Définition et étymologie
Le langage désigne la capacité proprement humaine de communiquer au moyen d’un système de signes vocaux, gestuels ou graphiques. Le terme provient du latin lingua, signifiant « langue », et du suffixe -age indiquant l’action ou le résultat d’une action. Cette faculté englobe non seulement la production et la compréhension de messages complexes, mais aussi la capacité d’articuler la pensée et de structurer l’expérience du monde.
Le langage se distingue de la simple communication animale par plusieurs caractéristiques fondamentales : l’arbitraire du signe (le lien entre le signifiant et le signifié n’est pas naturel), la double articulation (combinaison de phonèmes en morphèmes, puis en phrases), la créativité (possibilité de produire et comprendre des énoncés inédits), et la réflexivité (capacité de parler du langage lui-même).
Le langage en philosophie
L’origine du langage et la condition humaine
La question de l’origine du langage a fasciné les philosophes depuis l’Antiquité. Pour Aristote, l’homme est un « animal politique » (zoon politikon) précisément parce qu’il possède le logos, terme grec désignant à la fois la raison et la parole. Cette conception établit un lien indissociable entre langage, rationalité et sociabilité humaine.
Jean-Jacques Rousseau, dans son Essai sur l’origine des langues, propose une genèse du langage liée aux passions plutôt qu’aux besoins matériels. Il distingue les langues du Nord, nées de la nécessité et donc plus articulées, des langues du Midi, nées de la passion et donc plus mélodieuses. Cette réflexion s’inscrit dans sa conception plus large de l’évolution de l’humanité depuis l’état de nature.
Langage et pensée
La relation entre langage et pensée constitue l’une des problématiques centrales de la philosophie du langage. Deux positions principales s’affrontent : l’une considère que la pensée précède le langage et s’exprime à travers lui, l’autre soutient que le langage structure et conditionne la pensée.
Wilhelm von Humboldt développe l’idée que chaque langue constitue une « vision du monde » (Weltanschauung) particulière. Pour lui, le langage n’est pas seulement un instrument de communication, mais une forme d’activité (Energeia) qui façonne la compréhension du réel. Cette conception influencera profondément l’hypothèse Sapir-Whorf en linguistique.
Martin Heidegger radicalise cette approche en affirmant que « le langage est la maison de l’être ». Dans sa pensée, l’être humain n’utilise pas le langage comme un outil externe, mais habite dans le langage qui révèle et dissimule simultanément l’être. Cette conception phénoménologique du langage le place au cœur de l’existence authentique.
Le tournant linguistique
Le XXe siècle marque un « tournant linguistique » en philosophie, particulièrement dans la tradition analytique. Ludwig Wittgenstein joue un rôle central dans cette évolution. Dans le Tractus logico-philosophicus, il propose une théorie picturale du langage où les propositions « dépeignent » la réalité. Plus tard, dans les Investigations philosophiques, il abandonne cette conception au profit de l’idée de « jeux de langage », montrant que la signification des mots dépend de leur usage dans des contextes spécifiques.
John Austin développe la théorie des actes de parole, distinguant les énoncés constatifs (qui décrivent) des énoncés performatifs (qui accomplissent une action par le fait même de leur énonciation). Cette approche pragmatique du langage révèle sa dimension active et transformatrice du réel.
Langage et pouvoir
Michel Foucault analyse les rapports entre langage, savoir et pouvoir. Il montre comment les discours ne sont pas neutres mais constituent des pratiques qui forment les objets dont ils parlent. Le langage devient ainsi un instrument de pouvoir qui structure les relations sociales et définit ce qui peut être dit, pensé et vécu dans une époque donnée.
Jacques Derrida, avec la déconstruction, remet en question la métaphysique de la présence qui privilégie la parole sur l’écriture. Il montre que l’écriture n’est pas une simple représentation de la parole, mais révèle la structure différentielle de tout langage, où le sens naît de l’écart et du report (différance).
Langage et intersubjectivité
Jürgen Habermas place le langage au centre de sa théorie de l’agir communicationnel. Pour lui, l’usage du langage orienté vers l’intercompréhension constitue le fondement de la rationalité et de la démocratie. Cette conception fait du langage le medium par excellence de la coordination sociale et de la recherche du consensus.
Emmanuel Levinas, quant à lui, pense le langage comme rencontre éthique avec l’Autre. Le visage d’autrui, qui « parle » avant même de proférer des mots, fonde la responsabilité éthique infinie et révèle la dimension proprement humaine du langage au-delà de sa fonction communicative.
Le langage demeure ainsi un concept central de la philosophie contemporaine, interrogeant les fondements de la condition humaine, de la connaissance et de l’éthique.