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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. Usage en philosophie
    1. Les origines platoniciennes
    2. La réhabilitation aristotélicienne
    3. Développements néoplatoniciens
    4. Renaissance et théorie de l’art
    5. L’esthétique classique française
    6. Critique moderne de la mimèsis
    7. Hegel et la fin de l’art imitatif
    8. Critiques contemporaines
    9. Approches anthropologiques
    10. Perspectives contemporaines
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Mimèsis

  • 02/10/2025
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Définition et étymologie

La mimèsis désigne l’imitation, la représentation ou la reproduction d’un modèle. Ce concept fondamental de la philosophie et de l’esthétique antiques englobe aussi bien l’imitation de la nature par l’art que l’imitation des comportements humains exemplaires dans la formation morale et sociale. La mimèsis constitue un principe d’explication de la création artistique, de l’apprentissage humain et de la connaissance en général.

Le terme provient du grec « mimesis » (μίμησις), dérivé du verbe « mimeisthai » (μιμεῖσθαι) signifiant « imiter ». Cette racine est également présente dans « mimos » (μῖμος), le mime théâtral, et « mimetes » (μιμητής), l’imitateur. L’étymologie révèle l’origine gestuelle et théâtrale du concept, lié aux pratiques d’imitation corporelle et vocale qui caractérisent les arts de la représentation.

La mimèsis ne se réduit pas à la simple copie mécanique, mais implique une activité créatrice qui sélectionne, interprète et transforme son modèle. Elle pose la question fondamentale du rapport entre original et copie, réalité et représentation, nature et artifice, qui traverse toute l’histoire de la philosophie occidentale.

Usage en philosophie

Les origines platoniciennes

Platon (428-348 av. J.-C.) développe la première théorie philosophique systématique de la mimèsis, mais dans une perspective critique. Dans la « République », il établit une hiérarchie ontologique : les Idées éternelles constituent la réalité vraie, les objets sensibles en sont des copies imparfaites, et les œuvres d’art ne sont que des « copies de copies », donc des illusions au troisième degré de la réalité.

Cette critique platonicienne de la mimèsis artistique repose sur plusieurs arguments. D’abord, l’art éloigne de la vérité en multipliant les apparences trompeuses. Ensuite, il corrompt l’âme en stimulant les passions irrationnelles plutôt que la contemplation intellectuelle. Enfin, l’artiste ne possède pas la connaissance technique des objets qu’il représente, contrairement à l’artisan qui fabrique des objets utiles.

Cependant, Platon admet certaines formes positives de mimèsis. Dans les « Lois », il valorise l’imitation des modèles vertueux pour l’éducation morale. La mimèsis devient ainsi ambivalente : dangereuse quand elle reproduit les apparences sensibles, bénéfique quand elle transmet des valeurs éthiques et politiques.

La réhabilitation aristotélicienne

Aristote (384-322 av. J.-C.) opère une réhabilitation décisive de la mimèsis dans sa « Poétique ». Contrairement à Platon, il voit dans l’imitation un instinct naturel fondamental de l’humanité : « L’imitation est naturelle aux hommes dès l’enfance et ils diffèrent des autres animaux en ce qu’ils sont très aptes à l’imitation et acquièrent leurs premières connaissances par l’imitation. »

Pour Aristote, la mimèsis artistique ne copie pas simplement les apparences, mais révèle l’universel à travers le particulier. La tragédie imite non pas ce qui est arrivé historiquement, mais ce qui pourrait arriver selon la vraisemblance et la nécessité. Elle est donc « plus philosophique que l’histoire » car elle exprime des vérités générales sur la condition humaine.

Aristote distingue différents modes de mimèsis selon l’objet imité (hommes supérieurs, inférieurs ou semblables à nous), les moyens (rythme, langage, harmonie) et la manière (narrative ou dramatique). Cette typologie influence durablement la théorie littéraire et artistique occidentale.

Développements néoplatoniciens

Plotin (205-270) transforme la conception de la mimèsis en l’orientant vers la transcendance. Dans ses « Ennéades », il soutient que l’art ne se contente pas d’imiter les objets sensibles, mais peut remonter directement aux Idées dont ces objets procèdent. L’artiste inspiré accède intuitivement aux formes intelligibles et les manifeste dans la matière.

Cette conception « anagogique » de la mimèsis influence profondément l’esthétique chrétienne médiévale. L’art devient un moyen d’élévation spirituelle qui conduit l’âme vers Dieu à travers la beauté sensible. La mimèsis artistique participe ainsi à l’économie du salut.

Renaissance et théorie de l’art

La Renaissance redécouvre et développe la théorie aristotélicienne de la mimèsis. Leon Battista Alberti (1404-1472) dans ses traités sur la peinture et la sculpture théorise l’imitation de la nature selon les principes mathématiques de la perspective. L’art doit « imiter la nature » mais en la perfectionnant selon les règles de la beauté idéale.

Cette période voit naître le débat entre imitation des anciens et imitation de la nature. Faut-il imiter les maîtres du passé ou directement la réalité naturelle ? Cette « querelle des anciens et des modernes » structure la réflexion esthétique jusqu’au XVIIIe siècle.

L’esthétique classique française

Nicolas Boileau (1636-1711) dans son « Art poétique » systématise la doctrine classique de l’imitation : « Il n’est point de serpent ni de monstre odieux / Qui par l’art imité ne puisse plaire aux yeux. » L’art transforme la réalité brute en beauté par les règles de la vraisemblance, de la bienséance et des unités dramatiques.

Cette esthétique normative conçoit la mimèsis comme soumission à des règles rationnelles qui perfectionnent la nature. Elle influence profondément la création artistique européenne et suscite des résistances qui préparent l’émergence de l’esthétique moderne.

Critique moderne de la mimèsis

Le XVIIIe siècle voit naître une critique de la conception traditionnelle de la mimèsis. Johann Georg Hamann (1730-1788) et Johann Gottfried Herder (1744-1803) valorisent l’originalité créatrice contre l’imitation des modèles établis. Le génie devient la faculté de créer du nouveau plutôt que de reproduire l’existant.

Emmanuel Kant (1724-1804) dans sa « Critique de la faculté de juger » révolutionne l’esthétique en fondant le beau sur le jugement subjectif plutôt que sur l’imitation objective. Le génie est « la capacité naturelle par laquelle la nature donne ses règles à l’art », dépassant ainsi la simple mimèsis.

Hegel et la fin de l’art imitatif

Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) développe une philosophie de l’art qui annonce le dépassement de la mimèsis traditionnelle. Dans son « Esthétique », il montre que l’art a historiquement évolué d’une phase symbolique (inadéquation forme/contenu) à une phase classique (équilibre parfait) puis romantique (spiritualisation progressive).

Pour Hegel, l’art moderne ne peut plus se contenter d’imiter la nature car l’esprit a pris conscience de sa supériorité sur le sensible. L’art contemporain doit exprimer l’intériorité spirituelle plutôt que reproduire les apparences extérieures.

Critiques contemporaines

Walter Benjamin (1892-1940) dans « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » analyse comment les techniques modernes de reproduction (photographie, cinéma) transforment radicalement la nature de la mimèsis artistique. L' »aura » de l’œuvre unique disparaît au profit de la reproductibilité de masse.

Theodor Adorno (1903-1969) développe une esthétique critique qui dénonce la « mimèsis » de l’industrie culturelle comme pseudo-imitation qui manipule et aliène les consciences. Il oppose à cette fausse mimèsis l’art authentique qui révèle les contradictions sociales par sa forme même.

Approches anthropologiques

René Girard (1923-2015) renouvelle la compréhension de la mimèsis en en faisant le fondement de l’anthropologie humaine. Selon sa théorie du « désir mimétique », les humains désirent toujours en imitant le désir d’autrui, ce qui génère rivalité et violence. La mimèsis devient ainsi le principe explicatif de la culture et du religieux.

Cette approche révèle les dimensions psychologiques et sociales de la mimèsis au-delà de son usage esthétique traditionnel. Elle connecte imitation artistique et imitation comportementale dans une théorie unifiée de la culture humaine.

Perspectives contemporaines

La philosophie contemporaine redécouvre l’importance de la mimèsis à travers les sciences cognitives et l’étude de l’apprentissage. Les neurones miroirs révèlent les bases neurobiologiques de l’imitation, confirmant l’intuition aristotélicienne sur son caractère naturel.

Les théories postmodernes interrogent la possibilité même de l’originalité créatrice dans un monde saturé d’images et de références. La mimèsis contemporaine devient souvent pastiche, citation ou détournement, questionnant les frontières entre création et reproduction.

La mimèsis demeure ainsi un concept central pour penser les rapports entre art et réalité, apprentissage et création, nature et culture, révélant la complexité des processus par lesquels l’humanité se constitue à travers l’imitation et la transformation de ses modèles.

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