INFOS-CLÉS | |
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Nom d’origine | Alkinous (Ἀλκίνους) |
Origine | Grèce / Anatolie (Smyrne) |
Importance | ★★★ |
Courants | Platonisme (Médioplatonisme) |
Thèmes | Didaskalikos* (L’Enseignement de Platon), Platonisme dogmatique, Hiérarchie divine, Assimilation à Dieu |
Figure clé du platonisme impérial, Albinus est le principal représentant du « médioplatonisme ». Il est l’auteur d’un manuel, le Didaskalikos, qui transforme les dialogues de Platon en un système philosophique dogmatique et hiérarchisé, préparant ainsi le terrain métaphysique pour le néoplatonisme de Plotin.
En raccourci
Albinus était un philosophe grec qui a vécu au 2e siècle après J.-C., probablement à Smyrne (dans la Turquie actuelle). Il appartient à un courant appelé le « médioplatonisme ». À son époque, les dialogues de Platon étaient lus, mais ils pouvaient sembler désordonnés ou contradictoires.
L’objectif d’Albinus n’était pas d’inventer, mais d’organiser. Il a écrit un célèbre manuel, le « Didaskalikos » (qui signifie « Enseignement »), qui est une sorte de « Platon pour les nuls » de l’Antiquité. Il voulait présenter la pensée de Platon comme un véritable système d’école, avec des doctrines claires.
Son idée la plus importante est sa vision de la métaphysique. Il établit une hiérarchie de « Dieux » :
Le « Premier Dieu » : Il est au sommet, totalement transcendant, immobile. C’est le Bien absolu.
L’Intellect : C’est le « Second Dieu », ou le Démiurge. Il pense activement les Idées (les Formes parfaites).
L’Âme du Monde : Elle reçoit les Idées de l’Intellect et organise la matière.
Pour Albinus, le but de la philosophie n’est pas juste de savoir, mais de « s’assimiler à Dieu » (Homoiosis Theô), c’est-à-dire de devenir aussi parfait et divin que possible en contemplant le Premier Dieu.
Le professeur platonicien
Le problème d’identité : Albinus et Alkinous
La biographie d’Albinus est presque entièrement inconnue, ce qui est courant pour les philosophes de cette période. Sa figure est au centre d’un débat philologique complexe. Les sources anciennes mentionnent un philosophe platonicien nommé Albinus, qui fut le maître du célèbre médecin Galien à Smyrne (actuelle Izmir) vers 150-152 ap. J.-C. Par ailleurs, les manuscrits médiévaux nous ont transmis un manuel de platonisme intitulé Didaskalikos (Enseignement des doctrines de Platon), attribué à un certain « Alkinous ».
Pendant longtemps, les spécialistes ont cru qu’il s’agissait de deux personnes distinctes. Cependant, depuis les travaux de John Whittaker dans les années 1970, un consensus s’est établi pour considérer « Alkinous » comme une erreur de copiste pour « Albinus ». La biographie intellectuelle d’Albinus est donc celle de l’auteur du Didaskalikos, un professeur qui cherchait à résumer Platon pour ses étudiants.
Le contexte du Médioplatonisme
Albinus est le représentant par excellence du Médioplatonisme (ou Platonisme moyen). Ce terme désigne la phase du platonisme qui s’étend environ du 1er siècle av. J.-C. au début du 3e siècle ap. J.-C. (avant Plotin, fondateur du néoplatonisme).
Ce courant se caractérise par deux traits majeurs :
Le retour au dogmatisme : Après une longue période de scepticisme (la « Nouvelle Académie »), les platoniciens reviennent à l’idée que Platon avait bien des « doctrines » (dogmata) positives sur Dieu, l’âme et le monde.
L’éclectisme : Ces penseurs n’hésitent pas à intégrer des éléments d’autres écoles pour compléter le système de Platon. Ils empruntent massivement à l’aristotélisme (pour la logique et l’éthique) et au stoïcisme (pour la morale et la physique).
L’œuvre d’Albinus est la meilleure illustration de cette tendance. Il ne cherche pas à être original ; il cherche à être systématique.
Le Didaskalikos : un manuel de Platon
La structure de la philosophie
Le Didaskalikos est un manuel scolaire. Son but est de fournir un résumé clair et organisé de ce qu’un étudiant doit savoir de Platon. La structure même du livre montre l’influence d’autres écoles : Albinus divise la philosophie en trois parties : logique, physique et éthique, une division typiquement hellénistique (stoïcienne et aristotélicienne) qu’il projette sur l’œuvre de Platon.
Pour lui, la philosophie est une voie vers la contemplation. La logique est l’outil qui purifie l’esprit ; la physique est l’étude du cosmos qui élève l’âme vers son créateur ; et l’éthique est la pratique de la vertu qui permet cette ascension.
L’outil de la logique
Albinus commence par la logique, qu’il identifie largement à la dialectique platonicienne. Il la définit comme l’art de définir, de diviser les genres en espèces, et d’analyser. Il intègre cependant sans difficulté les catégories et le syllogisme d’Aristote, considérant que ce dernier n’a fait que formaliser ce qui était déjà implicite chez Platon.
La dialectique n’est pas une fin en soi. C’est la méthode qui permet à l’âme de se détacher du monde sensible et de remonter vers les Formes Intelligibles (les Idées), qui sont la seule vraie réalité.
La physique : le monde comme œuvre du Démiurge
La « physique » d’Albinus est une exégèse du Timée de Platon, lu à travers le prisme d’Aristote. Il affirme que le cosmos est structuré par trois principes :
Dieu (le Démiurge) : La cause efficiente, l’artisan.
Les Idées (le Modèle) : La cause paradigmatique, le « plan » que l’artisan regarde.
La Matière : Éternelle, informe et chaotique, elle est la « réceptacle » de la forme.
Le monde n’est donc pas créé ex nihilo (à partir de rien), mais organisé par le Démiurge qui impose un ordre mathématique et rationnel (les Idées) à un chaos matériel préexistant.
La métaphysique hiérarchisée
Le « Premier Dieu », transcendant et immobile
La contribution la plus significative d’Albinus est sa métaphysique, qui établit une hiérarchie claire au sommet de la réalité. Il est l’un des premiers à distinguer radicalement plusieurs niveaux de divinité pour résoudre les apparentes contradictions chez Platon (le Bien de La République, le Démiurge du Timée, l’Intellect du Philèbe).
Au sommet absolu se trouve le Premier Dieu. Ce Dieu est identifié au Bien de La République. Il est absolument transcendant, au-delà de l’être, immobile et ineffable (on ne peut rien en dire). Il est si parfait qu’il ne peut même pas « penser » au sens actif, car cela impliquerait un mouvement. Il est une pure Intellection (une pensée qui se pense elle-même), éternelle et parfaite.
L’Intellect (Nous) : le « Second Dieu »
Comment ce Premier Dieu immobile peut-il créer le monde ? Il ne le fait pas directement. Il a (ou est) un Intellect (Nous), que l’on peut qualifier de « Second Dieu ». C’est cet Intellect qui est actif.
La fonction de cet Intellect est de penser éternellement les Formes (les Idées). Pour Albinus, les Idées ne sont pas des entités indépendantes flottant dans un « lieu intelligible » ; elles sont les pensées du Second Dieu. L’Intellect est à la fois le Démiurge du Timée et le « lieu des Idées ». C’est lui qui regarde le Premier Dieu (son « père ») et, en le pensant, génère le modèle intelligible du monde.
L’Âme du Monde
En dessous de l’Intellect se trouve le troisième principe divin : l’Âme du Monde (Anima Mundi). Elle est la « fille » de l’Intellect. Elle ne pense pas les Idées directement, mais elle les reçoit de l’Intellect et les projette dans la matière, mettant ainsi le cosmos en mouvement ordonné. Elle est l’intermédiaire entre le monde purement intelligible (les Idées) et le monde sensible (la matière).
Cette structure hiérarchisée (Premier Dieu/Un – Intellect/Idées – Âme du Monde) est la grande innovation du Médioplatonisme. Elle sera reprise, développée et systématisée par Plotin un siècle plus tard pour fonder le néoplatonisme (sous les noms d’Un, Intellect et Âme).
L’éthique de l’assimilation à Dieu
Homoiosis Theô
Pour Albinus, la métaphysique fonde l’éthique. Si la réalité est une hiérarchie ascendante vers Dieu, le but de la vie humaine (telos) est l’ascension. Il formule ce but en reprenant une phrase célèbre du Théétète de Platon : le but est l’assimilation à Dieu (Homoiosis Theô), « pour autant que cela est possible ».
La vie philosophique est donc un pèlerinage spirituel. Il s’agit de détacher l’âme de son enveloppe corporelle (le « tombeau » de l’âme) pour la faire remonter vers sa véritable patrie, l’intelligible.
Une vertu éclectique
Comment s’assimiler à Dieu ? Par la vertu. Et c’est là qu’Albinus montre le plus son éclectisme. Pour définir la vertu, il emprunte directement à Aristote. Il explique que la vertu est un juste milieu (mesotes) entre deux extrêmes vicieux (par exemple, le courage est le juste milieu entre la lâcheté et la témérité).
Il intègre également des éléments stoïciens, comme l’idée que la vertu est une perfection de la raison et que les passions sont des maladies de l’âme à éradiquer. L’éthique d’Albinus est un mélange de purification platonicienne (fuir le corps), de modération aristotélicienne (le juste milieu) et de rationalisme stoïcien (le contrôle des passions).
L’homme vertueux, ayant purifié son âme par la pratique morale et aiguisé son esprit par la dialectique, peut enfin s’adonner à la contemplation (la theoria). C’est dans la contemplation de l’Intellect, des Idées et, ultimement, du Premier Dieu, que l’homme trouve le bonheur et accomplit sa nature divine.
Albinus n’est pas un penseur de la trempe de Platon ou de Plotin. Il n’innove pas, il synthétise. Mais son rôle historique est capital. Il est l’architecte qui a rassemblé les matériaux épars de Platon, les a cimentés avec la logique d’Aristote et l’éthique des stoïciens, et a bâti la structure dogmatique du platonisme impérial. Son Didaskalikos est le témoignage le plus complet de l’état de la philosophie platonicienne avant sa transformation radicale par Plotin. Il a, en somme, transformé un ensemble de dialogues en un système philosophique prêt à être enseigné.