Définition et étymologie
Le possible désigne ce qui peut être, ce qui peut se réaliser ou exister sans contradiction logique, par opposition à l’impossible (ce qui ne peut pas être) et au nécessaire (ce qui ne peut pas ne pas être). Le terme provient du latin possibilis, dérivé de posse (« pouvoir »), qui signifie « qui peut être fait, qui peut arriver ».
Dans son usage courant, le possible renvoie à ce qui n’est pas actuel mais pourrait le devenir, à ce qui n’existe pas encore mais dont l’existence ne présente aucune contradiction. Lorsque nous disons « il est possible qu’il pleuve demain », nous affirmons que la pluie, bien que non actuelle, peut advenir sans violer aucune loi naturelle ou logique.
On distingue généralement plusieurs niveaux de possibilité. La possibilité logique est la plus large : est logiquement possible tout ce qui ne contient pas de contradiction interne (un cercle carré est logiquement impossible). La possibilité physique est plus restreinte : elle respecte les lois de la nature (voler en battant des bras est logiquement possible mais physiquement impossible pour un humain). La possibilité pratique concerne ce qui peut être réalisé compte tenu de nos moyens et circonstances actuels.
Le concept de possible s’oppose à la fois au réel (ce qui est actuellement) et au nécessaire (ce qui ne peut être autrement). Cette triade conceptuelle – possible, réel, nécessaire – structure une grande partie de la réflexion métaphysique et modale en philosophie.
Usage philosophique
La question du possible traverse toute l’histoire de la philosophie, posant des problèmes métaphysiques fondamentaux sur le statut ontologique de ce qui n’est pas encore ou de ce qui aurait pu être.
Aristote établit une distinction fondamentale entre puissance (dynamis) et acte (energeia). Le possible correspond à la puissance : ce qui peut devenir mais n’est pas encore réalisé. Une graine contient en puissance l’arbre qu’elle peut devenir. Cette conception téléologique implique que le possible n’est pas indéterminé : la graine de chêne ne peut devenir qu’un chêne, non un olivier. Le passage de la puissance à l’acte constitue le mouvement fondamental de la réalité. Pour Aristote, la puissance est toujours relative à un acte déterminé, inscrite dans la nature des choses.
Au Moyen Âge, la réflexion sur le possible prend une dimension théologique. Dieu, être tout-puissant, peut-il réaliser tous les possibles ? Thomas d’Aquin distingue la puissance absolue de Dieu (potentia absoluta), par laquelle il pourrait créer n’importe quel monde logiquement cohérent, et sa puissance ordonnée (potentia ordinata), par laquelle il a effectivement choisi de créer ce monde-ci selon un ordre déterminé. Cette distinction soulève la question vertigineuse des mondes possibles non réalisés.
Leibniz développe au XVIIe siècle une métaphysique systématique des possibles. Dans son Essai de Théodicée, il affirme que Dieu a conçu une infinité de mondes possibles dans son entendement avant de créer le nôtre. Chaque monde possible est un ensemble complet et cohérent d’événements qui auraient pu se réaliser. Notre monde est « le meilleur des mondes possibles », celui que Dieu a choisi de créer parce qu’il maximise la perfection tout en minimisant le mal. Un individu possible, comme un César qui n’aurait pas franchi le Rubicon, possède une essence complète dans l’entendement divin, même s’il n’existe jamais dans la réalité. Cette théorie attribue une forme de réalité aux possibles non réalisés, suscitant le problème du statut ontologique de ces entités purement conceptuelles.
David Hume, dans son empirisme radical, considère que tout ce qui est concevable sans contradiction est possible. Notre imagination peut combiner librement les impressions sensibles : nous pouvons concevoir une montagne d’or même si elle n’existe pas. Cette conception psychologiste du possible le réduit à ce que notre esprit peut représenter sans incohérence.
Emmanuel Kant transforme la question en l’inscrivant dans sa philosophie critique. Dans la Critique de la raison pure, il analyse les « catégories de la modalité » : possibilité, existence et nécessité. Le possible est ce qui s’accorde avec les conditions formelles de l’expérience. Cette définition transcendantale limite le possible à ce qui peut faire l’objet d’une expérience pour nous, déplaçant la question de l’ontologie vers l’épistémologie.
La philosophie contemporaine a renouvelé l’étude du possible à travers la logique modale et la sémantique des mondes possibles. Saul Kripke développe dans La Logique des noms propres une théorie où les mondes possibles ne sont pas des univers alternatifs réels, mais des outils conceptuels pour analyser les énoncés modaux. Dire « il est possible que Socrate n’ait pas été philosophe » signifie qu’il existe un monde possible (une situation cohérente imaginable) où Socrate exerce une autre profession. David Lewis adopte une position plus audacieuse en défendant un « réalisme modal » : tous les mondes possibles existent réellement au même titre que le nôtre, dans une multiplicité d’univers parallèles.
Dans l’existentialisme, le possible prend une dimension existentielle centrale. Pour Jean-Paul Sartre dans L’Être et le Néant, l’être humain se définit par ses possibles. Contrairement aux objets dont l’essence est fixée, l’homme existe d’abord et se définit par ses choix. Mes possibles constituent mon projet existentiel : je suis ce que je ne suis pas encore, tendu vers un avenir indéterminé. Cette ouverture aux possibles définit la liberté humaine et l’angoisse qui l’accompagne.
Martin Heidegger, dans Être et Temps, conçoit le Dasein (l’être humain) comme « être-possible ». L’existence humaine n’est pas une substance donnée mais un pouvoir-être, une projection vers des possibilités. La mort, possibilité ultime et insurpassable, structure toute notre existence en tant qu’êtres finis.
Le concept de possible soulève également des questions en philosophie des sciences. Les lois de la nature décrivent-elles ce qui est nécessaire ou seulement ce qui est effectivement régulier ? Le débat entre nécessitarisme (les lois sont nécessaires) et régularisme (elles sont contingentes) porte sur le statut modal des lois physiques.