Définition et étymologie
Le néoréalisme désigne un courant philosophique contemporain qui défend une conception réaliste de la connaissance et de la réalité, tout en intégrant les acquis de la philosophie moderne et contemporaine. Le préfixe « néo- » (du grec neos, « nouveau ») indique une reformulation du réalisme traditionnel pour répondre aux objections historiques qui lui ont été adressées, particulièrement celles du kantisme, du pragmatisme et du postmodernisme.
En philosophie, le néoréalisme soutient que la réalité existe indépendamment de notre connaissance et que nous pouvons, dans une certaine mesure, la connaître telle qu’elle est. Cette position s’oppose à la fois à l’idéalisme, qui réduit la réalité à la pensée, et au relativisme, qui nie la possibilité d’une connaissance objective. Le néoréalisme se caractérise par une défense sophistiquée du sens commun ontologique et épistémologique contre les sophistications de la philosophie moderne.
Le néoréalisme en philosophie
Les origines historiques et le contexte d’émergence
Le néoréalisme émerge au début du XXe siècle comme une réaction contre l’idéalisme dominant de l’époque, particulièrement l’idéalisme absolu de F.H. Bradley et Josiah Royce. Les premiers néoréalistes, regroupés autour de revues comme The New Realism (1912), cherchent à restaurer la confiance en la possibilité d’une connaissance directe de la réalité.
Ce mouvement initial, mené par Edwin Holt, Ralph Barton Perry et William Montague, critique l’erreur « égocentrique » qui consiste à identifier l’être et l’être-connu. Pour ces philosophes, la relation de connaissance ne modifie pas l’objet connu, contrairement aux prétentions de l’idéalisme kantien et post-kantien.
Le réalisme critique de Roy Wood Sellars
Roy Wood Sellars développe un « réalisme critique » qui reconnaît la médiation nécessaire de la perception et de la conceptualisation dans la connaissance, tout en maintenant l’existence indépendante de la réalité physique. Dans « Evolutionary Naturalism » (1922), Sellars argue que la connaissance implique une relation causale entre l’objet et le sujet connaissant, sans pour autant réduire l’objet à ses effets sur le sujet.
Cette position influence profondément le développement ultérieur du néoréalisme en montrant comment concilier le réalisme ontologique avec une épistémologie sophistiquée qui tient compte des médiations cognitives.
Le réalisme scientifique contemporain
Le néoréalisme trouve sa forme la plus développée dans le réalisme scientifique contemporain. Hilary Putnam, avant sa conversion à l’antiréalisme puis au réalisme interne, défend dans les années 1960-70 un réalisme scientifique robuste selon lequel les théories scientifiques matures décrivent approximativement la structure réelle du monde.
L’argument du « miracle » de Putnam constitue l’une des défenses les plus influentes du réalisme scientifique : le succès empirique extraordinaire de la science serait inexplicable si nos théories n’étaient pas au moins approximativement vraies. Cette position est développée par des philosophes comme Richard Boyd, qui élabore une théorie causale de la référence permettant d’expliquer comment nos termes théoriques peuvent référer à des entités réelles.
Le réalisme structural
John Worrall propose une version sophistiquée du réalisme scientifique avec le « réalisme structural » (1989). Face au problème de l’induction pessimiste – le fait que les théories scientifiques passées se sont révélées fausses – Worrall argue que ce qui se conserve à travers les révolutions scientifiques, ce sont les structures mathématiques plutôt que les entités postulées.
Cette position est radicalisée par Steven French et James Ladyman dans le « réalisme structural ontique », selon lequel la réalité elle-même consiste en structures plutôt qu’en objets individuels. Cette approche cherche à réconcilier le réalisme avec les enseignements de la physique contemporaine, particulièrement la mécanique quantique.
Le néoréalisme modal
David Lewis développe un « réalisme modal » extrême selon lequel tous les mondes possibles existent au même titre que le monde actuel. Dans « De la pluralité des mondes » (1986), Lewis défend cette thèse contre-intuitive en montrant ses avantages théoriques pour l’analyse des modalités, des propriétés et des propositions.
Bien que peu acceptent la thèse lewisienne dans son intégralité, elle illustre l’audace théorique du néoréalisme contemporain et sa volonté de défendre des positions métaphysiques substantielles contre le minimalisme ontologique dominant.
Le réalisme moral
En éthique, le néoréalisme se manifeste dans la défense du réalisme moral par des philosophes comme David Enoch et Russ Shafer-Landau. Ces auteurs soutiennent que les propriétés morales sont des propriétés réelles du monde, indépendantes de nos attitudes et croyances morales.
Enoch, dans « Taking Morality Seriously » (2011), développe un argument de l’indispensabilité selon lequel nous devons croire au réalisme moral parce que cette croyance est nécessaire à notre vie morale effective. Cette position s’oppose au non-cognitivisme de Simon Blackburn et Allan Gibbard, qui réduisent les jugements moraux à des expressions d’attitudes.
Le réalisme perceptuel direct
En philosophie de la perception, des philosophes comme Michael Huemer et William Fish défendent un « réalisme perceptuel direct » selon lequel nous percevons directement les objets externes plutôt que des représentations mentales de ces objets. Cette position critique la théorie représentationnelle de la perception dominante depuis Descartes.
Huemer, dans « Skepticism and the Veil of Perception » (2001), argue que la théorie représentationnelle conduit inévitablement au scepticisme, tandis que le réalisme direct préserve la possibilité d’une connaissance perceptuelle fiable du monde externe.
Critiques et objections
Le néoréalisme fait face à plusieurs objections majeures. L’argument de l’induction pessimiste, développé par Larry Laudan, souligne que les théories scientifiques passées, pourtant empiriquement réussies, se sont révélées fausses, remettant en question l’inférence du succès empirique à la vérité approximative.
Les antiréalistes comme Bas van Fraassen développent des alternatives empiristes qui préservent les avantages épistémiques du réalisme sans ses engagements métaphysiques. L’empirisme constructif de van Fraassen soutient que la science vise l’adéquation empirique plutôt que la vérité.
Le « problème de Duhem-Quine » souligne la sous-détermination des théories par l’expérience, suggérant que des théories incompatibles peuvent être également bien confirmées par les mêmes données empiriques.
Développements récents
Le néoréalisme continue d’évoluer avec des figures comme Timothy Maudlin en philosophie de la physique, qui développe un réalisme sophistiqué concernant l’espace-temps et les lois naturales, ou Karen Bennett en métaphysique, qui défend un réalisme concernant la structure fondamentale de la réalité.
Conclusion
Le néoréalisme représente un effort continu pour maintenir une vision robuste de la réalité et de notre capacité à la connaître, face aux défis sceptiques et antiréalistes. En intégrant les leçons de la philosophie moderne tout en préservant les intuitions réalistes fondamentales, il offre un cadre conceptuel puissant pour penser les relations entre l’esprit, le langage et le monde. Sa vitalité contemporaine témoigne de la persistance des questions fondamentales de la métaphysique et de l’épistémologie.