Définition et étymologie
Le néoaristotélisme désigne un ensemble de mouvements philosophiques contemporains qui cherchent à renouveler et actualiser la pensée d’Aristote (384-322 av. J.-C.) pour répondre aux questions philosophiques modernes. Le préfixe « néo- » (du grec neos, « nouveau ») indique une réappropriation créative plutôt qu’une simple répétition de la doctrine aristotélicienne originelle. Cette approche se caractérise par une tentative de réconcilier la sagesse antique avec les exigences de la pensée contemporaine, particulièrement en éthique, en philosophie politique et en métaphysique.
Le néoaristotélisme ne constitue pas une école uniforme, mais plutôt une constellation de penseurs qui puisent dans l’héritage aristotélicien pour élaborer des réponses originales aux défis philosophiques actuels. Ces philosophes partagent généralement une critique de la modernité philosophique et un retour aux concepts fondamentaux de la tradition aristotélicienne : la notion de vertu, l’importance de la communauté politique, la téléologie naturelle et l’eudémonisme.
Le néoaristotélisme en philosophie
Les racines historiques et le contexte d’émergence
Le néoaristotélisme contemporain émerge principalement au XXe siècle comme une réaction contre les impasses de la philosophie morale moderne. Cette renaissance s’enracine dans une critique du libéralisme politique, de l’utilitarisme et du kantisme, jugés insuffisants pour fonder une éthique substantielle et une conception robuste du bien commun.
Le mouvement trouve ses précurseurs dans la pensée de G.W.F. Hegel, qui réhabilite la notion aristotélicienne de Sittlichkeit (vie éthique) contre la morale abstraite kantienne, et dans les travaux de philosophes comme Jacques Maritain, qui développe une philosophie politique thomiste inspirée d’Aristote.
L’éthique des vertus : Alasdair MacIntyre
Alasdair MacIntyre constitue la figure centrale du renouveau néoaristotélicien avec son ouvrage majeur « Après la vertu » (1981). MacIntyre diagnostique une crise profonde de la moralité contemporaine, caractérisée par l’échec des projets moraux des Lumières et la fragmentation du discours éthique. Face à ce constat, il propose un retour à l’éthique aristotélicienne des vertus.
Pour MacIntyre, les vertus ne sont pas des règles abstraites mais des excellences de caractère qui se développent au sein de pratiques sociales spécifiques. Une pratique est une activité cohérente et complexe possédant ses biens internes propres, accessibles seulement par la participation à cette pratique. Les vertus permettent d’atteindre ces biens internes et de maintenir les traditions qui portent ces pratiques.
MacIntyre insiste sur la dimension narrative de l’identité humaine : nous ne pouvons comprendre nos actions qu’en les inscrivant dans le récit d’une vie orientée vers un telos (fin ultime). Cette conception téléologique de l’existence humaine s’oppose frontalement à l’individualisme libéral et à sa conception atomisée de la personne.
La philosophie politique communautarienne
Le néoaristotélisme nourrit également la critique communautarienne du libéralisme politique. Charles Taylor, dans « Les sources du moi » (1989), développe une anthropologie philosophique inspirée d’Aristote qui met l’accent sur la dimension constitutive des appartenances communautaires pour l’identité personnelle.
Michael Sandel critique la conception procédurale de la justice de John Rawls en s’appuyant sur une vision aristotélicienne de la politique. Pour Sandel, la politique ne peut se contenter d’être neutre vis-à-vis des conceptions du bien ; elle doit promouvoir activement les vertus civiques et le bien commun.
La métaphysique aristotélicienne contemporaine
Certains philosophes néoaristotéliciens s’attachent à renouveler la métaphysique aristotélicienne. Edward Feser, dans « Aristote sur les erreurs métaphysiques » (2019), défend une métaphysique des substances et des formes substantielles contre le mécanisme moderne. Il argue que la causalité formelle et finale aristotélicienne demeure nécessaire pour comprendre les phénomènes naturels, y compris biologiques.
David Oderberg développe une « métaphysique réelle » inspirée d’Aristote et de saint Thomas d’Aquin, défendant l’existence d’essences réelles contre le nominalisme contemporain. Cette approche néoscolastique cherche à montrer la pertinence continue de l’hylémorphisme aristotélicien pour la philosophie de l’esprit et de la nature.
Applications en bioéthique et philosophie pratique
Le néoaristotélisme trouve des applications fécondes en bioéthique. Leon Kass développe une « sagesse de répugnance » inspirée des intuitions morales naturelles, critique des approches purement utilitaristes en médecine. Hans Jonas, dans « Le principe responsabilité » (1979), élabore une éthique de la responsabilité qui puise dans la téléologie aristotélicienne pour répondre aux défis technologiques contemporains.
Critiques et débats
Le néoaristotélisme fait face à plusieurs objections majeures. Les philosophes libéraux comme Ronald Dworkin et Joseph Raz critiquent son supposé conservatisme politique et sa tendance à imposer une conception particulière du bien contre le pluralisme moderne.
Sur le plan métaphysique, les naturalistes contemporains comme Daniel Dennett rejettent la téléologie aristotélicienne comme une survivance pré-scientifique incompatible avec la vision mécaniste du monde issue de la révolution scientifique.
Certains féministes comme Susan Okin critiquent l’éthique des vertus pour son caractère potentiellement oppressif envers les groupes marginalisés, arguant qu’elle tend à naturaliser des rapports de domination historiquement constitués.
Développements récents
Le néoaristotélisme continue d’évoluer avec des figures comme Philippa Foot, qui développe une éthique des vertus naturaliste, ou Martha Nussbaum, qui propose une approche néoaristotélicienne des capabilités humaines en philosophie politique. Ces travaux montrent la vitalité continue de cette tradition philosophique et sa capacité d’adaptation aux enjeux contemporains.
Conclusion
Le néoaristotélisme représente une tentative ambitieuse de renouer avec la sagesse antique pour surmonter les impasses de la modernité philosophique. En réhabilitant les concepts de vertu, de bien commun et de téléologie naturelle, il offre une alternative substantielle aux paradigmes dominants de la philosophie contemporaine. Bien qu’il demeure controversé, ce mouvement témoigne de la fécondité continue de l’héritage aristotélicien et de sa capacité à éclairer les débats philosophiques actuels.