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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. Le néothomisme en philosophie
    1. L’impulsion pontificale : l’encyclique Aeterni Patris
    2. L’École de Louvain : Désiré Mercier et ses disciples
    3. Jacques Maritain : l’humanisme intégral
    4. Étienne Gilson : l’histoire de la philosophie médiévale
    5. L’École transcendantale : Joseph Maréchal et Karl Rahner
    6. L’École de la Revue thomiste : Réginald Garrigou-Lagrange
    7. Le thomisme analytique contemporain
    8. Critiques et débats
    9. Influence et héritage
  3. Conclusion
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Néothomisme

  • 02/10/2025
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Définition et étymologie

Le néothomisme désigne le mouvement de renaissance et de renouvellement de la philosophie de saint Thomas d’Aquin (1225-1274) qui s’épanouit à partir de la fin du XIXe siècle. Le préfixe « néo- » (du grec neos, « nouveau ») indique une réappropriation créative de la pensée thomiste, adaptée aux défis intellectuels de la modernité. Ce mouvement ne se contente pas de répéter les formules médiévales, mais cherche à développer les principes thomistes pour répondre aux questions contemporaines en philosophie, théologie et sciences humaines.

Le néothomisme se caractérise par la conviction que la synthèse thomiste entre foi et raison, aristotélisme et christianisme, demeure pertinente pour penser les problèmes modernes. Il défend une métaphysique réaliste, une anthropologie intégrale et une éthique du bien commun contre les réductions matérialistes et individualistes de la modernité.

Le néothomisme en philosophie

L’impulsion pontificale : l’encyclique Aeterni Patris

Le néothomisme moderne naît officiellement avec l’encyclique Aeterni Patris du pape Léon XIII (1879), qui proclame saint Thomas d’Aquin « maître commun » de l’Église et encourage le retour à sa philosophie. Cette décision répond à la crise intellectuelle du catholicisme face aux défis du rationalisme, du positivisme et du modernisme.

L’encyclique ne prône pas un simple retour au passé, mais encourage une « restauration » créative de la philosophie thomiste, capable de dialoguer avec la science moderne tout en préservant les vérités éternelles. Cette impulsion pontificale donne naissance à de nombreux centres d’études thomistes et influence profondément l’enseignement philosophique catholique.

L’École de Louvain : Désiré Mercier et ses disciples

L’Institut supérieur de philosophie de Louvain, fondé en 1889 par le cardinal Désiré Mercier, devient le foyer principal du néothomisme naissant. Mercier développe une « philosophie nouvelle » qui intègre les acquis de la psychologie expérimentale et des sciences modernes dans un cadre métaphysique thomiste.

Cette approche se caractérise par un dialogue constructif avec la modernité plutôt que par une opposition frontale. Les thomistes de Louvain, comme Maurice De Wulf en histoire de la philosophie médiévale et Léon Noël en épistémologie, montrent comment les principes thomistes peuvent éclairer les problèmes contemporains sans renier les acquis scientifiques modernes.

Jacques Maritain : l’humanisme intégral

Jacques Maritain (1882-1973) constitue la figure la plus influente du néothomisme français. Converti du protestantisme au catholicisme, Maritain développe une philosophie politique et sociale d’inspiration thomiste qui influence profondément la pensée sociale catholique du XXe siècle.

Dans « Humanisme intégral » (1936), Maritain propose une « troisième voie » entre le capitalisme libéral et le collectivisme socialiste, fondée sur la notion thomiste de bien commun. Il développe une théorie des droits de l’homme enracinée dans la loi naturelle thomiste, contribuant à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

Maritain renouvelle également l’esthétique thomiste dans « Art et scolastique » (1920), montrant comment les principes métaphysiques de saint Thomas éclairent la création artistique. Sa distinction entre l’art comme « droite raison dans le faire » et la prudence comme « droite raison dans l’agir » influence durablement la réflexion sur l’autonomie relative de l’art.

Étienne Gilson : l’histoire de la philosophie médiévale

Étienne Gilson (1884-1978) révolutionne l’histoire de la philosophie médiévale en montrant la richesse et l’originalité de la pensée de saint Thomas. Contre les préjugés rationalistes, Gilson démontre que le thomisme constitue une philosophie authentique, capable de rivaliser avec les grands systèmes modernes.

Dans « L’être et l’essence » (1948), Gilson développe une métaphysique existentielle d’inspiration thomiste qui influence les débats contemporains sur l’être et l’existence. Il montre comment saint Thomas distingue l’essence de l’existence dans tous les êtres créés, seul Dieu étant l’Être subsistant où essence et existence s’identifient.

Gilson critique également la « suarez-anisation » de saint Thomas dans la scolastique tardive, plaidant pour un retour aux textes authentiques du Docteur angélique contre les déformations conceptualistes ultérieures.

L’École transcendantale : Joseph Maréchal et Karl Rahner

Joseph Maréchal (1878-1944) développe un néothomisme « transcendantal » qui intègre les acquis de la critique kantienne. Dans ses « Cahiers » (1922-1949), Maréchal montre comment la métaphysique thomiste peut répondre aux objections kantiennes contre la métaphysique dogmatique.

Maréchal argue que l’intelligence humaine possède une orientation dynamique vers l’être absolu qui rend possible la connaissance métaphysique. Cette « finalisation » de l’intelligence vers l’être infini permet de surmonter les limitations kantiennes et de retrouver la voie vers Dieu.

Karl Rahner développe cette approche en théologie, montrant comment l’anthropologie transcendantale thomiste peut dialoguer avec la philosophie moderne. Son concept d' »existential surnaturel » renouvelle la théologie de la grâce dans un cadre thomiste actualisé.

L’École de la Revue thomiste : Réginald Garrigou-Lagrange

Réginald Garrigou-Lagrange (1877-1964) représente l’aile la plus traditionaliste du néothomisme. Professeur à l’Angelicum de Rome, il développe une interprétation rigoureuse de saint Thomas qui s’oppose aux « déviations » modernistes et aux compromis avec la philosophie moderne.

Garrigou-Lagrange insiste sur les « vingt-quatre thèses thomistes » promulguées par la Congrégation des études en 1914, défendant une orthodoxie thomiste stricte contre les innovations jugées dangereuses. Sa métaphysique met l’accent sur l’analogie de l’être et la causalité efficiente comme voies d’accès à Dieu.

Le thomisme analytique contemporain

Depuis les années 1990, un « thomisme analytique » émerge dans le monde anglo-saxon, cherchant à formuler les thèses thomistes dans le langage de la philosophie analytique contemporaine. Des philosophes comme Eleonore Stump, Norman Kretzmann et Brian Davies montrent la pertinence de la métaphysique thomiste pour les débats contemporains.

Edward Feser développe une défense analytique de la philosophie naturelle thomiste, arguant que les preuves de l’existence de Dieu conservent leur validité une fois correctement comprises. Cette approche cherche à montrer que le thomisme peut contribuer aux discussions contemporaines en métaphysique, philosophie de l’esprit et éthique.

Critiques et débats

Le néothomisme fait face à plusieurs objections majeures. Les philosophes modernes critiquent son caractère supposément dépassé et son incapacité à intégrer véritablement les acquis de la science moderne. La métaphysique des substances et des accidents semble incompatible avec la physique contemporaine.

Les théologiens progressistes reprochent au néothomisme son intellectualisme et sa tendance à réduire la révélation à un système conceptuel. La théologie narrative et contextuelle critique l’approche systématique thomiste comme inadaptée à la sensibilité contemporaine.

Certains historiens de la philosophie médiévale contestent l’interprétation néothomiste de saint Thomas, arguant qu’elle projette sur le Docteur angélique des préoccupations modernes qui lui sont étrangères.

Influence et héritage

Le néothomisme influence profondément la doctrine sociale de l’Église, de Rerum novarum (1891) à Centesimus annus (1991). Les concepts de bien commun, de subsidiarité et de destination universelle des biens trouvent leurs racines dans la philosophie politique thomiste renouvelée.

En philosophie, le néothomisme contribue au renouveau contemporain de la métaphysique et de l’éthique des vertus. Des philosophes comme Alasdair MacIntyre puisent dans l’héritage thomiste pour critiquer la modernité morale et politique.

Conclusion

Le néothomisme représente l’une des tentatives les plus ambitieuses de renouvellement d’une tradition philosophique classique pour répondre aux défis de la modernité. En montrant la fécondité continue de la synthèse thomiste, il témoigne de la vitalité des grandes traditions philosophiques et de leur capacité d’adaptation créative. Bien qu’il demeure controversé, le néothomisme continue d’offrir une alternative substantielle aux paradigmes dominants de la philosophie contemporaine, particulièrement en métaphysique, anthropologie et philosophie politique.

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