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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. La légitimité en philosophie
    1. Les fondements antiques
    2. La légitimité théologique médiévale
    3. Le contractualisme moderne
    4. Rousseau et la volonté générale
    5. Les typologies webériennes
    6. Les critiques contemporaines
    7. Habermas et la légitimité communicationnelle
    8. Rawls et la justification publique
    9. Les défis contemporains
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Légitimité

  • 30/09/2025
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Définition et étymologie

La légitimité désigne le caractère de ce qui est fondé en droit, en justice ou en raison, et qui mérite donc d’être reconnu et accepté. Le terme provient du latin legitimitas, dérivé de legitimus signifiant « conforme à la loi », lui-même issu de lex, legis (loi). Cette étymologie révèle le lien originel entre légitimité et conformité légale, mais le concept moderne dépasse cette dimension purement juridique.

La légitimité se distingue de la légalité : une autorité peut être légale (conforme au droit positif) sans être légitime (moralement justifiée), et inversement. Cette distinction centrale de la philosophie politique moderne interroge les fondements du pouvoir et de l’obéissance. La légitimité implique une adhésion volontaire des sujets qui reconnaissent le bien-fondé de l’autorité exercée sur eux.

La légitimité en philosophie

Les fondements antiques

Platon, dans la République, fonde la légitimité politique sur la justice et la compétence. Le gouvernement légitime est celui des philosophes-rois qui, connaissant l’Idée du Bien, peuvent diriger la cité selon la justice. Cette conception méritocratique fait de la sagesse et de la vertu les critères de la légitimité politique, s’opposant à la démocratie jugée gouvernement des incompétents.

Aristote, dans la Politique, développe une typologie des régimes politiques selon leur finalité : les constitutions droites (royauté, aristocratie, politie) visent l’intérêt commun et sont légitimes, tandis que les constitutions déviées (tyrannie, oligarchie, démocratie démagogique) poursuivent l’intérêt particulier et sont illégitimes. Cette distinction entre gouvernement pour soi et gouvernement pour autrui devient classique.

Cicéron, influencé par le stoïcisme, fonde la légitimité sur la conformité au droit naturel. Dans De Republica, il affirme qu’une loi injuste n’est pas une vraie loi (lex iniusta non est lex), établissant un critère de légitimité supérieur au droit positif. Cette conception jusnaturaliste influence durablement la pensée occidentale.

La légitimité théologique médiévale

Saint Augustin, dans la Cité de Dieu, distingue la cité terrestre de la cité céleste. Le pouvoir temporel tire sa légitimité de Dieu mais reste marqué par le péché originel. Cette théologie politique fonde la légitimité sur l’origine divine du pouvoir tout en limitant ses prétentions face à l’autorité spirituelle.

Saint Thomas d’Aquin systématise la doctrine de la légitimité dans la Somme théologique. Pour lui, tout pouvoir vient de Dieu (omnis potestas a Deo), mais s’exerce légitimement seulement s’il respecte la loi naturelle et vise le bien commun. Cette théorie justifie la résistance aux tyrans qui violent les fins du pouvoir politique.

La querelle du sacerdoce et de l’empire révèle les tensions entre légitimité spirituelle et temporelle. Boniface VIII, dans la bulle Unam Sanctam (1302), affirme la supériorité du pouvoir papal, tandis que les légistes royaux développent une théorie de la souveraineté temporelle autonome.

Le contractualisme moderne

Thomas Hobbes révolutionne la conception de la légitimité en la fondant sur le consentement dans le Léviathan. Face à l’état de nature où règne la « guerre de tous contre tous », les individus transfèrent leurs droits à un souverain absolu pour assurer leur sécurité. Cette théorie contractualiste fait du consentement originel le fondement de la légitimité politique.

La légitimité hobbesienne repose sur l’efficacité : le souverain est légitime tant qu’il protège effectivement ses sujets. Cette conception utilitariste rompt avec les théories traditionnelles fondées sur la justice ou l’origine divine du pouvoir, inaugurant une approche moderne de la légitimité.

John Locke tempère cette vision dans les Traités du gouvernement civil. Le consentement ne peut créer un pouvoir absolu car certains droits naturels (vie, liberté, propriété) demeurent inaliénables. La légitimité lockienne implique la limitation du pouvoir et le droit de résistance si le gouvernement viole sa mission de protection des droits fondamentaux.

Rousseau et la volonté générale

Jean-Jacques Rousseau radicalise le contractualisme dans Du contrat social. La légitimité ne peut naître que de la volonté générale du peuple souverain. « Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi », affirme-t-il, établissant un critère démocratique strict de la légitimité.

La théorie rousseauiste distingue volonté générale (orientée vers l’intérêt commun) et volonté de tous (somme des intérêts particuliers). Cette distinction révèle la difficulté de déterminer concrètement la volonté générale et ouvre la voie aux interprétations totalitaires de la démocratie.

L’aliénation totale de chaque individu à la communauté résout le problème de l’obéissance : « Chacun se donnant à tous ne se donne à personne », et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite devient liberté. Cette solution géniale mais dangereuse influence profondément les révolutions modernes.

Les typologies webériennes

Max Weber développe une typologie classique des formes de légitimité dans Économie et société. Il distingue la légitimité traditionnelle (fondée sur la coutume), charismatique (fondée sur les qualités exceptionnelles du chef), et légale-rationnelle (fondée sur la conformité aux règles établies rationnellement).

Cette analyse sociologique révèle que la légitimité repose toujours sur la croyance des dominés en sa validité. Weber montre ainsi le caractère subjectif et contingent de la légitimité, qui n’existe que par la reconnaissance qu’elle obtient, indépendamment de sa justification objective.

La légitimité légale-rationnelle, caractéristique de la modernité, fonde l’obéissance sur la compétence technique et le respect des procédures. Cette bureaucratisation du pouvoir transforme la nature de la légitimité en la détachant des personnes pour l’attacher aux fonctions et aux règles.

Les critiques contemporaines

Carl Schmitt critique le libéralisme parlementaire en montrant son incapacité à fonder une légitimité véritable. Dans Théologie politique, il affirme que « est souverain celui qui décide de l’exception », révélant que la légitimité ultime réside dans la capacité de décision dans les situations critiques où les normes ordinaires sont suspendues.

La critique schmittienne révèle la dimension existentielle et décisionniste de la légitimité, irréductible aux procédures rationnelles. Cette analyse influence les théories postmodernes qui soulignent la violence fondatrice de tout ordre politique.

Hannah Arendt développe une conception républicaine de la légitimité fondée sur l’action concertée dans Du mensonge à la violence. Pour elle, le pouvoir légitime naît de la capacité des citoyens d’agir ensemble dans l’espace public, distinct de la violence qui détruit le politique.

Habermas et la légitimité communicationnelle

Jürgen Habermas renouvelle la théorie de la légitimité en la fondant sur la raison communicationnelle dans Droit et démocratie. La légitimité procédurale naît de délibérations publiques où les citoyens examinent argumentativement les prétentions à la validité des normes proposées.

Cette conception discursive dépasse l’opposition entre légitimité substantielle (fondée sur des valeurs) et légitimité procédurale (fondée sur des règles) en montrant que les procédures délibératives peuvent générer des contenus rationnellement motivés. La légitimité devient ainsi le résultat d’un processus d’apprentissage collectif.

Rawls et la justification publique

John Rawls développe une théorie de la légitimité libérale dans Libéralisme politique. Face au pluralisme des doctrines compréhensives, la légitimité ne peut reposer que sur un « consensus par recoupement » autour de principes politiques que tous peuvent accepter pour des raisons différentes.

La contrainte de « raison publique » exige que les décisions politiques fondamentales soient justifiables par des arguments que tous les citoyens raisonnables peuvent accepter, indépendamment de leurs conceptions métaphysiques ou religieuses particulières. Cette approche libérale cherche à concilier légitimité et pluralisme.

Les défis contemporains

La mondialisation pose de nouveaux défis à la légitimité en créant un décalage entre l’espace des décisions (global) et celui de la légitimation (national). Les institutions supranationales (Union européenne, organisations internationales) peinent à développer une légitimité démocratique effective.

Les transformations technologiques (intelligence artificielle, algorithmes de décision) questionnent les formes traditionnelles de légitimité fondées sur l’intentionnalité humaine. Comment légitimer des décisions prises par des systèmes automatisés qui échappent au contrôle démocratique direct ?

L’écologie politique renouvelle la question de la légitimité en introduisant les générations futures et le monde non-humain comme porteurs de droits. Cette extension du cercle de considération morale défie les conceptions anthropocentriques traditionnelles de la légitimité démocratique.

La légitimité demeure ainsi un concept central et problématique de la philosophie politique, au carrefour des questions de justice, de démocratie et d’autorité, constamment redéfini par les transformations sociales et technologiques contemporaines.

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