Traditions initiatiques amérindiennes : l’exemple de la Midewiwin
Les Ojibwés (aussi appelés Chippewa ou Anishinaabe, mais également connus sous le nom d’Algonquins) constituent l’un des plus grands peuples autochtones d’Amérique du Nord. Leur territoire traditionnel s’étend sur une vaste région autour des Grands Lacs, couvrant des parties du Canada (Ontario, Manitoba) et des États-Unis (Michigan, Wisconsin, Minnesota, Dakota du Nord).
Origines et structure sociale
Historiquement, les Ojibwés faisaient partie d’une migration plus large des peuples Algonquiens depuis la côte Atlantique. Leur culture traditionnelle était basée sur un mode de vie semi-nomade, suivant les cycles saisonniers pour la chasse, la pêche, la cueillette des baies sauvages et la récolte du riz sauvage (manoomin), une denrée particulièrement importante dans leur alimentation et leur culture.
La société Ojibwé traditionnelle s’organise en clans (doodems), chacun associé à un animal totémique qui définit les rôles sociaux et les responsabilités au sein de la communauté. Le système clanique est patrilinéaire, les enfants héritant du clan de leur père.
Leur langue, l’ojibwé ou anishinaabemowin, fait partie de la famille linguistique algonquienne. Elle reste vivante aujourd’hui, bien que menacée, et fait l’objet d’efforts de revitalisation importants dans de nombreuses communautés.
Les Ojibwés sont connus pour l’utilisation des canots d’écorce de bouleau, qu’ils ont perfectionnés pour la navigation sur les Grands Lacs, leurs techniques de fabrication du sirop d’érable, leur maîtrise du perlage et des arts décoratifs et leurs traditions orales riches, incluant les récits de création et les légendes
La spiritualité Ojibwé
Sur le plan spirituel, les Ojibwés ont développé une cosmologie complexe centrée sur le concept de Gitche Manitou (le Grand Esprit) et incluant de nombreux autres manitous (esprits) présents dans la nature. Les rêves jouent un rôle crucial dans leur spiritualité, servant souvent de guide pour les décisions importantes de la vie.
Mais ils ont également mis en place une société initiatique, la Midewiwin ou Mide’wiwin, souvent appelée la « Grande Société de Médecine » des Ojibwés, qui représente l’une des plus importantes traditions spirituelles et thérapeutiques des peuples amérindiens d’Amérique du Nord. Cette société secrète, qui perdure aujourd’hui malgré les bouleversements historiques, incarne une approche holistique de la guérison où spiritualité, médecine et harmonie avec la nature forment un tout indissociable.
La cosmologie
Au cœur de la cosmologie Midewiwin se trouve la conviction que tout être vivant possède un esprit et que la maladie résulte d’un déséquilibre entre ces forces spirituelles. Les initiés, appelés Mide, sont formés pour devenir des intermédiaires entre le monde visible et invisible, capables de rétablir l’harmonie nécessaire à la guérison.
Un ouvrage de 1891 décrit en détail cette société, et donne des détails sur la création du monde qui n’est pas sans rappeler quelques religions ou croyances d’autres sociétés de par le monde :
Au commencement, Dzhe Man’ido créa les Mide’. Il créa d’abord deux hommes et deux femmes, mais ils n’avaient pas le pouvoir de penser ou de raisonner. Alors Dzhe Man’ido en fit des êtres rationnels. Il les prit dans ses mains pour qu’ils se multiplient ; il les associa, et c’est ainsi que naquirent les Indiens. Lorsqu’il y eut des gens, il les plaça sur la terre, mais il remarqua bientôt qu’ils étaient sujets à la maladie, à la misère et à la mort, et que s’il ne leur fournissait pas la médecine sacrée, ils s’éteindraient bientôt. Entre la position occupée par Dzlie Man’ido et la terre se trouvaient quatre esprits inférieurs avec lesquels Dzlie Man’ido décida de communiquer et de leur transmettre les mystères qui permettraient de guérir les Indiens. Il s’adressa d’abord à un esprit et lui dit tout ce qu’il avait à dire, qui à son tour communiqua la même information à un autre esprit, qui à son tour la communiqua à un autre et ainsi de suite. Ils se réunirent tous en conseil et décidèrent de faire appel aux quatre dieux du vent. Après s’être consultés sur ce qui serait le mieux pour le confort et le bien-être des Indiens, ces esprits acceptèrent de demander à Dzhe Man’ido de communiquer le Mystère de la Médecine Sacrée au peuple.
Dzhe Man’ido se rendit alors auprès de l’Esprit du Soleil et lui demanda de se rendre sur terre et d’instruire le peuple comme l’avait décidé le conseil. L’Esprit du Soleil
sous la forme d’un petit garçon, se rendit sur la terre…
Le processus initiatique
L’initiation à la Midewiwin s’effectue progressivement à travers quatre degrés principaux, chacun nécessitant plusieurs années d’apprentissage. Le candidat doit d’abord démontrer sa maturité spirituelle et son engagement envers la communauté. L’enseignement se transmet oralement et par l’expérience directe, incluant l’apprentissage des chants sacrés, des danses rituelles, et des propriétés médicinales des plantes.
Les cérémonies d’initiation se déroulent dans une longue structure de bois appelée la « Maison de Mide ». Durant ces rituels, les candidats expérimentent une mort symbolique suivie d’une renaissance spirituelle, une pratique qui se retrouve dans de nombreuses sociétés initiatiques à travers tous les continents. Cette transformation s’accompagne de la transmission de « migis », des coquillages sacrés représentant le pouvoir spirituel et la connaissance.
La pratique thérapeutique des Mide combine plusieurs approches : l’utilisation de plantes médicinales, dont la connaissance est précieusement préservée et transmise, des rituels de purification, des chants de guérison, et des cérémonies communautaires. La guérison n’est jamais considérée comme un acte purement individuel, mais comme un processus impliquant l’ensemble de la communauté.
Les objectifs de la Midewiwin dépassent largement le cadre thérapeutique. Elle vise à maintenir l’harmonie entre les êtres humains et le monde naturel, à préserver les enseignements ancestraux, et à assurer la transmission d’une sagesse millénaire. Les initiés ont la responsabilité de protéger non seulement la santé physique de leur communauté, mais aussi son bien-être spirituel et culturel.
Les méthodes d’enseignement privilégient l’apprentissage expérientiel et symbolique. Les connaissances sont codifiées dans des « rouleaux d’écorce de bouleau » couverts de pictogrammes, qui servent d’aide-mémoire pour les récits sacrés et les protocoles rituels. L’interprétation de ces symboles nécessite une formation approfondie et ne peut se faire que sous la guidance d’un aîné initié. Le pictogramme est étroitement lié à une chanson, comme le montre le texte ci-dessous, tiré d’une étude de 1909 par le Smithsonian Institute :
Les dessins des chants Mide’ sont universellement compris par les membres de Mide’wiwin. Un grand nombre de dessins ont été testés de la manière suivante : Une chanson a été enregistrée sur phonographe et l’image dessinée sur une réserve, puis le disque phonographique a été joué à un membre des Mide’wiwin vivant dans une réserve éloignée. La chanson a été reconnue immédiatement et l’image dessinée sans hésitation. Cette image, comparée à la première, s’est révélée identique en termes de symbolisme, ne différant que par le fait qu’une personne dessine mieux qu’une autre. Par un test inverse, l’image d’une chanson a été montrée à un membre des Mide’wiwin.et elle a chanté la chanson qui était chantée dans une réserve lointaine par la personne qui avait dessiné l’image.
Le dessin Mide’wiwin comporte certains symboles établis, dont les principaux sont le cercle, utilisé pour représenter la terre, le ciel, un lac et une colline ; et les lignes droites ou ondulées, utilisées pour représenter « le pouvoir de l’esprit, puissance spirituelle ». Ces symboles sont combinés avec une description grossière des objets mentionnés dans la chanson.
L’ouvrage dont est tiré cette citation explique qu’il existe ainsi des centaines de chansons, donc de symboles.
La Midewiwin cultive une approche particulière du secret initiatique. Certains aspects des enseignements ne peuvent être partagés qu’avec les initiés, non par élitisme, mais pour préserver l’intégrité et la puissance des pratiques thérapeutiques. Cette dimension ésotérique contribue à maintenir la profondeur et l’efficacité des traditions de guérison.
La Midewiwin aujourd’hui
Face aux défis contemporains, la Midewiwin démontre une remarquable capacité d’adaptation tout en préservant l’essence de ses enseignements. Elle continue d’offrir des réponses pertinentes aux questions de santé physique et mentale, d’équilibre écologique et de développement spirituel. Son exemple illustre la possibilité d’une médecine traditionnelle vivante, capable de dialoguer avec les approches modernes tout en maintenant ses racines profondes dans la sagesse ancestrale.
Cette tradition nous rappelle que la guérison authentique ne peut se limiter au traitement des symptômes physiques, mais doit prendre en compte l’ensemble des dimensions de l’être humain : corps, esprit, relations sociales et lien avec l’environnement naturel. Lexemple de la Midewiwin offre ainsi des perspectives précieuses sur l’intégration possible entre spiritualité, médecine et harmonie écologique.
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