INFOS-CLÉS | |
|---|---|
| Origine | Danzig (actuelle Gdansk, Pologne) |
| Importance | ★★★★ |
| Courants | Idéalisme allemand, Pessimisme |
| Thèmes | volonté de vivre, pessimisme, représentation, compassion, esthétique, résignation, bouddhisme, souffrance universelle |
Arthur Schopenhauer incarne la figure du philosophe pessimiste par excellence, développant une métaphysique de la volonté qui révèle la souffrance comme essence de l’existence tout en ouvrant des voies de libération par l’art et la compassion.
Arthur Schopenhauer voit le jour le 22 février 1788 à Danzig, port prospère de la Baltique alors ville libre sous protection prussienne. Sa famille appartient à la bourgeoisie négociante cosmopolite qui fait la richesse de cette cité hanséatique. Son père, Heinrich Floris Schopenhauer, dirige une maison de commerce florissante et incarne les valeurs libérales des Lumières.
Cette origine bourgeoise et cosmopolite marque profondément la formation du futur philosophe. La famille Schopenhauer entretient des relations commerciales dans toute l’Europe et cultive un mode de vie raffiné qui familiarise Arthur avec la culture française et anglaise autant qu’allemande. Cette ouverture internationale influence durablement sa vision du monde et sa méfiance envers le nationalisme naissant.
L’influence maternelle et littéraire
Sa mère, Johanna Henriette Schopenhauer, née Trosiener, possède une personnalité remarquable qui contraste avec le tempérament plus austère de son époux. Femme cultivée et ambitieuse, elle nourrit des aspirations littéraires qui se concrétiseront après son veuvage par une carrière d’écrivain à succès et la tenue d’un salon littéraire réputé à Weimar.
Cette influence maternelle éveille chez Arthur le goût des belles-lettres et développe sa sensibilité esthétique, dimension essentielle de sa philosophie future. Cependant, les relations entre mère et fils se détériorent progressivement, Johanna supportant mal le caractère difficile et les opinions pessimistes de son fils, ce qui engendre un conflit durable qui marque la psychologie schopenhauerienne.
Jeunesse et influences formatrices
L’éducation cosmopolite et les voyages
Conformément aux usages de la bourgeoisie éclairée, Arthur reçoit une éducation soigneusement internationale. Il séjourne en France de 1797 à 1799, puis accompagne ses parents dans un grand voyage européen qui le mène en Angleterre, en Hollande, en Belgique et en Suisse. Ces expériences précoces de la diversité culturelle européenne forgent son cosmopolitisme et sa méfiance envers les particularismes nationaux.
Durant son séjour anglais, il découvre la philosophie empiriste et développe une admiration durable pour les penseurs britanniques, particulièrement David Hume. Cette influence britannique tempère son idéalisme allemand ultérieur et explique en partie son réalisme psychologique dans l’analyse des passions humaines.
Le conflit avec la destinée commerciale
Heinrich Floris Schopenhauer destine naturellement son fils aîné à reprendre l’entreprise familiale et lui fait suivre une formation commerciale pratique. Arthur accepte cette orientation par respect filial, mais cette contrainte pèse lourdement sur son tempérament intellectuel et artistique. Il effectue un apprentissage commercial à Hambourg qui lui révèle définitivement son inadéquation avec le monde des affaires.
La mort subite de son père en 1805, probablement par suicide, libère Arthur de cette obligation tout en le marquant profondément. Cette disparition tragique nourrit sans doute sa vision pessimiste de l’existence et sa méfiance envers les engagements mondains. Il obtient de sa mère l’autorisation de poursuivre des études classiques, préalable nécessaire aux études universitaires.
Formation universitaire et développement
Les études classiques et l’éveil philosophique
Arthur rattrape rapidement son retard en études classiques et se révèle un helléniste accompli. Sa maîtrise du grec lui donne accès direct aux textes platoniciens et lui révèle la beauté de la pensée antique. Cette formation humaniste classique nourrit sa réflexion esthétique et lui fournit les références culturelles qui enrichissent son œuvre philosophique.
En 1809, il s’inscrit à l’université de Göttingen en médecine, mais s’oriente rapidement vers la philosophie sous l’influence de Gottlob Ernst Schulze, qui l’initie à la pensée kantienne. Cette découverte de la « Critique de la raison pure » constitue l’événement décisif de sa formation intellectuelle et détermine l’orientation de toute sa réflexion ultérieure.
L’initiation à la philosophie kantienne
Schopenhauer assimile avec enthousiasme la leçon kantienne de l’idéalisme transcendantal et fait sienne la distinction fondamentale entre phénomènes et chose en soi. Cette formation kantienne lui révèle les limites de la connaissance rationnelle et l’importance de l’intuition dans l’accès au réel. Il développe une interprétation originale du kantisme qui privilégie les aspects esthétiques et éthiques sur la dimension proprement scientifique.
Parallèlement, il découvre la philosophie platonicienne et développe une admiration durable pour la théorie des Idées qu’il réinterprète dans un sens esthétique. Cette synthèse entre kantisme et platonisme constitue l’un des fondements de sa philosophie mature et explique la place centrale qu’il accorde à l’expérience esthétique dans sa théorie de la connaissance.
La rencontre avec la pensée orientale
Durant ses années de formation, Schopenhauer découvre les traductions des textes orientaux, notamment les Upanishads dans la version latine d’Anquetil-Duperron. Cette révélation de la sagesse indienne confirme ses intuitions pessimistes et lui fournit un cadre conceptuel pour penser la souffrance universelle et les voies de libération.
Il trouve dans le bouddhisme et l’hindouisme une confirmation de ses propres analyses sur l’illusion du monde phénoménal et la nécessité du détachement. Cette influence orientale, rare dans la philosophie allemande de l’époque, donne à sa pensée une dimension universaliste qui la distingue nettement de l’idéalisme de ses contemporains.
Première carrière et émergence
La thèse de doctorat et les premiers développements
En 1813, Schopenhauer soutient à l’université d’Iéna sa thèse de doctorat « De la quadruple racine du principe de raison suffisante », œuvre de jeunesse qui annonce déjà les thèmes centraux de sa philosophie. Il y développe une analyse des différentes formes de la causalité qui prépare sa théorie ultérieure de la représentation.
Cette première œuvre révèle sa maîtrise technique de la philosophie kantienne et sa capacité à développer de manière originale les insights de son maître. Elle établit également sa méthode philosophique caractéristique, qui combine rigueur conceptuelle et richesse d’exemples concrets puisés dans l’expérience commune.
L’isolement de Berlin et l’élaboration du système
Schopenhauer s’installe à Berlin en 1814 pour suivre les cours de Fichte et de Schleiermacher, mais ces contacts avec l’idéalisme contemporain le déçoivent profondément. Il développe une antipathie durable pour les spéculations abstraites de ses contemporains et préfère élaborer son système en solitaire.
Cette période berlinoise, marquée par l’isolement social et intellectuel, s’avère néanmoins décisive pour la maturation de sa pensée. Libéré des influences extérieures, il peut développer librement sa métaphysique de la volonté et achever la rédaction de son œuvre maîtresse, « Le Monde comme volonté et comme représentation ».
Œuvre majeure et maturité
« Le Monde comme volonté et comme représentation »
Publié en 1818, « Le Monde comme volonté et comme représentation » constitue l’œuvre capitale de Schopenhauer et l’une des créations philosophiques les plus originales du XIXe siècle. Cette œuvre développe une métaphysique révolutionnaire qui identifie la réalité fondamentale à une « Volonté » aveugle, irrationnelle et indestructible qui se manifeste dans tous les phénomènes.
Cette Volonté cosmique condamne tous les êtres à une existence de souffrance perpétuelle, car le vouloir implique nécessairement le manque et donc la douleur. L’existence humaine oscille tragiquement entre la souffrance du désir inassouvi et l’ennui de la satisfaction temporaire, sans possibilité d’échapper durablement à cette condition misérable.
La théorie de la représentation
Schopenhauer développe également une théorie sophistiquée de la connaissance qui distingue la représentation intuitive, soumise aux formes a priori de l’espace, du temps et de la causalité, de la représentation conceptuelle qui permet la communication et la science. Cette analyse épistémologique, directement inspirée de Kant, révèle le caractère illusoire du monde phénoménal.
Le monde de la représentation constitue le « voile de Maya » qui dissimule la réalité véritable de la Volonté. Cette perspective idéaliste révèle que l’individualité n’est qu’une illusion et que tous les êtres participent en réalité d’une même essence métaphysique, fondement de la compassion authentique.
L’esthétique comme libération temporaire
Face à cette condition tragique, Schopenhauer propose plusieurs voies de libération. La première, temporaire mais accessible, passe par l’expérience esthétique qui permet d’échapper momentanément à la tyrannie de la Volonté. Dans la contemplation désintéressée de la beauté, le sujet s’oublie lui-même et accède à la connaissance pure des Idées platoniciennes.
Cette théorie esthétique révolutionnaire fait de l’art un instrument de connaissance métaphysique et une consolation face à la souffrance universelle. La musique occupe une place privilégiée dans cette hiérarchie esthétique car elle exprime directement la Volonté elle-même, sans passer par la médiation des Idées.
L’éthique de la compassion
La seconde voie de libération, plus radicale, passe par l’éveil de la compassion qui révèle l’unité métaphysique de tous les êtres souffrants. Cette reconnaissance de l’identité fondamentale de tous les vivants abolit l’égoïsme, source de tous les maux, et ouvre la voie à une conduite véritablement morale.
Cette éthique de la compassion, directement inspirée du bouddhisme, culmine dans la négation ascétique de la volonté de vivre qui seule peut briser définitivement le cycle de la souffrance. Cette libération ultime, accessible seulement aux saints et aux ascètes, représente l’idéal moral suprême de la philosophie schopenhauerienne.
Dernières années et synthèses
L’amertume de l’incompréhension
Malgré la richesse et l’originalité de son œuvre, Schopenhauer ne rencontre qu’indifférence et incompréhension de la part du public philosophique de son époque. Cette méconnaissance l’aigrit profondément et nourrit son ressentiment contre ses contemporains, particulièrement les philosophes universitaires qu’il accuse de charlatanisme.
Il tente vainement d’obtenir une chaire universitaire et de concurrencer Hegel à Berlin, mais son caractère difficile et ses opinions peu conformes lui ferment les portes de la carrière académique. Cette marginalité forcée renforce son pessimisme et sa misanthropie, mais lui permet paradoxalement de préserver l’originalité de sa pensée.
Les œuvres de vulgarisation et d’approfondissement
Dans ses dernières années, Schopenhauer compose plusieurs ouvrages qui développent et popularisent les thèses de son œuvre principale. « Parerga et Paralipomena » (1851) réunit des essais brillants sur des sujets variés qui révèlent l’étendue de sa culture et la finesse de ses observations psychologiques.
Ces œuvres tardives, plus accessibles que le système de 1818, contribuent finalement à faire connaître sa philosophie auprès d’un public plus large. Ses analyses pénétrantes de l’amour, de la mort, de l’éducation et de la condition féminine révèlent un moraliste de premier ordre doublé d’un styliste remarquable.
La reconnaissance tardive
Vers la fin de sa vie, Schopenhauer commence enfin à recevoir la reconnaissance qu’il a toujours espérée. Des disciples se rassemblent autour de lui, des traductions de ses œuvres paraissent en plusieurs langues, et l’intelligentsia européenne découvre progressivement l’originalité de sa contribution philosophique.
Cette gloire tardive, bien qu’elle le réjouisse, ne change pas fondamentalement son caractère ni ses convictions pessimistes. Il meurt en 1860 à Francfort, convaincu d’avoir révélé les vérités essentielles sur la condition humaine et fier d’avoir su résister aux modes intellectuelles de son époque.
Mort et héritage
L’influence sur la culture européenne
Après sa mort, l’influence de Schopenhauer grandit considérablement et transforme profondément la sensibilité européenne de la fin du XIXe siècle. Son pessimisme métaphysique résonne avec les désillusions de l’époque et nourrit les courants décadentistes et symbolistes qui marquent la littérature et les arts.
Des écrivains comme Thomas Mann, des compositeurs comme Wagner, des philosophes comme Nietzsche subissent profondément son influence, même lorsqu’ils s’opposent à ses conclusions. Sa vision tragique de l’existence devient l’une des composantes essentielles de la modernité européenne.
L’impact sur la psychologie et la psychanalyse
Les analyses schopenhaueriennes de l’inconscient, de la sexualité et des mécanismes de l’illusion préfigurent remarquablement les découvertes de la psychologie moderne. Freud reconnaît explicitement sa dette envers le philosophe de Francfort et puise dans son œuvre plusieurs concepts fondamentaux de la psychanalyse.
Cette anticipation des sciences humaines modernes témoigne de la pénétration psychologique exceptionnelle de Schopenhauer et de sa capacité à déceler les ressorts cachés de la nature humaine. Son pessimisme lucide annonce les désenchantements du XXe siècle.
L’actualité contemporaine
Dans le monde contemporain, la philosophie de Schopenhauer connaît un regain d’intérêt remarquable. Sa critique de l’optimisme progressiste résonne avec les inquiétudes écologiques actuelles, tandis que sa théorie de la compassion inspire les mouvements de défense des droits des animaux.
Plus largement, sa vision de la souffrance comme dimension inéliminable de l’existence humaine et sa recherche de sagesses pratiques pour l’affronter restent d’une actualité saisissante. Schopenhauer demeure ainsi l’un des philosophes les plus actuels pour notre époque désabusée, offrant à la fois un diagnostic lucide sur nos illusions et des voies de libération par l’art et la compassion.
Pour approfondir
#Métaphysique
Arthur Schopenhauer — Le monde comme volonté et comme représentation (PUF)
#Sagesse
Arthur Schopenhauer — Aphorismes sur la sagesse dans la vie (PUF)
#Dialectique
Arthur Schopenhauer — L’Art d’avoir toujours raison (Mille et une nuits)
#Morale
Arthur Schopenhauer — Le Fondement de la morale (Le Livre de Poche)
#Biographie
Rüdiger Safranski — Schopenhauer et les années folles de la philosophie (PUF)










