Karl Heinrich Marx naît le 5 mai 1818 à Trèves, ville rhénane prussienne marquée par l’héritage révolutionnaire français et l’essor de la bourgeoisie industrielle. Son père, Heinrich Marx, avocat prospère issu d’une lignée rabbinique, s’est converti au protestantisme pour exercer sa profession. Cette apostasie pragmatique révèle l’esprit des Lumières qui règne dans cette famille cultivée, ouverte aux idées libérales et critiques. Sa mère, Henriette Pressburg, appartient à une famille de commerçants hollandais qui lui lègue un sens pratique qu’elle transmet difficilement à son fils aîné.
Élève brillant au gymnasium de Trèves, Marx découvre la littérature romantique allemande et la philosophie des Lumières. Son père, admirateur de Voltaire et Rousseau, nourrit ses aspirations démocratiques tout en l’encourageant vers une carrière juridique respectable. En 1835, Marx entame des études de droit à Bonn puis Berlin, mais néglige rapidement la jurisprudence pour la philosophie hégélienne qui domine alors l’université prussienne.
À Berlin, il rejoint le cercle des « jeunes hégéliens » qui radicalisent la pensée du maître en direction de l’athéisme et du républicanisme. Cette bohème intellectuelle, animée par Bruno Bauer et Max Stirner, critique la religion comme aliénation et prône l’émancipation de la raison. Marx soutient en 1841 une thèse de doctorat sur « La Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure », œuvre qui révèle son matérialisme naissant et son goût pour la dialectique.
Sa carrière universitaire avortant en raison de ses opinions subversives, Marx se tourne vers le journalisme. En 1842, il devient rédacteur en chef de la « Gazette rhénane », journal libéral de Cologne qui combat la censure prussienne et défend les intérêts bourgeois. Ses articles sur la liberté de la presse et la condition ouvrière révèlent un talent polémique exceptionnel, mais le journal est interdit en 1843. Cette première confrontation avec la répression d’État radicalise définitivement ses positions politiques.
Son mariage en 1843 avec Jenny von Westphalen, aristocrate prussienne de quatre ans son aînée, scelle une union passionnée qui résiste à toutes les épreuves de l’exil et de la misère. Jenny, femme cultivée et dévouée, partage ses convictions révolutionnaires et soutient héroïquement ses combats intellectuels. Leur amour, né dans la jeunesse rhénane, traverse quarante ans de luttes politiques et de difficultés matérielles.
Exilé à Paris en 1843, Marx découvre le socialisme français et rencontre Friedrich Engels, fils d’industriel allemand établi à Manchester. Cette rencontre décisive, en septembre 1844, inaugure la plus féconde collaboration intellectuelle du XIXe siècle. Engels apporte à Marx sa connaissance directe du prolétariat industriel anglais et sa fortune familiale qui subventionne leurs recherches révolutionnaires.
Leurs premiers écrits communs, « La Sainte Famille » (1845) et « L’Idéologie allemande » (1845-1846), rompent avec l’idéalisme hégélien pour fonder le matérialisme historique. L’histoire humaine s’explique par l’évolution des rapports de production, non par le progrès des idées. Cette révolution théorique, qui « remet Hegel sur ses pieds », transforme la philosophie en science de l’histoire et instrument de transformation sociale.
Expulsé successivement de Paris et Bruxelles pour ses activités subversives, Marx s’installe définitivement à Londres en 1849 après avoir participé aux révolutions de 1848 en Allemagne. Le « Manifeste du parti communiste », rédigé avec Engels en 1847, prophétise l’inéluctable victoire du prolétariat sur la bourgeoisie : « Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme. » Ce pamphlet génial, qui conjugue analyse scientifique et lyrisme révolutionnaire, devient le bréviaire du mouvement ouvrier mondial.
Les années londoniennes (1849-1883) sont consacrées à l’élaboration du « Capital », son œuvre maîtresse qui dévoile les « lois du mouvement » de la société capitaliste. Travaillant quotidiennement au British Museum, Marx accumule une documentation considérable sur l’économie politique anglaise et l’histoire ouvrière. Sa famille vit dans un dénuement extrême à Soho, perdant trois enfants en bas âge, mais Engels assure leur survie par ses subsides réguliers.
Le premier livre du « Capital » (1867) révèle le secret de l’exploitation capitaliste : la plus-value extorquée au travailleur par l’appropriation privée des moyens de production. Cette analyse révolutionnaire, qui unit rigueur scientifique et indignation morale, démontre que le capitalisme porte en lui les germes de sa propre destruction. La baisse tendancielle du taux de profit conduit inexorablement aux crises de surproduction et à la prolétarisation croissante des masses.
Théoricien de la révolution, Marx participe aussi aux luttes ouvrières de son époque. Membre dirigeant de l’Association internationale des travailleurs (1864-1876), il combat les tendances anarchistes de Proudhon et Bakounine pour imposer la stratégie de la conquête du pouvoir politique par le prolétariat. Sa défense de la Commune de Paris (1871) dans « La Guerre civile en France » exalte cette première expérience de démocratie ouvrière.
Sa santé, minée par le surmenage et les privations, décline rapidement dans les années 1870. La mort de Jenny en 1881 l’affecte profondément et précipite son déclin physique. Il meurt le 14 mars 1883 dans son fauteuil de travail, laissant inachevés les livres II et III du « Capital » qu’Engels publie posthumément d’après ses manuscrits.
Son influence posthume transforme le mouvement ouvrier mondial et inspire les révolutions du XXe siècle. Le marxisme devient doctrine officielle de l’URSS, de la Chine et de nombreux pays du Tiers-Monde, évolution qui trahit souvent l’inspiration démocratique originelle. Malgré l’effondrement des régimes communistes, l’analyse marxiste du capitalisme conserve sa pertinence critique face aux inégalités croissantes de la mondialisation.
Marx demeure le grand théoricien des contradictions du capitalisme et le prophète de l’émancipation prolétarienne. Son œuvre, qui unit science et utopie, rigueur analytique et passion révolutionnaire, continue d’inspirer tous ceux qui refusent la fatalité de l’exploitation et rêvent d’une société sans classes.