primauté : il est ce à partir de quoi on comprend, on explique ou on agit.
La notion de principe soulève des questions philosophiques fondamentales : existe-t-il des principes absolument premiers ou toute recherche de fondement est-elle vouée à une régression infinie ? Les principes sont-ils découverts ou posés ? Sont-ils universels et nécessaires ou relatifs et contingents ?
Usage philosophique et développements
Les présocratiques inaugurent la philosophie occidentale précisément par la recherche du principe (archè) de toutes choses. Thalès affirme que l’eau est le principe universel, Anaximène propose l’air, Héraclite le feu, Anaximandre l’apeiron (l’indéterminé), Empédocle les quatre éléments. Cette quête du principe unique ou des principes multiples définit le projet même de la philosophie naturelle : ramener la multiplicité du réel à un ou plusieurs principes explicatifs fondamentaux.
Pythagore et ses disciples identifient les nombres comme principes de toutes choses. La réalité possède une structure mathématique ; comprendre les rapports numériques, c’est saisir les principes constitutifs du cosmos. Cette intuition pythagorigienne influence durablement la pensée occidentale, notamment à travers Platon.
Platon développe une conception hiérarchisée des principes. Les Idées ou Formes intelligibles constituent les principes ontologiques du monde sensible : les choses particulières participent aux Idées universelles qui sont leurs modèles. Au sommet de la hiérarchie des Idées se trouve l’Idée du Bien, principe suprême qui confère aux autres Idées leur intelligibilité et leur être, comparable au soleil qui rend visible le monde sensible. Dans le Parménide et d’autres dialogues tardifs, Platon explore les principes encore plus fondamentaux de l’Un et de la Dyade indéfinie, principes ultimes dont dérivent même les Idées.
Aristote systématise la théorie des principes dans sa Métaphysique. Il distingue plusieurs types de principes : les principes de la démonstration (axiomes logiques comme le principe de non-contradiction), les principes de l’être (substance, forme, matière), et les principes du devenir (cause efficiente, cause finale). Le principe de non-contradiction – « il est impossible que le même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps, au même sujet et sous le même rapport » – constitue le principe premier, indémontrable mais indispensable, sur lequel repose toute pensée cohérente. Aristote distingue également ce qui est principe « pour nous » (plus connu de nous) et ce qui est principe « en soi » (plus connu par nature), reconnaissant ainsi que l’ordre de la connaissance ne coïncide pas nécessairement avec l’ordre de l’être.
Les stoïciens identifient deux principes cosmiques : la matière passive (hulè) et le logos actif (raison divine, feu artiste) qui organise et pénètre toute matière. Ces deux principes, bien que distincts conceptuellement, sont inséparables et constituent ensemble la substance unique de l’univers.
Au Moyen Âge, la théologie chrétienne affirme Dieu comme principe absolu, créateur de toutes choses ex nihilo. Thomas d’Aquin, dans la Somme théologique, articule la théorie aristotélicienne des principes avec la doctrine de la création : Dieu est le principe premier, cause efficiente, formelle et finale de tout ce qui existe. Les créatures possèdent leurs propres principes (matière et forme, essence et existence), mais ces principes seconds dépendent ultimement du principe divin.
Descartes révolutionne la notion de principe en fondant la philosophie sur un principe subjectif : le cogito (Je pense, donc je suis). Dans les Principes de la philosophie (1644), il propose de reconstruire tout le savoir à partir de ce premier principe indubitablement certain. Descartes établit ensuite d’autres principes : l’existence de Dieu, la distinction réelle entre âme et corps, les principes de conservation du mouvement. Sa méthode exige de ne rien admettre qui ne soit clairement et distinctement connu, faisant de l’évidence rationnelle le critère des vrais principes.
Leibniz formule explicitement plusieurs principes fondamentaux dans la Monadologie (1714) et d’autres textes. Le principe d’identité (« A est A »), le principe de non-contradiction (« A ne peut être non-A »), le principe du tiers exclu (« entre A et non-A, il n’y a pas de milieu »), et surtout le principe de raison suffisante : « Rien n’arrive jamais sans qu’il y ait une cause ou du moins une raison déterminante, c’est-à-dire quelque chose qui puisse servir à rendre raison a priori pourquoi cela est existant plutôt que non existant, et pourquoi cela est ainsi plutôt que de toute autre façon. » Ce dernier principe affirme l’intelligibilité totale du réel : tout ce qui est possède une raison d’être, même si nous ne la connaissons pas toujours.
Kant opère une révolution critique concernant les principes. Dans la Critique de la raison pure (1781), il distingue les principes constitutifs, qui déterminent effectivement les objets de l’expérience possible (comme le principe de causalité : tout événement a une cause), et les principes régulateurs, qui orientent la recherche sans constituer de connaissance objective (comme l’Idée de Dieu). Les principes de l’entendement pur sont des règles a priori qui structurent notre expérience ; ils ne décrivent pas les choses en soi mais les conditions de possibilité de toute connaissance objective. Kant transforme ainsi les principes métaphysiques traditionnels en principes transcendantaux : ils ne concernent plus l’être des choses mais les conditions subjectives de leur apparition à la conscience.
Fichte radicalise la démarche kantienne en cherchant un principe absolument premier : le Moi absolu qui se pose lui-même (Ich setze Ich). Ce principe initial engendre dialectiquement tous les autres moments du système philosophique. L’idéalisme allemand se caractérise par cette recherche d’un principe unique, auto-fondateur, dont dérive la totalité du réel et du savoir.
Hegel critique la recherche d’un principe immédiat, supposément évident. Dans la Science de la logique (1812-1816), il montre que tout prétendu commencement immédiat est déjà médiatisé, déjà le résultat d’un processus dialectique. Le véritable principe n’est pas un point de départ fixe mais le mouvement même de l’Esprit qui se développe et se connaît. Le système hégélien refuse la séparation entre principe et conséquence : le principe ne se comprend pleinement que dans son développement total.
Schopenhauer identifie la volonté comme principe métaphysique unique, chose en soi dont tous les phénomènes sont les manifestations. Cette volonté aveugle, irrationnelle, constitue le principe explicatif universel, de la gravitation physique aux désirs humains.
Au XIXe siècle, le positivisme d’Auguste Comte rejette la recherche des principes métaphysiques premiers. La science positive doit se borner à établir les lois constantes entre phénomènes observables, renonçant aux spéculations sur les causes premières ou les essences. Cette attitude anti-métaphysique influence durablement l’épistémologie moderne.
Au XXe siècle, la philosophie analytique examine minutieusement le statut logique des principes. Russell et Whitehead, dans les Principia Mathematica (1910-1913), tentent de dériver toute la mathématique d’un petit nombre de principes logiques. Gödel démontre en 1931 qu’aucun système formel suffisamment riche ne peut être à la fois complet et cohérent s’il est démontrable à partir de ses propres axiomes : tout système requiert des principes qui ne peuvent être prouvés à l’intérieur du système. Cette découverte pose des limites à la fondation axiomatique des sciences.
Wittgenstein, dans les Recherches philosophiques (1953), critique l’idée de principes ultimes du langage ou de la pensée. Les règles linguistiques ne reposent pas sur des principes métaphysiques mais sur des formes de vie et des pratiques sociales. Les « propositions charnières » (hinge propositions) – comme « la Terre existe depuis longtemps » – fonctionnent comme des certitudes préalables à toute justification, cadres à l’intérieur desquels opèrent nos jeux de langage, sans être elles-mêmes démontrables.
En éthique, la recherche de principes moraux premiers structure les débats contemporains. Le déontologisme kantien fonde la morale sur le principe de l’impératif catégorique. L’utilitarisme propose le principe de maximisation du bonheur général. L’éthique des vertus aristotélicienne privilégie le caractère vertueux sur l’application de principes. Le particularisme moral conteste qu’il existe des principes moraux universels applicables mécaniquement : chaque situation exige un jugement particulier sensible au contexte.
La notion de principe demeure ainsi centrale en philosophie, qu’il s’agisse de fonder la connaissance, d’expliquer la réalité ou de guider l’action. Entre quête de fondements ultimes et reconnaissance de leur inaccessibilité, entre universalité nécessaire et contextualité contingente, le statut des principes continue d’interroger les limites de la rationalité philosophique.