Carl Gustav Jung naît le 26 juillet 1875 à Kesswil, petit village suisse du canton de Thurgovie, dans une famille marquée par la tradition ecclésiastique et académique. Son père, Paul Achille Jung, est pasteur réformé, tandis que sa mère, Émilie Jung née Preiswerk, appartient à une lignée réputée pour ses dons de voyance et ses expériences paranormales. Cette double hérédité – rationalité paternelle et spiritualité maternelle – façonne profondément la personnalité du futur psychiatre.
Son enfance, solitaire et troublée, est marquée par les absences répétées de sa mère, hospitalisée pour dépression, et par des expériences mystiques précoces qui l’obsèdent. Vers trois ans, il fait un rêve terrifiant d’un phallus gigantesque sur un trône souterrain, vision qui le hante et nourrit sa fascination ultérieure pour l’inconscient. Élève brillant mais introverti, il découvre la philosophie de Kant et Schopenhauer qui l’initient aux mystères de la connaissance et de la volonté.
Hésitant entre théologie et médecine, Jung choisit finalement cette dernière à l’université de Bâle. Sa lecture du « Traité de psychiatrie » de Krafft-Ebing en 1900 décide de sa vocation : la psychiatrie lui apparaît comme le pont idéal entre sciences naturelles et sciences humaines. Il rejoint la prestigieuse clinique du Burghölzli à Zurich, dirigée par Eugen Bleuler, pionnier de l’étude de la schizophrénie.
Ses recherches sur les associations verbales et les complexes psychiques lui valent une reconnaissance internationale précoce. En 1906, il entre en correspondance avec Sigmund Freud, rencontre qui bouleverse sa trajectoire. Leur première entrevue à Vienne dure treize heures d’affilée, révélant une complicité intellectuelle exceptionnelle. Freud voit en Jung son successeur, « le Joshua qui conquerra la Terre promise de la psychiatrie » après Moïse.
Président de l’Association psychanalytique internationale de 1910 à 1914, Jung apparaît comme l’héritier désigné du mouvement freudien. Mais des divergences théoriques croissantes minent cette alliance. Jung refuse la primauté exclusive de la sexualité dans l’étiologie des névroses, développant une conception énergétique de la libido qui englobe toutes les forces vitales. Sa théorie prospective de l’inconscient, orientée vers l’avenir et l’individuation, s’oppose à la vision rétrospective freudienne.
La rupture consommée en 1913 plonge Jung dans une crise personnelle majeure qu’il nomme sa « confrontation avec l’inconscient ». De 1913 à 1919, il traverse une période de désorganisation psychique pendant laquelle il dialogue avec ses fantasmes, consignant visions et rêves dans le mystérieux « Livre rouge ». Cette descente aux enfers de la psyché lui révèle l’existence d’un inconscient collectif peuplé d’archétypes universels.
Sa théorie des types psychologiques, exposée dans l’ouvrage éponyme de 1921, distingue attitudes introvertie et extravertie, ainsi que quatre fonctions psychiques : pensée, sentiment, sensation, intuition. Cette typologie, qui influence durablement la psychologie différentielle, témoigne de son souci de respecter la diversité des tempéraments humains contre tout dogmatisme théorique.
Jung développe progressivement sa psychologie analytique, centrée sur le processus d’individuation par lequel l’individu réalise sa personnalité totale. Ce chemin de croissance psychique passe par l’intégration de l’ombre (aspects refoulés de la personnalité), de l’anima ou animus (contrasexuel intérieur) et la réalisation du Soi, archétype de la totalité psychique symbolisé par le mandala.
Sa passion pour l’alchimie, découverte vers 1928, révolutionne sa compréhension de l’inconscient. Dans les traités hermétiques, il reconnaît une projection de processus psychiques inconscients : l’opus alchimique symbolise le travail d’individuation. Cette découverte ouvre la voie à ses dernières grandes œuvres sur la psychologie de la religion et l’interprétation symbolique des mythes.
Voyageur infatigable, Jung étudie les cultures primitives en Afrique du Nord (1920), au Kenya (1925-1926) et en Inde (1937-1938). Ces expériences ethnographiques enrichissent sa théorie des archétypes en révélant l’universalité de certains symboles et motifs mythologiques. Il y puise la conviction que l’inconscient collectif constitue le substrat psychique commun à l’humanité.
Ses relations avec le nazisme demeurent controversées. Président de la Société médicale générale de psychothérapie de 1933 à 1940, il tente de préserver la psychanalyse allemande menacée par l’idéologie nazie. Ses écrits ambigus sur la « psychologie juive » et ses théories raciales suscitent des polémiques durables, même si son opposition fondamentale au totalitarisme ne fait guère de doute.
L’après-guerre consacre sa renommée mondiale. Ses « Souvenirs, rêves, pensées », testament spirituel dicté à Aniela Jaffé, révèlent un homme hanté par les mystères de l’existence et persuadé que « l’âme est le plus grand de tous les miracles cosmiques ». Il meurt le 6 juin 1961 à Küsnacht, près de Zurich, léguant une œuvre immense qui nourrit psychologie, anthropologie religieuse et quête spirituelle contemporaine.
Jung demeure le grand rival de Freud, explorateur des profondeurs archétypales de l’âme humaine et penseur de l’individuation qui réconcilie science et spiritualité dans une vision holistique de la psyché.