Définition et étymologie
La loi désigne une règle ou un ensemble de règles obligatoires établies par une autorité souveraine et sanctionnées par la force publique. Le terme provient du latin lex, legis, dérivé du verbe legere signifiant « choisir », « cueillir » ou « lire ». Cette étymologie suggère que la loi résulte d’un choix délibéré et qu’elle doit être « lue », c’est-à-dire connue et comprise.
La notion de loi revêt plusieurs significations selon les contextes : loi positive (règle juridique édictée par l’État), loi naturelle (principe universel de la nature ou de la morale), loi divine (commandement divin), et loi scientifique (régularité observée dans les phénomènes naturels). Cette polysémie fait de la loi un concept central qui traverse tous les domaines de la connaissance et de l’action humaine.
La loi en philosophie
Les fondements antiques
Chez les Grecs, la distinction entre nomos (loi conventionnelle de la cité) et physis (nature) structure la réflexion politique et morale. Les sophistes, notamment Protagoras, soutiennent le caractère conventionnel des lois humaines, tandis que Socrate et Platon défendent l’existence de principes de justice universels et éternels.
Dans les Lois, Platon développe une conception de la législation idéale où les lois doivent éduquer les citoyens à la vertu. Pour lui, les bonnes lois imitent l’ordre cosmique et participent de l’Idée de Justice. Aristote, dans la Politique, distingue l’équité (epieikeia) de la justice légale, reconnaissant que la loi générale ne peut prévoir tous les cas particuliers.
Le droit naturel classique
Les Stoïciens développent la conception d’une loi naturelle universelle. Cicéron, dans De Republica, affirme qu’il existe « une loi vraie, c’est la droite raison, conforme à la nature, répandue chez tous les hommes ». Cette lex naturalis fonde l’égalité fondamentale des êtres humains et légitime la résistance aux lois injustes.
Saint Thomas d’Aquin, dans la Somme théologique, élabore une synthèse magistrale distinguant quatre types de lois : la loi éternelle (plan divin de la création), la loi naturelle (participation de la créature rationnelle à la loi éternelle), la loi humaine (détermination prudentielle de la loi naturelle), et la loi divine positive (révélation). Cette hiérarchie thomiste influence durablement la pensée juridique occidentale.
Le contractualisme moderne
Thomas Hobbes, dans le Léviathan, révolutionne la conception de la loi en la fondant sur la convention. Dans l’état de nature, où règne la « guerre de tous contre tous », les individus concluent un contrat social en transférant leurs droits à un souverain absolu. Les lois civiles tirent leur autorité non de leur conformité à un ordre naturel, mais de la volonté du souverain qui garantit la paix.
John Locke, dans le Traité du gouvernement civil, tempère cette vision en maintenant l’existence de droits naturels inaliénables (vie, liberté, propriété) que le pouvoir politique doit respecter. La loi positive ne peut violer ces droits fondamentaux sans perdre sa légitimité.
Jean-Jacques Rousseau, dans Du contrat social, propose une solution originale : la loi exprime la « volonté générale » du peuple souverain. « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté », affirme-t-il, résolvant ainsi l’antinomie entre liberté et contrainte légale.
L’autonomie kantienne
Emmanuel Kant développe une conception autonome de la loi morale dans la Critique de la raison pratique. L’impératif catégorique – « Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle » – exprime l’auto-législation de la raison pratique. Cette loi morale, universelle et nécessaire, fonde la dignité de la personne humaine.
Dans la Métaphysique des mœurs, Kant distingue la légalité (conformité extérieure à la loi) de la moralité (obéissance par respect du devoir). Cette distinction permet de penser l’articulation entre droit et morale sans les confondre.
L’École historique et le positivisme juridique
Friedrich Carl von Savigny et l’École historique du droit s’opposent à l’universalisme des Lumières en soutenant que le droit naît spontanément de l’esprit du peuple (Volksgeist). Les lois ne peuvent être artificiellement transplantées d’une culture à l’autre mais doivent s’enraciner dans les traditions nationales.
Hans Kelsen, dans la Théorie pure du droit, développe un positivisme juridique radical. Pour lui, la validité d’une norme juridique ne dépend pas de sa valeur morale mais uniquement de sa conformité à la norme supérieure qui l’habilite. Cette hiérarchie des normes, couronnée par la « norme fondamentale », garantit l’unité et la cohérence de l’ordre juridique.
Loi et pouvoir
Michel Foucault analyse les transformations historiques du pouvoir et du droit. Il montre comment les sociétés disciplinaires modernes déplacent l’exercice du pouvoir de la loi spectaculaire (supplice public) vers des mécanismes diffus de normalisation. Le pouvoir ne se contente plus d’interdire mais produit des savoirs et des subjectivités.
Carl Schmitt, dans Théologie politique, affirme que « est souverain celui qui décide de l’exception ». Pour lui, le droit normal présuppose toujours la possibilité de suspendre l’ordre juridique dans les situations exceptionnelles. Cette critique révèle la dimension politique irréductible du droit.
Justice et désobéissance
Henry David Thoreau, dans La Désobéissance civile, légitime la résistance aux lois injustes : « Quand l’injustice est une loi, la justice c’est la désobéissance ». Cette tradition de la désobéissance civile, illustrée par Gandhi et Martin Luther King, repose sur l’appel à une loi morale supérieure.
John Rawls, dans Théorie de la justice, développe une conception procédurale de la justice. Derrière un « voile d’ignorance », des individus rationnels choisiraient des principes de justice équitables. Cette méthode permet de critiquer les lois existantes au nom de principes que tous pourraient rationnellement accepter.
Droit et reconnaissance
Axel Honneth renouvelle la philosophie du droit en la fondant sur la théorie de la reconnaissance. Les droits ne sont pas seulement des protections négatives mais des conditions positives de réalisation de soi. Cette approche permet de repenser l’évolution historique du droit comme un processus d’élargissement progressif de la reconnaissance.
Jürgen Habermas, dans Droit et démocratie, articule légitimité démocratique et droits fondamentaux. Les lois tirent leur validité de procédures démocratiques qui présupposent elles-mêmes le respect de droits fondamentaux, créant une co-originarité entre autonomie privée et autonomie publique.
La loi demeure ainsi un concept fondamental qui interroge les rapports entre nature et convention, liberté et contrainte, universel et particulier, au cœur des enjeux politiques et éthiques contemporains.