INFOS-CLÉS | |
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Nom d’origine | Mengzi (孟子) |
Origine | Royaume de Zou, Chine antique |
Importance | ★★★★ |
Courants | Confucianisme classique, philosophie morale chinoise |
Thèmes | Bonté innée, nature humaine, gouvernance vertueuse, piété filiale, ren (bienveillance), yi (rectitude) |
Philosophe majeur du confucianisme classique, Mencius développa une conception optimiste de la nature humaine qui façonna durablement la pensée chinoise et donna au confucianisme ses fondements psychologiques et moraux les plus influents.
En raccourci
Mengzi, connu en Occident sous le nom latinisé de Mencius, vécut durant la tumultueuse période des Royaumes combattants. Né dans le petit royaume de Zou vers –372, il consacra sa vie à défendre et enrichir l’enseignement de Confucius, mort un siècle plus tôt.
Sa contribution essentielle réside dans l’affirmation que la nature humaine est fondamentalement bonne – une thèse qui le distingue radicalement de son contemporain Xunzi. Pour Mencius, chaque être humain possède en lui les germes de la vertu : la compassion, la honte, le respect et le discernement moral. Ces « quatre commencements » n’attendent que d’être cultivés pour s’épanouir en vertus cardinales.
Conseiller itinérant des princes, il parcourut les royaumes chinois en prônant un gouvernement bienveillant fondé sur l’exemple moral du souverain. Face aux despotes de son temps, il osa affirmer que le peuple prime sur le monarque et qu’un tyran perd sa légitimité.
Son œuvre, le Mengzi, devint au XIIe siècle l’un des Quatre Livres du canon confucéen, influence qui perdure dans toute l’Asie orientale.
Origines et formation dans le royaume de Zou
Naissance dans l’ombre de Confucius
L’État de Zou, minuscule principauté coincée entre les puissants royaumes de Qi et de Lu, vit naître vers –372 celui qui deviendrait le « Second Sage » du confucianisme. Meng Ke, de son nom personnel, grandit dans une région imprégnée par le souvenir de Confucius, disparu environ un siècle auparavant. Les sources historiques, principalement le Shiji de Sima Qian, restent laconiques sur ses origines familiales exactes, mentionnant toutefois une ascendance aristocratique déchue, situation courante parmi les lettrés de cette époque troublée.
L’influence maternelle fondatrice
Paradoxalement, la figure la plus documentée de l’enfance de Mencius reste sa mère, devenue dans la tradition chinoise l’archétype de la mère éducatrice. Les récits tardifs, compilés dans le Lienü zhuan, rapportent ses trois déménagements successifs pour offrir à son fils un environnement propice aux études. D’abord installée près d’un cimetière où l’enfant imitait les rites funéraires, puis près d’un marché où il jouait au marchand, elle s’établit finalement près d’une école où le jeune Meng Ke s’imprégna naturellement des rituels et de l’étude. Cette anecdote, qu’elle soit historique ou symbolique, illustre l’importance cruciale de l’environnement dans la formation morale, thème central de la future philosophie mencienne.
Une formation confucéenne approfondie
Entre quinze et vingt ans, Mencius étudia auprès de Zisi (Kong Ji), petit-fils de Confucius, ou plus vraisemblablement auprès de disciples de cette école. Cette filiation intellectuelle, débattue par les historiens modernes, ancre néanmoins fermement sa pensée dans la tradition confucéenne orthodoxe. Durant ces années formatrices, il assimila non seulement les Entretiens du Maître mais aussi les classiques antérieurs : le Shijing (Classique des Odes), le Shujing (Classique des Documents) et le Yijing (Classique des Mutations). Cette immersion textuelle forgea son style argumentatif, caractérisé par l’usage constant de citations classiques pour étayer ses positions philosophiques.
Jeunesse et maturation intellectuelle
Les années obscures de formation
Vingt années de la vie de Mencius, approximativement entre –350 et –330, demeurent largement indocumentées. Ces décennies silencieuses correspondent probablement à une période d’enseignement local et de maturation intellectuelle. L’absence de mentions historiques suggère une carrière initiale modeste, consacrée à former des disciples dans son État natal tout en affinant sa compréhension des textes canoniques.
Confrontation avec les courants rivaux
Durant cette période, la Chine des Royaumes combattants bouillonnait de débats philosophiques. Mohistes, légistes, taoïstes et stratèges militaires proposaient des visions concurrentes de l’ordre social et politique. Mencius développa progressivement une critique systématique de ces écoles rivales, particulièrement du mohisme avec son principe d’amour universel indifférencié, qu’il jugeait contraire à la hiérarchie naturelle des affections humaines. Cette confrontation intellectuelle aiguisa son argumentation et l’obligea à clarifier les positions confucéennes sur des questions fondamentales : la nature humaine, le rôle du gouvernement, la légitimité politique.
Premières formulations de la bonté innée
Vers quarante ans, Mencius avait déjà élaboré les grandes lignes de sa théorie de la nature humaine fondamentalement bonne (xing shan). Rompant avec l’ambiguïté de Confucius sur cette question, il affirma que tout être humain possède naturellement quatre « commencements » (si duan) : la compassion, germe de la bienveillance ; la honte, germe de la rectitude ; la déférence, germe des rites ; le discernement, germe de la sagesse. Cette innovation théorique majeure fournissait au confucianisme une anthropologie philosophique cohérente et optimiste.
Périple à travers les royaumes
Début de la carrière itinérante
Vers –330, âgé d’une quarantaine d’années, Mencius entama ses voyages à travers les différents royaumes, suivant la tradition des « lettrés errants » (youshi). Son premier séjour documenté le conduisit à l’État de Liang (Wei), où régnait le roi Hui. Les dialogues avec ce monarque, rapportés dans le Mengzi, révèlent d’emblée sa méthode : critiquer la recherche exclusive du profit matériel tout en proposant une gouvernance fondée sur la bienveillance et la rectitude morale.
Le séjour décisif à Qi
L’État de Qi, puissance majeure de l’époque, accueillit Mencius durant plusieurs années, probablement entre –320 et –310. Nommé ministre ou conseiller de haut rang, il put expérimenter concrètement ses théories politiques. Son influence atteignit son apogée lorsque le roi Xuan sembla réceptif à ses conseils sur le gouvernement bienveillant. Mencius développa alors sa doctrine du « mandat céleste » (tianming), affirmant que la légitimité d’un souverain dépend de sa capacité à assurer le bien-être du peuple. Toutefois, confronté à la realpolitik et aux intrigues de cour, il finit par démissionner, constatant l’impossibilité de réformer en profondeur un système corrompu.
Échecs et désillusions politiques
Poursuivant ses pérégrinations, Mencius visita successivement les États de Song, Teng et Lu. Partout, il rencontra le même dilemme : les princes appréciaient sa sagesse théorique mais reculaient devant ses exigences pratiques. Sa critique du militarisme, son insistance sur la réduction des impôts et sa défense des intérêts populaires heurtaient les pratiques établies d’une époque dominée par la guerre et l’expansion territoriale. Un épisode révélateur survint à Teng, petit État dont le prince héritier consulta longuement Mencius sur l’art de gouverner, pour finalement choisir une voie plus conventionnelle une fois monté sur le trône.
Développement de la doctrine mencienne
La théorie des quatre germes
Au cœur de la philosophie mencienne se trouve l’affirmation révolutionnaire que la bonté constitue l’essence même de la nature humaine. Contrairement à une simple potentialité, ces « quatre germes » (si duan) existent activement en chaque individu dès la naissance. Pour illustrer cette thèse, Mencius recourait à des exemples frappants : tout homme voyant un enfant sur le point de tomber dans un puits éprouve spontanément de la compassion, non par calcul ou intérêt, mais par réaction naturelle immédiate. Cette spontanéité émotionnelle prouve l’existence d’une bonté innée antérieure à toute éducation ou conditionnement social.
Cultiver la nature morale
Si la bonté est innée, pourquoi observe-t-on tant de mal dans le monde ? Mencius répondait par une métaphore agricole : les germes de vertu nécessitent une culture appropriée pour s’épanouir, comme les semences ont besoin d’eau et de soleil. L’éducation morale ne crée pas la vertu mais la développe, éliminant les obstacles qui entravent sa croissance naturelle. Parmi ces obstacles, il identifiait particulièrement l’influence néfaste de l’environnement social corrompu et la négligence de la cultivation personnelle. D’où l’importance cruciale de l’étude, de la méditation et de la pratique constante des vertus.
Innovation politique : le peuple d’abord
L’application politique de cette anthropologie optimiste conduisit Mencius à des positions remarquablement progressistes pour son époque. Puisque tous les hommes partagent la même nature morale fondamentale, le peuple possède une dignité intrinsèque que le pouvoir doit respecter. Sa formule lapidaire – « Le peuple est le plus précieux, les dieux de la terre et des moissons viennent ensuite, le souverain est le moins important » – constituait une critique radicale de l’absolutisme. Plus audacieux encore, il légitimait le tyrannicide : un roi qui opprime son peuple perd sa qualité royale et devient un simple brigand que l’on peut légitimement renverser.
Maturité philosophique et enseignement
Constitution d’une école de pensée
De retour dans son État natal après ses voyages, Mencius consacra ses dernières décennies à l’enseignement et à la systématisation de sa doctrine. Son école attira de nombreux disciples, parmi lesquels Wan Zhang et Gongsun Chou, qui jouèrent un rôle crucial dans la transmission et la compilation de ses enseignements. Les dialogues avec ces étudiants, préservés dans le Mengzi, montrent un maître pédagogue, utilisant analogies, paradoxes et questionnement socratique pour amener ses interlocuteurs à découvrir par eux-mêmes les vérités morales.
Polémiques avec les écoles rivales
Ces années virent aussi l’intensification de ses polémiques philosophiques. Face à Yang Zhu et son égoïsme radical, Mencius défendait la naturalité des liens sociaux et familiaux. Contre Mozi et son amour universel, il soutenait la gradation naturelle des affections, de la famille vers l’extérieur. Confronté aux légistes et leur vision pessimiste nécessitant des lois coercitives, il maintenait que l’exemple moral du souverain suffit à transformer le peuple. Ces débats, loin d’être purement théoriques, engageaient des visions opposées de l’organisation sociale et politique.
Raffinement de la psychologie morale
Durant cette période, Mencius approfondit sa compréhension des mécanismes psychologiques de la vie morale. Il développa notamment la notion de qi moral (haoran zhi qi), une énergie vitale nourrie par la pratique constante de la rectitude et capable d’unir l’individu au cosmos. Cette dimension quasi-mystique enrichissait le confucianisme d’une intériorité spirituelle absente chez Confucius. Il analysa également les causes de la dégradation morale : négligence, mauvaises influences, désirs excessifs détournant l’attention de la cultivation intérieure.
Dernières années et compilation de l’œuvre
Retrait progressif de la vie publique
Après –310, Mencius se retira progressivement des affaires publiques, désabusé par l’échec de ses tentatives de réforme politique. Cette retraite ne signifiait pas l’abandon de ses idéaux mais plutôt leur transmission par d’autres moyens. Il se concentra sur la formation d’une nouvelle génération de penseurs confucéens capables de perpétuer et d’adapter son enseignement aux réalités changeantes.
### Le Mengzi : genèse d’un classique
L’œuvre qui porte son nom résulte probablement d’une compilation progressive, initiée du vivant du philosophe et achevée par ses disciples immédiats. Structuré en sept livres comprenant chacun deux parties, le texte mélange dialogues philosophiques, anecdotes historiques et développements théoriques. Contrairement aux Entretiens de Confucius, fragments épars sans ordre systématique, le Mengzi présente des argumentations développées et cohérentes. Cette différence formelle reflète l’évolution du confucianisme vers une philosophie plus systématique et théoriquement élaborée.
Testament intellectuel
Les derniers chapitres du Mengzi contiennent ce qui s’apparente à un testament philosophique. Mencius y récapitule ses positions fondamentales tout en répondant aux objections accumulées durant sa carrière. Sa défense passionnée de l’optimisme moral face au cynisme ambiant témoigne d’une conviction inébranlable malgré les déceptions politiques. Il formula également sa vision de l’histoire comme succession cyclique de sages apparaissant tous les cinq cents ans pour revivifier la Voie (dao), se plaçant implicitement dans cette lignée après Confucius.
Mort et héritage immédiat
Circonstances du décès
Mencius mourut vers –289, âgé d’environ quatre-vingt-trois ans selon les chronologies traditionnelles. Les sources historiques restent muettes sur les circonstances exactes de sa mort, suggérant une fin paisible dans son État natal, entouré de ses disciples. Cette longévité exceptionnelle pour l’époque lui permit de voir ses idées prendre racine dans plusieurs États, même si leur application politique restait limitée.
Réception initiale mitigée
Dans les décennies suivant sa mort, l’influence de Mencius demeura relativement circonscrite. L’unification impériale sous les Qin (–221) favorisa temporairement le légisme, doctrine opposée à ses conceptions. La persécution des lettrés confucéens et l’autodafé des textes classiques en –213 faillirent anéantir son œuvre. Paradoxalement, cette répression contribua à souder les confucéens autour de leurs textes fondateurs, dont le Mengzi.
Survie sous les Han
L’avènement de la dynastie Han (–206 – 220) marqua la réhabilitation progressive du confucianisme. Néanmoins, Mencius resta initialement dans l’ombre de Xunzi, son rival philosophique, dont les positions plus pragmatiques séduisaient davantage les administrateurs impériaux. Dong Zhongshu, architecte du confucianisme d’État han, emprunta à Mencius certains concepts tout en les réinterprétant dans un cadre cosmologique étranger à sa pensée originelle.
Influence et redécouverte philosophique
Éclipse durant le premier millénaire
Durant près d’un millénaire, de la dynastie Han à celle des Tang, *le Mengzi demeura un texte secondaire dans le curriculum confucéen. Les examens impériaux privilégiaient les Cinq Classiques et les Entretiens de Confucius. Cette relative marginalisation s’explique par plusieurs facteurs : la concurrence du bouddhisme et du taoïsme, plus adaptés aux besoins spirituels de l’époque ; la préférence bureaucratique pour des doctrines moins idéalistes ; l’absence de commentaires autorisés facilitant l’accès au texte.
Renaissance néo-confucéenne
Le renouveau mencien survint au XIe siècle avec les philosophes néo-confucéens. Han Yu (768–824) avait préparé le terrain en exaltant Mencius comme véritable héritier de Confucius. Puis les frères Cheng, Cheng Hao et Cheng Yi, redécouvrirent dans sa théorie de la bonté innée les fondements d’une métaphysique capable de rivaliser avec le bouddhisme. Leur lecture transformatrice fit de Mencius le chainon indispensable entre Confucius et leur propre synthèse philosophique.
Canonisation par Zhu Xi
L’élévation définitive du Mengzi au rang de classique fondamental revient à Zhu Xi (1130–1200), figure dominante du néo-confucianisme. En 1190, il inclut le texte dans les Quatre Livres (Sishu), nouveau canon destiné à remplacer les antiques Cinq Classiques comme base de l’éducation. Son commentaire systématique du Mengzi en fit la référence incontournable pour comprendre la nature humaine et la cultivation morale. Cette canonisation transforma radicalement le statut de Mencius : de philosophe confucéen parmi d’autres, il devint le « Second Sage », égal de Confucius en autorité doctrinale.
Postérité en Asie orientale
Diffusion en Corée et au Japon
L’influence de Mencius dépassa largement les frontières chinoises. En Corée, durant la dynastie Joseon (1392–1897), sa philosophie structura profondément la pensée politique et sociale. Les lettrés coréens développèrent des interprétations originales de sa théorie des quatre germes, notamment dans les célèbres débats du XVIe siècle sur les émotions et la nature humaine. Au Japon, malgré une réception plus tardive et sélective, certains penseurs confucéens de l’époque Edo, comme Nakae Tōju, firent de la bonté innée mencienne le fondement d’une éthique japonaise spécifique.
Confrontation avec la modernité
L’irruption de la modernité occidentale au XIXe siècle posa de nouveaux défis à l’héritage mencien. Les réformateurs chinois comme Kang Youwei réinterprétèrent sa philosophie politique dans un sens démocratique, voyant dans sa défense du peuple une anticipation des idéaux républicains. Inversement, les conservateurs invoquaient son respect de la hiérarchie et de la tradition pour résister aux changements. Cette tension interprétative perdure dans les débats contemporains sur la compatibilité entre valeurs confucéennes et démocratie libérale.
Renaissance contemporaine
Depuis les années 1980, on assiste à un renouveau spectaculaire des études menciennes. En Chine populaire, après des décennies de critique marxiste, Mencius retrouve une place centrale dans la réflexion sur l’identité culturelle chinoise. Les philosophes contemporains comme Tu Wei-ming explorent les implications de sa pensée pour l’éthique environnementale, les droits humains ou le développement économique. À Singapour et dans la diaspora chinoise, ses idées nourrissent les débats sur les « valeurs asiatiques » et leur pertinence dans la globalisation.
Apports philosophiques durables
Fondation de l’optimisme moral confucéen
La contribution la plus durable de Mencius réside dans son affirmation argumentée de la bonté naturelle humaine. Cette position, loin d’être une simple pétition de principe, repose sur une phénoménologie sophistiquée des émotions morales spontanées. En ancrant l’éthique dans la nature humaine plutôt que dans des commandements externes ou des conventions sociales, il fournit au confucianisme une base anthropologique solide. Cette vision optimiste influence encore profondément les conceptions éducatives en Asie orientale, où l’on considère que tout enfant peut devenir sage par la cultivation appropriée.
Théorie politique du consentement populaire
Sa doctrine selon laquelle le peuple constitue le fondement de la légitimité politique représente une innovation majeure dans l’histoire de la philosophie politique. Bien qu’élaborée dans un contexte monarchique, cette idée contient des potentialités démocratiques que les penseurs modernes n’ont pas manqué d’explorer. La notion que le Ciel manifeste sa volonté à travers l’acceptation ou le rejet populaire du souverain préfigure, mutatis mutandis, les théories modernes du consentement des gouvernés.
Psychologie morale de la cultivation
Mencius développa une compréhension nuancée des processus psychologiques impliqués dans le développement moral. Sa métaphore agricole de la cultivation, ses analyses de l’attention morale (si), sa théorie de l’extension (tui) des sentiments moraux naturels vers des cercles élargis, constituent des contributions pérennes à la psychologie morale. Les sciences cognitives contemporaines retrouvent certaines de ses intuitions sur le rôle des émotions dans le jugement moral et l’importance de l’habituation vertueuse.
L’actualité de Mencius au XXIe siècle
Dialogue avec l’éthique occidentale
Les philosophes occidentaux manifestent un intérêt croissant pour la pensée mencienne. L’éthique de la vertu aristotélicienne trouve en lui un interlocuteur privilégié, partageant l’accent sur l’épanouissement humain et le rôle des dispositions caractérielles. Sa théorie des germes moraux innés entre en dialogue fructueux avec les débats contemporains sur l’origine évolutionnaire de la moralité. Des philosophes comme Michael Slote ou Bryan Van Norden explorent les convergences et divergences entre Mencius et les traditions occidentales, enrichissant mutuellement les deux héritages.
Pertinence écologique et sociale
Face aux crises contemporaines, certains aspects de la philosophie mencienne acquièrent une pertinence nouvelle. Sa vision de l’harmonie entre l’homme et la nature, son insistance sur la frugalité et la mesure, offrent des ressources conceptuelles pour penser un développement soutenable. Sa critique de la recherche exclusive du profit résonne dans les débats sur les limites du capitalisme. Son attention aux conditions matérielles nécessaires à l’épanouissement moral – ce qu’il appelait la « subsistance constante » (hengchan*) – anticipe les préoccupations contemporaines sur les inégalités et leurs effets sur le développement humain.
Défis et limites
Néanmoins, l’actualisation de la pensée mencienne rencontre des obstacles significatifs. Son cadre hiérarchique et patriarcal nécessite une réinterprétation critique pour s’accorder aux valeurs égalitaires modernes. Sa confiance dans la transformation morale par l’exemple peut sembler naïve face aux structures systémiques d’oppression. L’universalisme de sa théorie de la nature humaine doit composer avec la reconnaissance contemporaine de la diversité culturelle. Ces tensions fécondes obligent à une lecture créative qui distingue l’essentiel du contingent dans son héritage.
Un héritage philosophique vivant
Mencius occupe une place singulière dans l’histoire de la philosophie mondiale. Penseur systématique sans être dogmatique, il développa une vision cohérente de la nature humaine et de ses implications éthiques et politiques tout en maintenant une ouverture au questionnement et au débat. Son optimisme moral, loin d’être naïf, reconnaît la fragilité des germes de bonté et la nécessité d’une cultivation constante.
L’influence de sa pensée dépasse largement le confucianisme pour irriguer l’ensemble de la culture est-asiatique. Les concepts qu’il élabora – bonté innée, cultivation morale, gouvernement bienveillant, primat du peuple – continuent de structurer les débats éthiques et politiques dans cette région du monde. Plus largement, sa contribution à la réflexion sur la nature humaine et les fondements de la moralité en fait un interlocuteur indispensable pour toute philosophie morale à vocation universelle.
Au-delà des doctrines spécifiques, Mencius incarne un certain style philosophique : l’alliance de la rigueur argumentative et de la sagesse pratique, le souci de fonder la philosophie sur l’expérience vécue, l’engagement pour la justice sans sacrifice de la nuance intellectuelle. Cette manière de philosopher, attentive à la complexité du réel tout en maintenant des convictions éthiques fortes, conserve toute sa pertinence dans un monde en quête de repères moraux et politiques.