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Nom d’origine | Friedrich Albert Moritz Schlick |
Origine | Allemagne (Berlin), puis Autriche (Vienne) |
Importance | ★★★★ |
Courants | Positivisme logique, empirisme logique, philosophie analytique |
Thèmes | Cercle de Vienne, vérificationnisme, critique de la métaphysique, théorie de la connaissance, philosophie des sciences |
Moritz Schlick demeure la figure centrale du Cercle de Vienne, ce mouvement philosophique qui transforma radicalement la pensée du XXe siècle en proclamant la fin de la métaphysique traditionnelle au profit d’une conception scientifique du monde.
En raccourci
Moritz Schlick incarne l’ambition du positivisme logique de refonder la philosophie sur des bases scientifiques rigoureuses. D’abord physicien formé sous Max Planck, il devient le leader intellectuel du célèbre Cercle de Vienne dans les années 1920.
Sa philosophie cherche à éliminer les pseudo-problèmes métaphysiques en montrant qu’ils résultent de confusions linguistiques. Pour Schlick, seules les propositions vérifiables empiriquement ou les tautologies logiques possèdent un sens authentique.
Au-delà de ses contributions théoriques en épistémologie et philosophie des sciences, il développe une éthique originale fondée sur le jeu et la joie de vivre. Son assassinat tragique en 1936 par un étudiant nazi met fin prématurément à une pensée en pleine évolution, dispersant le Cercle de Vienne et marquant symboliquement la fin d’une époque intellectuelle européenne.
Origines et formation scientifique
Milieu familial berlinois
Né le 14 avril 1882 à Berlin dans une famille de la bourgeoisie cultivée, Friedrich Albert Moritz Schlick grandit dans l’atmosphère intellectuelle effervescente de la capitale prussienne. Son père, Ernst Albert Schlick, dirige une manufacture, tandis que sa mère, née Agnes Arndt, descend d’une lignée d’intellectuels et d’artistes. Cette double influence, pratique et culturelle, façonne précocement sa personnalité intellectuelle.
L’éducation reçue au Luisenstädtisches Gymnasium de Berlin privilégie les humanités classiques tout en accordant une place importante aux sciences. Le jeune Schlick excelle particulièrement en mathématiques et en physique, mais témoigne également d’un intérêt marqué pour la littérature et la musique. Excellent violoniste, il conservera tout au long de sa vie cette passion musicale qui nourrit sa réflexion sur l’esthétique.
Formation en physique théorique
En 1900, Schlick entame des études de physique à l’université de Berlin, alors l’un des centres mondiaux de la recherche scientifique. Il suit les cours de Max Planck, découvreur du quantum d’action, qui devient son directeur de thèse et exerce sur lui une influence déterminante. Sous sa direction, il soutient en 1904 une dissertation sur la réflexion de la lumière dans un milieu inhomogène, travail qui révèle déjà son intérêt pour les questions épistémologiques sous-jacentes aux théories physiques.
Parallèlement à ses recherches en physique, Schlick fréquente les cours de philosophie de Wilhelm Dilthey et d’Alois Riehl. Ce dernier, représentant du néo-kantisme critique, l’initie aux problèmes de la théorie de la connaissance scientifique. L’influence de Riehl se manifeste dans la tentative ultérieure de Schlick de dépasser le kantisme tout en conservant son exigence critique.
Premiers questionnements philosophiques
Les années suivant son doctorat voient Schlick s’orienter progressivement vers la philosophie des sciences. Travaillant d’abord comme assistant en physique à Göttingen, il publie des articles sur l’optique et la thermodynamique. Cependant, les questions philosophiques soulevées par la révolution scientifique en cours – théorie de la relativité, mécanique quantique – captent de plus en plus son attention.
Son premier livre, Lebensweisheit (1908), surprend par son caractère personnel et littéraire. Cet essai sur la sagesse pratique, influencé par Nietzsche et Schopenhauer, révèle une dimension existentielle de sa pensée souvent occultée par ses travaux ultérieurs plus techniques. Il y développe déjà l’idée que la philosophie doit servir à clarifier la vie plutôt qu’à construire des systèmes abstraits.
Développement philosophique et tournant épistémologique
L’impact de la relativité d’Einstein
La publication de la théorie de la relativité restreinte en 1905, puis générale en 1915, constitue un tournant décisif dans le parcours intellectuel de Schlick. Il devient l’un des premiers philosophes à comprendre pleinement les implications épistémologiques de la révolution einsteinienne. Son article de 1915, « Die philosophische Bedeutung des Relativitätsprinzips », établit sa réputation comme philosophe des sciences de premier plan.
Raum und Zeit in der gegenwärtigen Physik (1917), rapidement traduit en plusieurs langues, offre la première exposition philosophique systématique de la théorie de la relativité. Schlick y montre comment Einstein révolutionne non seulement la physique mais aussi nos concepts fondamentaux d’espace, de temps et de causalité. L’ouvrage impressionne Einstein lui-même, qui salue la clarté et la profondeur de l’analyse philosophique.
Critique du kantisme et nouveau fondement de la connaissance
Dans Allgemeine Erkenntnislehre (1918), son œuvre philosophique majeure de cette période, Schlick développe une théorie générale de la connaissance qui rompt avec le kantisme dominant. Il rejette la notion d’intuition pure et l’idée de jugements synthétiques a priori, pierres angulaires du système kantien. Pour lui, toute connaissance authentique provient soit de l’expérience (jugements synthétiques a posteriori), soit de conventions linguistiques (jugements analytiques).
Cette critique du kantisme s’appuie sur les développements récents en logique mathématique, notamment les travaux de Frege et Russell. Schlick argumente que les mathématiques, contrairement à ce que pensait Kant, constituent un système purement analytique fondé sur des définitions et des règles de transformation. La géométrie, quant à elle, devient une science empirique dont les axiomes doivent être testés par l’expérience.
Nomination à Vienne et formation du Cercle
En 1922, Schlick obtient la chaire de philosophie des sciences inductives à l’université de Vienne, précédemment occupée par Ernst Mach et Ludwig Boltzmann. Cette nomination marque le début de la période la plus féconde et influente de sa carrière. Autour de lui se rassemble rapidement un groupe de philosophes, mathématiciens et scientifiques partageant l’ambition de refonder la philosophie sur des bases scientifiques.
Le « Cercle de Schlick », qui prendra plus tard le nom de Cercle de Vienne, réunit des personnalités comme Otto Neurath, Rudolf Carnap, Friedrich Waismann, Herbert Feigl et Philipp Frank. Les réunions hebdomadaires du jeudi soir deviennent le laboratoire d’une nouvelle philosophie qui cherche à éliminer la métaphysique traditionnelle au profit d’une « conception scientifique du monde ».
L’apogée du Cercle de Vienne
Le tournant linguistique et l’influence de Wittgenstein
La lecture collective du Tractatus Logico-Philosophicus de Wittgenstein en 1924-1925 transforme profondément l’orientation du Cercle de Vienne. Schlick reconnaît immédiatement l’importance révolutionnaire de l’ouvrage et établit un contact personnel avec Wittgenstein, alors retiré dans un village autrichien où il enseigne dans une école primaire.
Les conversations entre Schlick et Wittgenstein, facilitées par Friedrich Waismann, influencent considérablement l’évolution de la pensée de Schlick. Il adopte l’idée wittgensteinienne que la philosophie n’est pas une doctrine mais une activité de clarification logique du langage. Les problèmes philosophiques traditionnels apparaissent désormais comme des pseudo-problèmes résultant de l’usage incorrect du langage.
Le principe de vérification
Sous l’influence combinée de Wittgenstein et des discussions du Cercle, Schlick développe le principe de vérification qui devient la doctrine centrale du positivisme logique. Selon ce principe, le sens d’une proposition réside dans sa méthode de vérification empirique. Une proposition qui ne peut être vérifiée, même en principe, est dépourvue de sens cognitif.
Cette doctrine radicale implique que la plupart des énoncés métaphysiques traditionnels – sur l’essence des choses, l’absolu, l’être en tant qu’être – sont littéralement dépourvus de sens. Ils ne sont ni vrais ni faux mais simplement inintelligibles, comme des combinaisons grammaticalement correctes mais sémantiquement vides. Seules échappent à cette critique les propositions des sciences empiriques et les tautologies de la logique et des mathématiques.
Publications majeures et rayonnement international
Les années 1925-1930 voient le Cercle de Vienne acquérir une influence internationale considérable. Le manifeste « Wissenschaftliche Weltauffassung » (1929), bien que publié sans l’accord de Schlick, popularise les idées du mouvement. Schlick lui-même publie une série d’articles influents, notamment « Die Wende der Philosophie » (1930), qui proclame le tournant décisif de la philosophie vers l’analyse logique.
Ses conférences à Stanford et Berkeley en 1929, puis en Angleterre en 1932, diffusent le positivisme logique dans le monde anglo-saxon. Il noue des liens avec des philosophes américains comme Charles Morris et Ernest Nagel, préparant l’émigration future des idées du Cercle de Vienne. La revue Erkenntnis, cofondée avec Hans Reichenbach, devient l’organe international du mouvement.
Évolutions théoriques et nouvelles directions
Révision du vérificationnisme strict
Face aux critiques, Schlick nuance progressivement sa position sur le principe de vérification. Il reconnaît que de nombreux énoncés scientifiques légitimes, notamment les lois universelles, ne peuvent être définitivement vérifiés. La distinction entre vérifiabilité pratique et vérifiabilité en principe devient centrale, tout comme la différence entre confirmation et vérification définitive.
Dans « Über das Fundament der Erkenntnis » (1934), il développe la notion de « propositions protocolaires » (Protokollsätze) comme base empirique de la connaissance. Contrairement à Neurath et Carnap, qui défendent une conception cohérentiste, Schlick maintient qu’il existe des énoncés d’observation fondamentaux qui constituent le contact direct entre langage et réalité.
Philosophie de l’esprit et problème psychophysique
Les derniers travaux de Schlick explorent de nouveaux territoires, notamment la philosophie de l’esprit. Son analyse du problème psychophysique anticipe certains développements du fonctionnalisme contemporain. Il argumente que la distinction entre mental et physique n’est pas ontologique mais linguistique, relevant de deux modes de description d’une même réalité.
Cette approche « double aspect » évite aussi bien le dualisme cartésien que le matérialisme réducteur. Les qualités sensibles (qualia), problématiques pour le physicalisme, sont réinterprétées comme des modes de structuration de l’expérience plutôt que comme des entités mystérieuses. L’influence de cette analyse se retrouve chez des philosophes ultérieurs comme Herbert Feigl et Ullin Place.
Éthique et philosophie de la vie
Contrairement au stéréotype du positiviste aride, Schlick développe une philosophie morale originale. *Son éthique, exposée dans Fragen der Ethik (1930), fonde la moralité non sur le devoir kantien mais sur la joie et le jeu. L’action véritablement morale procède d’une spontanéité joyeuse similaire au jeu de l’enfant, non de la contrainte du devoir.
Cette conception ludique de l’éthique, influencée par Schiller et Nietzsche, surprend dans le contexte du positivisme logique. Schlick argumente que les valeurs, bien qu’non cognitives, expriment des attitudes vitales fondamentales. La « bonté » n’est pas une propriété métaphysique mais l’expression d’une affirmation joyeuse de la vie.
Tensions et crises du Cercle de Vienne
Divergences théoriques internes
Malgré son rôle de leader intellectuel, Schlick ne parvient pas à maintenir l’unité doctrinale du Cercle de Vienne. Des divergences profondes apparaissent notamment avec l’aile gauche représentée par Otto Neurath. Ce dernier défend un physicalisme radical et une conception politique du positivisme logique comme instrument d’émancipation sociale.
Rudolf Carnap, initialement proche de Schlick, s’oriente vers un conventionnalisme plus radical avec son principe de tolérance. Les débats sur les énoncés protocolaires révèlent des conceptions incompatibles de la base empirique de la connaissance. Schlick maintient une position plus modérée, insistant sur le rôle irréductible de l’expérience contre les tendances cohérentistes de ses collègues.
Montée du nazisme et pressions politiques
L’environnement politique autrichien devient de plus en plus hostile au Cercle de Vienne, perçu comme un foyer de pensée « juive » et « marxiste ». Bien que Schlick lui-même ne soit ni juif ni marxiste, il défend courageusement ses collègues menacés. Les attaques de la presse conservatrice et catholique se multiplient contre le « nihilisme » supposé du positivisme logique.
La montée du nazisme en Allemagne et de l’austrofascisme en Autriche crée une atmosphère de plus en plus oppressante. Plusieurs membres du Cercle, notamment Carnap et Feigl, émigrent aux États-Unis. Schlick refuse les offres de postes étrangers, déterminé à maintenir la tradition philosophique viennoise malgré les dangers croissants.
L’assassinat et la fin tragique
Le drame du 22 juin 1936
Le 22 juin 1936, alors qu’il monte les escaliers de l’université de Vienne pour donner son cours, Schlick est abattu par Johann Nelböck, un ancien étudiant. L’assassin, membre d’organisations étudiantes nationalistes et catholiques, justifie son acte par des motivations idéologiques confuses mêlant antisémitisme, hostilité au positivisme et délire personnel.
L’assassinat choque le monde académique international. Einstein, Russell, et de nombreux autres savants expriment leur consternation. Cependant, une partie de la presse autrichienne présente l’événement avec une troublante complaisance, certains journaux suggérant même que la philosophie « destructrice » de Schlick portait une part de responsabilité dans le drame.
Dispersion du Cercle et fin d’une époque
La mort de Schlick marque symboliquement la fin du Cercle de Vienne. Les membres restants fuient progressivement l’Autriche après l’Anschluss de 1938. Neurath s’exile en Angleterre, Waismann le suit, tandis que Kurt Gödel rejoint Einstein à Princeton. La tradition philosophique viennoise, brillante synthèse de rigueur scientifique et d’ouverture culturelle, s’éteint dans la barbarie nazie.
L’œuvre de Schlick, dispersée et parfois inachevée, met des décennies à être pleinement redécouverte. Ses Gesammelte Aufsätze* ne paraissent qu’en 1938, dans des circonstances difficiles. Friedrich Waismann tente de reconstituer ses dernières pensées à partir de notes et de conversations, mais ce travail reste largement incomplet.
Réception immédiate et héritage philosophique
Transmission aux États-Unis
Les disciples de Schlick qui émigrent aux États-Unis deviennent les vecteurs principaux de sa pensée. Herbert Feigl, à l’université du Minnesota, développe les intuitions de Schlick sur le problème corps-esprit dans le cadre du physicalisme émergent. Il maintient vivante la mémoire de son maître tout en adaptant ses idées au contexte philosophique américain.
Carl Hempel, bien que plus proche de Carnap, incorpore des éléments schlickiens dans sa philosophie des sciences. La conception schlickienne de la signification cognitive influence le développement de l’empirisme logique américain, même si elle subit des transformations substantielles. L’insistance de Schlick sur le rôle de l’observation directe trouve un écho dans les débats sur les énoncés d’observation.
Critiques et dépassements
Dès les années 1950, les limites du vérificationnisme schlickien deviennent évidentes. Quine, dans « Two Dogmas of Empiricism » (1951), attaque la distinction analytique-synthétique centrale à la philosophie de Schlick. Karl Popper, ancien participant périphérique du Cercle, propose la falsifiabilité comme alternative au principe de vérification.
Thomas Kuhn et les historicistes remettent en question la conception schlickienne du progrès scientifique comme accumulation linéaire de vérités empiriques. La dimension sociale et historique de la science, minimisée par Schlick, devient centrale dans la nouvelle philosophie des sciences. Cependant, ces critiques témoignent paradoxalement de l’importance durable des problèmes posés par Schlick.
Renaissance contemporaine
Depuis les années 1980, on assiste à une réévaluation de l’œuvre de Schlick. Les travaux de Friedrich Stadler et du Vienna Circle Institute ont permis de redécouvrir la richesse et la complexité de sa pensée, souvent caricaturée dans les manuels. L’édition critique de ses œuvres complètes révèle des aspects méconnus, notamment ses réflexions éthiques et esthétiques.
Les philosophes contemporains reconnaissent en Schlick un précurseur de plusieurs développements récents. Son approche du problème psychophysique anticipe le fonctionnalisme. Sa conception de la philosophie comme thérapie linguistique influence la philosophie du langage ordinaire. Son éthique de la joie trouve des échos dans les éthiques contemporaines du bien-être.
Actualité et pertinence philosophique
Le débat sur le naturalisme
La tentative de Schlick de fonder la philosophie sur les sciences naturelles résonne avec les débats contemporains sur le naturalisme philosophique. Son rejet de la métaphysique spéculative au profit d’une philosophie scientifiquement informée préfigure les approches naturalistes actuelles. Toutefois, contrairement au naturalisme réducteur, Schlick maintient un rôle spécifique pour l’analyse conceptuelle.
Les discussions actuelles sur la place de l’intuition en philosophie reprennent, sous une forme nouvelle, les critiques schlickiennes de l’intuition philosophique. Les philosophes expérimentaux contemporains, testant empiriquement les intuitions philosophiques, poursuivent d’une certaine manière le programme de naturalisation de la philosophie initié par Schlick.
Philosophie des sciences et empirisme structural
L’influence de Schlick sur la philosophie des sciences contemporaine reste significative, bien qu’indirecte. Sa conception structurale de la connaissance scientifique, distinguant structure formelle et contenu empirique, anticipe l’empirisme structural de Bas van Fraassen et James Ladyman. L’idée que la science capture la structure relationnelle du monde plutôt que sa nature intrinsèque trouve ses racines chez Schlick.
Les débats actuels sur le réalisme scientifique reprennent des thèmes schlickiens. Sa position nuancée, ni réaliste naïve ni antiréaliste radicale, offre des ressources pour naviguer entre les extrêmes. La notion de vérité comme coordination entre langage et expérience, développée par Schlick, influence les conceptions contemporaines de la représentation scientifique.
Éthique et philosophie de la vie
L’éthique hédoniste de Schlick, longtemps négligée, suscite un intérêt renouvelé. Sa conception du bonheur comme état de plénitude ludique plutôt que comme accumulation de plaisirs anticipe certains développements de la psychologie positive. L’idée que l’éthique authentique procède de la joie spontanée plutôt que du devoir contraint trouve des échos dans les éthiques de la vertu contemporaines.
Son approche non cognitiviste mais non relativiste des valeurs offre une alternative aux impasses du débat entre réalisme et antiréalisme moral. Les valeurs, expressions d’attitudes vitales fondamentales, possèdent une objectivité pratique sans nécessiter un fondement métaphysique. Cette position médiane reste pertinente pour la méta-éthique contemporaine.
Une philosophie pour temps de crise
L’œuvre de Moritz Schlick acquiert une résonance particulière dans notre époque marquée par la montée de l’irrationalisme et du relativisme. Son insistance sur la clarté conceptuelle et la rigueur argumentative offre un antidote aux dérives rhétoriques contemporaines. Le projet d’une philosophie scientifique, débarrassée des obscurités métaphysiques, garde sa pertinence face aux pseudo-sciences et aux mystifications intellectuelles.
Simultanément, la dimension humaniste de sa pensée, son éthique de la joie et son engagement pour la rationalité démocratique, rappellent que la rigueur scientifique ne conduit pas nécessairement à un scientisme déshumanisant. Schlick démontre qu’on peut être empiriste sans être réductionniste, scientifique sans être scientiste, rigoureux sans être dogmatique.
Sa mort tragique symbolise la fragilité de la raison face à la violence idéologique. L’assassinat d’un philosophe pour ses idées rappelle brutalement que la pensée rationnelle n’est jamais définitivement acquise mais doit être constamment défendue. Dans un monde où resurgissent les fanatismes et les obscurantismes, l’exemple de Schlick inspire un engagement renouvelé pour la clarté, la rationalité et la tolérance intellectuelle.
Moritz Schlick laisse ainsi un héritage complexe et vivant. Ni le positiviste dogmatique de la caricature, ni le simple précurseur de développements ultérieurs, il apparaît comme un philosophe original dont la pensée, interrompue prématurément, continue d’offrir des ressources pour penser les questions fondamentales de la connaissance, de la science et de la vie humaine. Son œuvre témoigne de la possibilité d’une philosophie à la fois rigoureuse et humaine, scientifique et sensible aux dimensions éthiques et esthétiques de l’existence.