INFOS-CLÉS | |
|---|---|
| Origine | Écosse (Édimbourg) |
| Importance | ★★★★★ |
| Courants | Empirisme britannique |
| Thèmes | scepticisme, critique de la causalité, problème de l'induction, naturalisme, empirisme radical. |
David Hume demeure l’une des figures les plus subversives des Lumières européennes, celui qui poussa l’empirisme à ses conséquences les plus radicales et ébranla les fondements de la connaissance rationnelle.
En raccourci
David Hume naît en 1711 dans une famille bourgeoise écossaise et manifeste très tôt une passion pour la philosophie. Après des études de droit abandonnées, il se consacre entièrement à la réflexion philosophique.
Son œuvre majeure, le « Traité de la nature humaine » (1739-1740), développe un empirisme radical qui remet en question les fondements de la connaissance. Hume démontre que ni la causalité, ni l’induction, ni l’existence du moi ne peuvent être rationnellement justifiées.
Sa critique des miracles et sa position agnostique sur la religion en font une figure controversée des Lumières. Paradoxalement sceptique et naturaliste, il explique nos croyances par l’habitude et les mécanismes psychologiques plutôt que par la raison.
Historien réputé autant que philosophe, Hume influence profondément ses contemporains et successeurs. Kant avoue que sa lecture l’a « réveillé de son sommeil dogmatique », révélant l’impact révolutionnaire de sa pensée critique.
Origines et formation dans l’Écosse des Lumières
Naissance dans la bourgeoisie écossaise
David Hume naît le 7 mai 1711 (ancien style) à Édimbourg, dans une famille de petite noblesse écossaise aux moyens modestes. Son père, Joseph Home, possède un petit domaine à Ninewells dans le Berwickshire, tandis que sa mère, Katherine Falconer, appartient à une famille de juristes respectés.
L’Écosse du début du XVIIIᵉ siècle vit une transformation intellectuelle remarquable qui voit naître les Lumières écossaises. Cette effervescence culturelle, centrée sur Édimbourg et Glasgow, favorise l’émergence d’une génération exceptionnelle de penseurs.
La famille Hume (l’orthographe sera modifiée plus tard) incarne cette bourgeoisie éclairée qui valorise l’éducation et les carrières intellectuelles. Cette atmosphère familiale stimulante explique en partie la précocité philosophique du jeune David.
Éducation précoce et passion des livres
Très tôt orphelin de père, David grandit sous l’influence de sa mère, femme cultivée qui encourage son goût pour la lecture et l’étude. Cette éducation maternelle développe son indépendance d’esprit et sa curiosité intellectuelle.
À l’âge de douze ans, il entre à l’université d’Édimbourg où il suit les cours traditionnels de latin, grec, logique et métaphysique. Cette formation classique lui donne les outils conceptuels qu’il retournera plus tard contre la philosophie scolastique.
Dès l’adolescence, Hume manifeste une passion dévorante pour la lecture qui le distingue de ses condisciples. Il découvre notamment les auteurs français et anglais modernes qui orientent sa réflexion vers les questions empiriques.
Abandon du droit et vocation philosophique
Suivant les vœux familiaux, Hume entreprend des études de droit mais abandonne rapidement cette voie pour se consacrer entièrement à la philosophie. Cette décision révèle sa détermination à suivre sa vocation intellectuelle malgré l’insécurité matérielle.
Cette période de formation autodidacte l’amène à découvrir Locke, Berkeley et les moralistes britanniques qui influencent profondément sa pensée naissante. Il développe alors son projet d’appliquer la méthode expérimentale aux sciences humaines.
Vers 1729, Hume fait une découverte philosophique décisive qui oriente toute sa carrière : il comprend que l’empirisme radical doit remettre en question les fondements mêmes de la connaissance rationnelle.
Crise de jeunesse et maturation intellectuelle
Dépression nerveuse et quête de sens
Vers 1730, Hume traverse une crise existentielle profonde caractérisée par une dépression nerveuse qui l’épuise physiquement et moralement. Cette épreuve révèle l’intensité de sa nature contemplative et les tensions de sa personnalité.
Cette crise accompagne ses premiers doutes philosophiques radicaux qui ébranlent ses certitudes traditionnelles. La découverte de l’inconsistance de la raison humaine provoque chez lui un trouble existentiel profond.
Le traitement de cette dépression l’amène à développer une philosophie thérapeutique qui privilégie les remèdes naturels (conversation, exercice, plaisirs sociaux) sur les spéculations abstraites. Cette expérience nourrit son naturalisme ultérieur.
Tentatives professionnelles et échecs
Pour subvenir à ses besoins, Hume tente diverses activités professionnelles qui toutes échouent rapidement. Un bref passage dans le commerce à Bristol révèle son inadaptation totale aux affaires pratiques.
Ces échecs professionnels le confortent dans sa conviction que sa vocation réside uniquement dans l’activité intellectuelle. Il décide alors de consacrer sa vie à la philosophie malgré les difficultés matérielles prévisibles.
Cette période d’incertitude développe son détachement vis-à-vis des conventions sociales et renforce son indépendance d’esprit. Elle explique également sa sympathie pour les marginaux et les non-conformistes.
Séjour français et maturation philosophique
En 1734, Hume part pour la France où il séjourne trois ans, principalement à La Flèche en Anjou. Ce séjour décisif lui permet d’achever la rédaction de son œuvre majeure dans un environnement propice à la réflexion.
La France des Lumières naissantes lui révèle une tradition philosophique différente de l’empirisme britannique. Cette confrontation enrichit sa perspective et affine sa méthode critique.
L’isolement relatif de La Flèche favorise l’approfondissement de sa pensée et l’écriture du « Traité de la nature humaine ». Cette retraite studieuse révèle sa capacité de concentration exceptionnelle.
Élaboration du « Traité de la nature humaine »
Projet d’une science expérimentale de l’homme
Hume entreprend d’appliquer la méthode expérimentale de Newton aux phénomènes humains, créant une « science de l’homme » fondée sur l’observation et l’expérience plutôt que sur la spéculation rationnelle.
Cette ambition scientifique l’amène à étudier systématiquement les mécanismes de l’entendement, des passions et de la morale selon une méthode rigoureusement empirique. Il inaugure ainsi la psychologie expérimentale.
Le Traité se structure en trois livres correspondant aux principales facultés humaines : l’entendement (connaissance), les passions (psychologie) et la morale (éthique et politique). Cette architecture révèle l’ampleur de son projet.
Critique radicale de la causalité
L’apport le plus révolutionnaire du Traité concerne l’analyse de la causalité qui révèle l’impossibilité de justifier rationnellement notre croyance aux connexions nécessaires entre les phénomènes.
Hume démontre que l’expérience ne nous livre jamais que des successions temporelles, jamais des liens de nécessité. Notre croyance causale résulte de l’habitude qui nous fait attendre certains effets après certaines causes.
Cette critique détruit les fondements de la science rationnelle en montrant que nos inférences causales reposent sur l’instinct plutôt que sur la démonstration. Cette subversion épistémologique ébranle toute la philosophie moderne.
Problème de l’induction et limites de la raison
Hume formule le problème de l’induction qui révèle l’impossibilité de justifier logiquement nos inférences du passé vers l’avenir. Cette découverte sape les fondements de la méthode expérimentale elle-même.
Aucun raisonnement ne peut prouver que l’avenir ressemblera au passé, car cette démonstration présupposerait déjà l’uniformité de la nature qu’elle prétend établir. Cette circularité révèle l’impuissance de la raison.
Cette critique de l’induction complète la destruction des certitudes rationnelles en montrant que même l’empirisme ne peut échapper au scepticisme. Hume révèle ainsi les limites absolues de la connaissance humaine.
Dissolution du moi et critique de l’identité personnelle
L’analyse de l’identité personnelle révèle l’impossibilité de découvrir un moi substantiel dans l’expérience. La conscience ne nous livre qu’un flux de perceptions sans support permanent.
Cette dissolution du moi cartésien ruine les fondements de la psychologie rationnelle et anticipe les découvertes de la psychologie moderne sur la construction de l’identité.
Hume explique notre croyance à l’identité personnelle par les mécanismes associatifs de l’imagination qui unifient artificiellement nos expériences successives. Cette explication naturaliste remplace l’explication métaphysique.
Accueil mitigé et reformulation doctrinale
Échec initial du Traité
La publication du Traité en 1739-1740 passe presque inaperçue du public cultivé, provoquant la déception amère de Hume qui espérait une reconnaissance immédiate. Cette indifférence révèle l’avance de sa pensée sur son époque.
L’incompréhension générale s’explique par la radicalité de ses thèses qui heurtent les convictions communes autant que les doctrines savantes. Le scepticisme humien défie tous les conformismes intellectuels.
Cette réception décevante amène Hume à réviser sa stratégie d’exposition et à rechercher des formes plus accessibles pour diffuser sa pensée. Il abandonne temporairement le style technique du Traité.
Essais moraux et politiques
Pour conquérir un public plus large, Hume publie en 1741-1742 des « Essais moraux et politiques » qui présentent ses idées sous une forme plus littéraire et accessible. Cette stratégie éditoriale révèle son pragmatisme.
Ces essais abordent des questions d’actualité (commerce, politique, arts) selon la méthode empirique développée dans le Traité. Cette application révèle la fécondité pratique de son approche philosophique.
Le succès de ces essais contraste avec l’échec du Traité et confirme l’importance de la forme dans la diffusion des idées. Hume tire les leçons de cette expérience pour ses publications ultérieures.
Candidatures universitaires et rejets
Malgré sa réputation croissante, Hume essuie plusieurs échecs dans ses candidatures à des chaires universitaires à Édimbourg et Glasgow. Ces rejets révèlent l’hostilité du clergé écossais à ses idées.
L’orthodoxie religieuse considère sa philosophie comme dangereuse pour la foi et la morale. Cette opposition systématique le maintient en marge de l’institution universitaire.
Ces échecs académiques l’orientent vers d’autres activités intellectuelles et renforcent son indépendance vis-à-vis des institutions établies. Il développe une carrière d’homme de lettres libre.
Carrière d’historien et reconnaissance littéraire
Projet de l’Histoire d’Angleterre
Vers 1750, Hume entreprend la rédaction d’une « Histoire d’Angleterre » monumentale qui occupe plus de quinze ans de sa vie. Cette orientation vers l’histoire révèle sa volonté d’appliquer sa méthode critique aux sciences humaines.
Son approche historique privilégie l’analyse des causes naturelles sur les explications providentialistes. Cette sécularisation de l’histoire participe au mouvement général des Lumières.
Hume développe une conception cyclique de l’histoire qui relativise les prétentions au progrès linéaire. Cette vision désenchantée reflète son scepticisme philosophique appliqué au devenir humain.
Méthode historique et impartialité
L’Histoire de Hume se distingue par sa prétention à l’impartialité politique et religieuse, idéal révolutionnaire dans l’historiographie de l’époque dominée par les partis pris confessionnels.
Sa méthode privilégie l’analyse des documents sur la répétition des traditions. Cette approche critique influence durablement le développement de l’histoire comme discipline scientifique.
Cependant, cette impartialité revendiquée masque certains préjugés, notamment son hostilité au « fanatisme » religieux et sa préférence pour les solutions modérées. Cette tension révèle les limites de l’objectivité historique.
Succès éditorial et reconnaissance
L’Histoire d’Angleterre connaît un succès considérable qui assure enfin à Hume la reconnaissance et l’aisance matérielle. Cette réussite tardive compense les déceptions de sa jeunesse.
Cette œuvre historique influence profondément la perception du passé anglais et contribue à forger l’identité britannique moderne. Son impact dépasse largement le cercle des spécialistes.
Le succès de l’Histoire révèle également les talents littéraires de Hume qui maîtrise l’art de la narration autant que l’analyse conceptuelle. Cette polyvalence intellectuelle caractérise les Lumières.
Philosophie religieuse et controverse
Critique des fondements rationnels de la religion
Hume développe une critique systématique des arguments traditionnels en faveur de l’existence divine, notamment l’argument téléologique qui infère un créateur intelligent de l’ordre naturel.
Sa démonstration révèle les failles logiques de ces raisonnements qui commettent l’erreur de projeter l’expérience humaine limitée sur l’univers entier. Cette critique préfigure les développements de la philosophie religieuse moderne.
L’agnosticisme humien ne verse pas dans l’athéisme militant mais suspend simplement le jugement face à l’insuffisance des preuves. Cette position modérée révèle sa prudence intellectuelle.
Analyse naturaliste des phénomènes religieux
L' »Histoire naturelle de la religion » (1757) applique la méthode empirique à l’étude des croyances religieuses considérées comme phénomènes anthropologiques plutôt que comme vérités révélées.
Cette approche génétique explique l’émergence et l’évolution des religions par les besoins psychologiques humains (peur, espoir, gratitude) plutôt que par l’illumination divine.
Hume identifie dans le polythéisme primitif une forme religieuse plus naturelle et tolérante que le monothéisme qui engendre fanatisme et intolérance. Cette thèse subversive scandalise ses contemporaires.
Critique des miracles et du témoignage
L’essai « Des miracles » formule une critique définitive des récits miraculeux en montrant que le témoignage humain ne peut jamais établir la réalité d’événements contraires aux lois naturelles.
Cette démonstration sape les fondements de la religion révélée qui repose largement sur l’autorité des témoignages scripturaires. Elle révèle l’impossibilité de concilier foi et raison critique.
La méthode humienne privilégie systématiquement l’explication naturelle la plus probable sur l’hypothèse miraculeuse. Cette présomption méthodologique oriente durablement la critique religieuse.
Dernières années et synthèse philosophique
Séjour parisien et célébrité européenne
En 1763-1766, Hume séjourne à Paris comme secrétaire d’ambassade, période qui consacre sa réputation européenne. Il fréquente les salons et se lie d’amitié avec les philosophes français.
Cette reconnaissance continentale contraste avec les résistances qu’il rencontre encore en Grande-Bretagne. Les Lumières françaises accueillent favorablement son scepticisme religieux et son naturalisme.
Cependant, Hume maintient ses distances vis-à-vis du matérialisme militant des encyclopédistes. Son scepticisme modéré le préserve des excès dogmatiques du parti philosophique.
Querelle avec Rousseau
L’épisode de sa brouille avec Rousseau, qu’il avait accueilli en Angleterre, révèle les tensions personnelles sous les convergences intellectuelles des Lumières. Cette querelle publique ternit temporairement sa réputation.
Cette affaire illustre également les difficultés de caractère de Hume, homme sociable mais parfois manquant de psychologie dans ses relations personnelles. Elle révèle les limites de sa philosophie des sentiments.
Néanmoins, cette polémique n’entame pas durablement son prestige intellectuel et révèle plutôt l’instabilité psychologique de Rousseau.
Dialogues sur la religion naturelle
Ses dernières années voient l’achèvement des « Dialogues sur la religion naturelle », testament philosophique qu’il n’ose publier de son vivant. Cette prudence révèle la radicalité de ses conclusions.
Cette œuvre reprend et approfondit sa critique de la théologie rationnelle sous forme de dialogue entre trois personnages représentant différentes positions. Cette forme dramatique assouplit l’exposition doctrinale.
Les Dialogues révèlent l’évolution de sa pensée vers un scepticisme plus radical qui remet en question non seulement les preuves de l’existence divine mais l’intelligibilité même du concept de divinité.
Mort sereine et postérité intellectuelle
Maladie et préparation à la mort
À partir de 1775, Hume souffre d’un cancer intestinal qui l’emporte progressivement. Il affronte la maladie avec la sérénité que recommande sa philosophie, trouvant dans la nature les ressources pour accepter sa condition.
Cette attitude exemplaire face à la mort impressionne ses contemporains et confirme la cohérence existentielle de sa philosophie. Hume incarne l’idéal du sage épicurien qu’il prône dans ses écrits.
Sa correspondance de cette période révèle un homme apaisé qui tire satisfaction de son œuvre accomplie. Cette sérénité finale contraste avec les tourments de sa jeunesse.
Testament intellectuel et publication posthume
Conscient de sa fin prochaine, Hume organise soigneusement la publication posthume de ses œuvres les plus controversées, notamment les Dialogues sur la religion naturelle.
Il rédige également une autobiographie qui présente sa vie sous un jour favorable et justifie ses choix intellectuels. Ce texte révèle son souci de contrôler sa postérité.
Hume meurt le 25 août 1776 à Édimbourg, entouré de l’affection de ses proches. Ses funérailles attirent une foule considérable qui témoigne de son prestige.
Impact sur la philosophie ultérieure
L’influence de Hume sur la philosophie moderne s’avère considérable, notamment sur Kant qui reconnaît sa dette intellectuelle envers le sceptique écossais. Cette filiation révèle la fécondité de sa critique.
Le positivisme du XIXᵉ siècle retrouve dans sa méthode empirique un modèle pour l’approche scientifique des phénomènes humains. Cette influence révèle la modernité de son projet.
La philosophie analytique contemporaine puise largement dans son héritage conceptuel, notamment sa théorie de la causalité et sa critique de l’induction. Cette actualité révèle la pérennité de ses interrogations.
Un scepticisme fécond et moderne
David Hume occupe une position unique dans l’histoire de la philosophie occidentale comme destructeur des certitudes dogmatiques et fondateur d’un naturalisme cohérent. Son scepticisme radical, loin de conduire au nihilisme, ouvre la voie à une compréhension plus modeste mais plus authentique de la condition humaine.
L’actualité de Hume réside dans sa capacité d’éclairer les débats contemporains sur les limites de la connaissance et les fondements de nos croyances. Son empirisme critique offre des ressources précieuses pour naviguer entre dogmatisme et relativisme dans un monde scientifique complexe.
Au-delà de ses contributions techniques à l’épistémologie et à la philosophie de l’esprit, Hume incarne l’idéal de l’intellectuel moderne qui privilégie l’honnêteté intellectuelle sur les consolations dogmatiques. Cette exigence de lucidité constitue son legs le plus précieux à la pensée critique contemporaine.
Pour aller plus loin
- David Hume, Enquête sur l'entendement humain, GF
- David Hume, Traité de la nature humaine: Livre I.L'entendement, Vrin
- David Hume, La Morale: Traité de la nature humaine, livre III, GF
- David Hume, Enquête sur les principes de la morale, GF
- David Hume, Essais sur l'art et le goût, GF
- David Hume, De la norme du goût, GF
- David Hume, Essais moraux, politiques et littéraires et autres essais, Puf
- David Hume, Dialogues sur la religion naturelle, Vrin










