Gottfried Wilhelm Leibniz naît le 2 juillet 1646 à Leipzig, dans la Saxe protestante ravagée par la guerre de Trente Ans. Son père, Friedrich Leibniz, professeur de philosophie morale à l’université locale, meurt quand l’enfant n’a que six ans, lui léguant une vaste bibliothèque qui devient son université privée. Sa mère, Catharina Schmuck, fille de juriste, veille à son éducation avec une sollicitude qui compense cette perte précoce. Cette enfance studieuse, passée parmi les livres paternels, éveille chez Leibniz une curiosité encyclopédique qui ne se démentira jamais.
Autodidacte précoce, il apprend seul le latin à huit ans et découvre les auteurs antiques dans la bibliothèque familiale. À douze ans, il maîtrise le grec et compose des vers latins d’une élégance remarquable. Entré à l’université de Leipzig en 1661, il y étudie la philosophie aristotélico-scolastique tout en découvrant les modernes : Descartes, Hobbes, Galilée. Cette formation éclectique lui permet de concilier tradition et innovation, synthèse qui caractérise toute sa pensée.
Bachelier en philosophie à dix-sept ans, maître ès arts à dix-huit, il soutient en 1666 une thèse de doctorat en droit à Altdorf (Nuremberg) qui lui vaut les félicitations unanimes du jury et l’offre immédiate d’une chaire professorale qu’il décline. Cette précocité exceptionnelle révèle un esprit systématique capable d’embrasser tous les domaines du savoir. Dès cette époque, il conçoit le projet grandiose d’une « science générale » qui unifierait toutes les connaissances humaines.
Entré au service de l’archevêque-électeur de Mayence, Johann Philipp von Schönborn, en 1667, Leibniz découvre la diplomatie et la politique européennes. Cette expérience pratique complète sa formation théorique et lui révèle l’importance de l’action dans l’histoire humaine. Chargé de diverses missions diplomatiques, il développe une vision pacifiste de l’Europe fondée sur l’équilibre des puissances et la coopération intellectuelle entre les nations.
Son séjour parisien (1672-1676), officiellement destiné à détourner Louis XIV de ses ambitions rhénanes vers une croisade en Égypte, se révèle décisif pour sa formation scientifique. Il fréquente les savants de l’Académie royale des sciences, notamment Christiaan Huygens qui l’initie aux mathématiques supérieures. C’est à Paris qu’il invente, indépendamment de Newton, le calcul différentiel et intégral, révolution mathématique qui permet l’essor de la physique moderne.
Sa brève mission à Londres en 1673 lui fait découvrir la Royal Society et les travaux de Newton. Cette rencontre avec la science anglaise nourrit sa réflexion sur les fondements de la mécanique et l’inspire sa critique de la physique cartésienne. Contre Descartes, qui réduit la matière à l’étendue géométrique, Leibniz réhabilite la notion de force comme principe dynamique de la réalité physique.
Nommé bibliothécaire du duc de Brunswick-Lunebourg en 1676, Leibniz s’installe à Hanovre où il passe les quarante dernières années de sa vie. Cette charge, apparemment modeste, lui assure l’indépendance matérielle et l’accès aux archives européennes nécessaires à ses recherches historiques. Chargé d’écrire l’histoire de la maison de Brunswick, il entreprend de gigantesques investigations généalogiques qui l’amènent à voyager à travers l’Europe et à correspondre avec les plus grands érudits de son temps.
Sa philosophie atteint sa maturité avec la « Monadologie » (1714), système métaphysique d’une originalité saisissante. L’univers se compose d’une infinité de « monades », substances simples et immatérielles qui constituent la trame ultime du réel. Chaque monade est un miroir vivant de l’univers qui reflète la totalité depuis son point de vue particulier. Cette vision pluraliste réconcilie l’unité cosmique et la diversité phénoménale dans une harmonie préétablie par Dieu.
Son théodicée, exposée dans les « Essais de théodicée » (1710), résout le problème du mal par l’optimisme métaphysique. Dieu, être parfait, crée nécessairement le meilleur des mondes possibles. Le mal physique et moral, apparemment contradictoire avec la bonté divine, s’explique par les limites inhérentes à toute créature finie. Cette justification rationnelle de la Providence influence durablement la philosophie moderne, même si Voltaire la ridiculise dans « Candide ».
Mathématicien génial, Leibniz révolutionne le calcul par ses notations algébriques encore utilisées aujourd’hui. Sa découverte du calcul infinitésimal, polémique avec Newton mise à part, ouvre la voie à l’analyse moderne. Ses recherches sur les séries infinies, la géométrie analytique et le calcul des probabilités témoignent d’une créativité mathématique exceptionnelle. Il esquisse même une « caractéristique universelle » qui permettrait de réduire tout raisonnement à un calcul.
Juriste de formation, Leibniz contribue significativement au droit international naissant. Ses « Nouveaux Essais sur l’entendement humain », réfutation point par point de l’empirisme lockien, développent une théorie rationaliste de la connaissance fondée sur les idées innées et les vérités éternelles. Cette œuvre, publiée seulement en 1765, influence profondément l’idéalisme allemand de Kant à Hegel.
Infatigable épistolier, Leibniz entretient une correspondance de quinze mille lettres avec plus de mille correspondants à travers l’Europe. Cette « République des Lettres » incarne son idéal d’une coopération intellectuelle universelle transcendant les frontières politiques et confessionnelles. Œcuméniste convaincu, il œuvre inlassablement au rapprochement des Églises chrétiennes divisées depuis la Réforme.
Sa fin de vie est assombrie par la querelle de priorité avec Newton sur l’invention du calcul infinitésimal, polémique qui dégénère en guerre de nationalismes scientifiques. Isolé à Hanovre quand l’électeur George-Louis devient roi d’Angleterre sous le nom de George Ier, Leibniz meurt le 14 novembre 1716 dans l’indifférence générale. Seul son secrétaire assiste à ses obsèques, abandon symbolique d’un génie trop en avance sur son temps.
Son influence posthume irrigue toute la philosophie moderne. Kant développe sa critique sur les bases leibniziennes, Hegel emprunte sa dialectique à la monadologie, Russell redécouvre sa logique symbolique. Les mathématiques, la logique, l’informatique contemporaines portent encore la marque de son génie visionnaire.
Leibniz demeure le modèle du savant universel qui réconcilie science et métaphysique, raison et foi, dans une synthèse harmonieuse. Son optimisme rationnel, sa confiance en la perfectibilité humaine, son rêve d’une science unifiée continuent d’inspirer l’esprit scientifique et philosophique moderne.