Définition et étymologie
La méthode désigne l’ensemble ordonné de principes, de règles et de procédures rationnelles permettant d’atteindre un objectif déterminé, particulièrement dans la recherche de la vérité ou la résolution de problèmes. En philosophie, la méthode constitue la voie systématique par laquelle l’esprit humain peut parvenir à une connaissance fiable et certaine.
Le terme « méthode » provient du grec ancien « methodos » (μέθοδος), composé de « meta » (après, au-delà) et « hodos » (chemin, voie). Littéralement, la méthode désigne donc le « chemin que l’on suit » ou la « poursuite d’un chemin ». Cette étymologie révèle la conception de la méthode comme itinéraire intellectuel structuré, par opposition à l’errance ou à l’improvisation.
La méthode dans la tradition philosophique
L’héritage antique
Chez Platon (428-348 av. J.-C.), la méthode dialectique constitue l’art de la division et de la synthèse des idées. Dans le « Phèdre », il distingue la méthode de division (diairesis), qui décompose les concepts généraux en espèces particulières, et la méthode de rassemblement (synagôgê), qui unifie les éléments dispersés sous une idée commune. Cette approche vise à s’élever des apparences sensibles vers la contemplation des Idées éternelles.
Aristote (384-322 av. J.-C.) systématise la méthode logique dans ses « Analytiques ». Il établit les règles du syllogisme et distingue la démonstration (apodeixis) de la dialectique. Sa méthode procède par induction (epagôgê) pour établir les principes généraux, puis par déduction pour en tirer les conséquences particulières. Cette double démarche influence durablement la pensée occidentale.
La révolution cartésienne
René Descartes (1596-1650) révolutionne la conception de la méthode avec le « Discours de la méthode » (1637). Inspiré par la certitude mathématique, il formule quatre règles fondamentales : l’évidence (ne recevoir aucune chose pour vraie sans la connaître évidemment), l’analyse (diviser les difficultés en parcelles), la synthèse (conduire par ordre ses pensées) et le dénombrement (faire des révisions générales).
Le doute méthodique cartésien constitue l’instrument privilégié de cette méthode. En doutant systématiquement de tout ce qui peut l’être, Descartes cherche un fondement indubitable : le cogito ergo sum. Cette méthode hyperbolique vise à reconstruire l’édifice du savoir sur des bases inébranlables.
L’empirisme méthodologique
Francis Bacon (1561-1626) développe une méthode inductive dans le « Novum Organum » (1620), s’opposant à la déduction scolastique. Sa méthode expérimentale procède par élimination progressive des hypothèses fausses grâce à l’observation contrôlée des phénomènes naturels. Bacon préconise l’usage de « tables » (de présence, d’absence, de degrés) pour découvrir les « formes » ou lois naturelles.
John Stuart Mill (1806-1873) perfectionne cette approche dans son « Système de logique » (1843), formulant les célèbres « méthodes de Mill » : concordance, différence, variations concomitantes et résidus. Ces méthodes visent à établir des relations causales rigoureuses en isolant les variables pertinentes.
La méthode phénoménologique
Edmund Husserl (1859-1938) inaugure une méthode radicalement nouvelle avec la phénoménologie. La réduction phénoménologique (epochê) suspend le jugement sur l’existence du monde pour se concentrer sur les structures pures de la conscience intentionnelle. Cette méthode descriptive vise à saisir les essences (eidos) des phénomènes tels qu’ils apparaissent à la conscience, avant toute construction théorique.
Martin Heidegger (1889-1976) radicalise cette approche en développant une méthode herméneutique dans « Être et Temps » (1927). Son analyse existentiale du Dasein (être-là) procède par destruction de l’ontologie traditionnelle pour révéler l’être authentique dissimulé sous les préoccupations quotidiennes.
Méthodes analytiques contemporaines
La philosophie analytique développe des méthodes formelles rigoureuses. Gottlob Frege (1848-1925) révolutionne la logique avec son calcul des prédicats, permettant l’analyse précise des structures linguistiques. Bertrand Russell (1872-1970) et Alfred North Whitehead (1861-1947) tentent de réduire les mathématiques à la logique dans les « Principia Mathematica ».
Ludwig Wittgenstein (1889-1951) propose deux méthodes distinctes : l’analyse logique du langage dans le « Tractus » (1921), puis l’étude des jeux de langage dans les « Recherches philosophiques » (1953). Cette seconde méthode examine les usages ordinaires du langage pour dissoudre les problèmes philosophiques traditionnels.
Méthodes critiques modernes
Jürgen Habermas (1929-) développe une méthode communicationnelle fondée sur l’éthique de la discussion. Sa théorie de l’agir communicationnel vise à établir les conditions de validité universelle du discours rationnel, intégrant dimensions pragmatiques et normatives.
Jacques Derrida (1930-2004) élabore la méthode déconstructive, qui révèle les oppositions conceptuelles implicites structurant les textes philosophiques. Cette approche critique montre comment toute pensée porte en elle ses propres limites et contradictions.
Enjeux contemporains
Les débats méthodologiques contemporains questionnent la possibilité même d’une méthode universelle. Paul Feyerabend (1924-1994) défend un « anarchisme méthodologique » dans « Contre la méthode » (1975), arguant que le progrès scientifique résulte de la multiplication des approches plutôt que de l’application rigide de règles fixes.
La méthode demeure néanmoins centrale en philosophie, évoluant selon les domaines d’investigation et les exigences de rigueur propres à chaque époque.